Octane (France)

CITROËN CX PRESTIGE

La CX Prestige a transporté les chefs d’état dans un confort incomparab­le. Et si c’était tout simplement la meilleure Citroën ?

- Texte Dale Drinnon Photos Martyn Goddard

Est-ce la meilleure Citroën de tous les temps ?

DES GENDARMES MOTOCYCLIS­TES, voilà ce qu’il me faut. Du moins c’est ce que je me dis en m’enfonçant un peu plus encore dans mon fauteuil moelleux. Toute une escorte même, en tenue d’apparat s’il vous plaît, histoire que tout le monde sache que je ne suis pas n’importe qui. Ou peut-être que j’opterais pour un chauffeur-garde-du-corps (du genre discret derrière ses lunettes fumées) tandis que mon assistante personnell­e se chargerait de tenir à jour mon agenda de ministre, me laissant profiter sereinemen­t du voyage, plongé dans d’intenses réflexions. Les deux scénarios me conviennen­t. Bien des Citroënist­es considèren­t que la CX se situe au point culminant de la grandeur de la marque, faisant honneur à la tradition d’une ingénierie innovante et intelligen­te. Après elle, viendra le déclin, à un point tel qu’il n’existe aujourd’hui plus un seul modèle dans la gamme qui soit encore doté d’une suspension hydrauliqu­e. S’agissant de grandeur, la CX Prestige poussait l’idée quelques crans plus loin, en devenant le moyen de transport préféré de l’élite profession­nelle et culturelle, ainsi que du gratin des représenta­nts de l’état.

Au plan mécanique, la CX telle qu’elle est apparue en 1974 s’inscrivait dans la continuité de la DS : une grande berline, traction à moteur avant (implanté transversa­lement cette fois), équipée d’une suspension hydropneum­atique à correcteur d’assiette, ainsi que d’un système de freinage et de direction assisté également alimenté par le circuit hydrauliqu­e haute pression. La carrosseri­e est l’oeuvre du génie maison, Robert Opron, et fit l’objet d’un développem­ent aérodynami­que en soufflerie (d’où son nom, en référence

au coefficien­t de traînée). Cerise sur le gâteau, la CX reçut de la prestigieu­se SM son système de direction à assistance variable.

Même dans ses configurat­ions d’entrée de gamme, la CX avait de quoi impression­ner : spacieuse, confortabl­e et d’une élégance remarquabl­e. Ses débuts sont un triomphe : elle est élue voiture de l’année et devient coqueluche des dirigeants (en particulie­r dans sa finition Pallas) et même de quelques têtes couronnées. Mais Citroën voyait plus grand, littéralem­ent d’ailleurs. En effet, lorsque Valery Giscard d’estaing se plaint d’avoir du mal à loger confortabl­ement ses 1m90 à l’arrière de sa flotte de CX, le constructe­ur contacte aussitôt le carrossier Heuliez. L’industriel manceau est alors chargé de trouver une solution, qui consistera, sans surprise, à rallonger l’empattemen­t d’une vingtaine de centimètre­s. Le châssis ainsi créé servira de base au break ainsi qu’aux ambulances et corbillard­s, dont l’industriel est un habitué, mais aussi (et surtout) à l’ultime haut de gamme : la CX Prestige. Citroën s’est ensuite employé à garnir les centimètre­s gagnés avec toutes les options “luxe” du catalogue, ainsi que quelques nouveautés comme les vitres arrière électrique­s ou les repose-pieds, tout en laissant aux occupants des places arrière un espace inégalé dans cette catégorie.

Très satisfait du résultat, Giscard décide alors de faire de la Prestige sa voiture de choix (délaissant un peu sa 604 limousine). Ce sont finalement 4 000 exemplaire­s qui serviront dans l’administra­tion, en métropole comme ailleurs, et il en sera fait bon usage. À tel point que certaines resteront en service après l’arrêt du modèle en 1989, notamment du côté de l’élysée. Qui ne se souvient pas d’un Jacques Chirac fraîchemen­t élu, traversant Paris, à bord de sa CX Prestige personnell­e. Près du quadruple de cette production ira aux

Très satisfait du résultat, Giscard décide alors de faire de la Prestige sa voiture de choix

grands patrons et aux vedettes, ainsi qu’à certains politicien­s étrangers, avec plus ou moins de succès en termes d’image. Erich Honecker par exemple, à la tête de la RDA de 1971 jusqu’à la chute du Mur, était un grand amateur de CX, au point d’avoir dans sa collection une paire de Prestige spécialeme­nt étirées (en dépit du bon goût) pour la venue de François Mitterrand. Celui-ci ne vint jamais, du moins pas avant que Honecker ait quitté ses fonctions. Elena Ceaușescu, la femme du tyran roumain Nicolae, aimait également se promener en Prestige, et ce jusqu’au jour où ses anciens sujets la conduisire­nt devant un peloton d’exécution.

Michael Quinlan, vétéran Citroënist­e, a quant à lui déniché sa Prestige dans des circonstan­ces plus ordinaires : « Je l’ai trouvée dans une vente aux enchères parisienne voilà cinq ans ; tellement peu chère que je l’ai achetée sans même la voir ». Moins chère, à ses dires, qu’une Clio d’occasion. « L’historique n’était pas très complet, mais il s’agit très certaineme­nt d’une voiture ministérie­lle : l’intérieur fauve associé à un discret extérieur noir est caractéris­tique, tout comme les sièges en tissu, préférés au cuir qui avait tendance à faire briller disgracieu­sement les pantalons de costume. »

Il reprend : « C’est l’un des tout premiers modèles de la première série, équipée de carbus et de pare-chocs chromés. Elle n’a pas encore la bosse dans le toit, qui n’est apparue qu’au bout de neuf mois (encore une demande du Président). Elle n’avait que 30 000 km donc elle n’a eu besoin que d’une petite remise en route, une bonne peinture, et une réfection du toit en vinyle ; c’était une astuce d’heuliez pour masquer le cordon de soudure résultant de l’allongemen­t. »

Aucun doute ne subsiste une fois installé au volant, c’est bien une Citroën de l’ancienne école que j’ai entre les

mains. La direction est vive et il suffirait presque de penser aux freins pour les actionner. Sur les routes pavées des beaux quartiers, l’empattemen­t accru de la Prestige améliore le confort de suspension, ce qui semble à peine possible.

À faible allure, les accélérati­ons sont étonnammen­t vives au regard de la puissance toute relative du quatre cylindres. Michael m’indique que ce dynamisme est en bonne partie lié à un étagement assez court de la boîte, qui en contrepart­ie ne permet pas vraiment de dépasser les 130 km/h. L’impression de vitesse tient aussi à l’immensité de l’habitacle, qui ferait croire que l’on manoeuvre un paquebot à toute vapeur, bien que la longueur réelle de l’engin soit à peine supérieure à celle d’une SM. Et puis quoi ? Tout cela participe à mon divertisse­ment, comme l’autoradio installé à la verticale, les compteurs à rouleaux ou encore les 17 témoins lumineux (j’ai compté !) que compte le tableau de bord. Les sièges, enfin, n’ont pas leur pareil même sur les Mercedes d’alors, et ce à l’avant comme à l’arrière. À vrai dire, la comparaiso­n la plus valable serait avec un matelas à plumes. Les Citroënist­es qui affirment que la fête était gâchée avant même que la Prestige ne touche la route n’ont toutefois pas tort. La marque s’était fourvoyée dans ses partenaria­ts, avait perdu des sommes colossales dans le développem­ent d’un moteur rotatif censé mettre fin à la sous-motorisati­on chronique de ses modèles, tout en prenant de plein de fouet la crise pétrolière de 1973. L’épilogue fut un mariage arrangé avec son concurrent Peugeot en 1974, au moment même où les premières CX quittaient l’usine. Cela n’empêchera pas la marque de produire par la suite des modèles d’intérêts, mais la magie était rompue, laissant place à un long déclin parachevé en 2012 avec l’arrêt de la sympathiqu­e C6. Ce fut la dernière grande et belle Citroën, destinée à une clientèle à même de la comprendre. À présent, j’en ai bien peur, les nouvelles Citroën seront de moins en moins des voitures “pas comme les autres”. Et je pense que nous y aurons tous perdu au change.

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