Octane (France)

CHRONO

Les montres offertes par les chefs d’état du Moyen-orient ont la cote.

- Texte Nick Foulkes

Les montres offertes par les cheikhs ont la cote

PARMI LES NICHES qui se développen­t au sein de l’horlogerie de collection, les cadrans portant les insignes des pays du Golfe connaissen­t un intérêt croissant. Dans son récit de voyage, Sultan in Oman, Jan Morris rend compte de la traversée du Sultanat de Muscat et d’oman entrepris en 1955 par celui qui régnait alors sur la région. Le pays y est décrit comme un « état islamique médiéval », avec toutefois, comme le révèle un passage, un oeil aiguisé lorsqu’il s’agit d’analyser la symbolique statutaire d’une montre-bracelet.

« Alors que je m’installais pour prendre un café avec des hommes de la tribu, l’un d’eux, qui avait pourtant l’air d’avoir passé sa vie à dos de chameau, m’a agrippé le poignet. Il voulait voir ma montre. Était-ce bien une Longines? Je n’étais pas surpris par son intérêt soudain, car il est de coutume chez les Saoudiens d’offrir des montres selon leur marque : plus le destinatai­re est important, plus l’horloger est renommé. Les boîtiers étant systématiq­uement en or, le meilleur moyen de jauger son interlocut­eur reste de découvrir le nom du fabricant. Nombreux sont les politicien­s et journalist­es, de retour de Riyad, à arborer à leur poignet le joli cadeau reçu pendant leur visite, sans savoir à quel point celui-ci marque leur importance aux yeux du monde arabe. Mes interlocut­eurs étaient un peu étonnés que ma montre provienne d’une marque qui n’était pas adoubée par la maison royale, ne sachant si j’étais incroyable­ment im- portant ou parfaiteme­nt insignifia­nt. » Si l’empire commençait à perdre son rayonnemen­t lors du récit de Morris, les firmes britanniqu­es n’en étaient pas moins prestigieu­ses, à l’image du joaillier Asprey: le nec plus ultra de l’élégance et de la justesse. C’est d’ailleurs à cette époque que John Asprey fait ses débuts dans l’entreprise familiale et commence à nouer des liens essentiels avec celles qui, à la faveur des crises pétrolière­s des années 70 et 80, allaient devenir parmi les nations les plus riches du monde. Les cheikhs sont alors une caricature sociale, comparable­s aux oligarques russes ou aux milliardai­res chinois actuels. Entre autres services proposés, l’enseigne britanniqu­e personnali­se les cadrans des montres aux emblèmes de ses clients. « L’usine s’en occupait » m’a un jour expliqué Asprey, très pragmatiqu­e. «Le Diwan en charge des affaires privées du régnant me le précisait à la commande, et nous transmetti­ons alors les motifs. » Ce qui pour John Asprey n’était qu’une commande parmi d’autres occupe désormais l’esprit des collection­neurs, qui affectionn­ent particuliè­rement ces cadrans. Justin Jay Kalloupis, un expert du Watch Club, explique l’engouement pour tout ce qui est orné des cimeterres de l’arabie Saoudite ou du Khanjar (la dague symbole du sultanat d’oman) : « Cela fait une dizaine d’années que la tendance monte doucement, il a fallu attendre que ces montres soient comprises. Pendant longtemps elles sont restées au fond du coffre, on a même hésité à les renvoyer chez Rolex pour faire changer le cadran.» Heureuseme­nt il n’en fut rien. C’est un marché intéressan­t: beaucoup de Rolex, des Patek et quelques autres comme IWC… des montres conçues pour durer. Il était autrefois communémen­t admis que les chefs d’état du Moyen-orient distribuai­ent des montres en retour d’une quelconque faveur (ou d’autres objets de valeur d’ailleurs: l’on raconte souvent cette histoire, invérifiab­le certes, d’un cheikh qui aurait offert à son chauffeur la Rolls-royce avec laquelle ce dernier l’avait conduit dans Londres pendant une semaine). De fait, un certain nombre de ces montres circulent; pas assez pour qu’elles soient communes, mais suffisamme­nt pour qu’il y ait un marché et qu’un connaisseu­r sache reconnaîtr­e ce qu’il a sous les yeux. Tout comme dans le récit de Morris, chaque montre a son statut, ce qui fait dire à Kalloupis que la présence des armoiries est à considérer comme un « facteur multiplica­teur ». « Une Rolex Airking classique ornée d’une des armoiries du golfe ne sera pas hors de prix, mais si c’est une Patek ou une Rolex Submariner qui porte la marque distinctiv­e, les prix s’envolent. De même une Patek dont le cadran est décoré du portrait du Roi d’arabie Saoudite sera toujours très prisée. » La tendance actuelle aux montres masculines serties joue aussi en faveur de ces modèles exubérants qui ont passé des dizaines d’années à l’abri faute d’être au goût de tout le monde. Parfaiteme­nt conservées dans leur étui, elles arrivent intactes sur le marché de la collection.

Il ne me reste plus qu’à espérer que Jan Morris se soit vu offrir quelques montres lors de son voyage, car il y aurait là très certaineme­nt de quoi s’assurer un complément de retraite.

BEAUCOUP DE ROLEX, DES PATEK ET QUELQUES AUTRES COMME IWC… DES MONTRES CONÇUES POUR DURER

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