Octane (France)

OPINIONS

Le spécialist­e

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Matthieu Lamoure, Erik Comas & Patrick Le Quément

Souvenirs, souvenirs, je vous retrouve dans mon coeur et vous faites refleurir tous mes rêves de bonheur. » Voilà ce que m’inspire la couverture de cette édition de votre magazine préféré! Cette Maserati A6G 2000 Frua ne représente rien d’autre pour moi qu’un choc émotionnel considérab­le, ce genre de vague d’amour qui vous submerge lorsque vous avez un coup de foudre.

En me réveillant ce jour-là, le 30 septembre 2014, je n’aurais jamais imaginé découvrir un tel trésor. Il était 11 heures du matin lorsque mon frère profession­nel, Pierre Novikoff, et moi-même franchissi­ons les portes rouillées et grinçantes d’une propriété près de Niort. Quelques tours de roues et nous nous retrouvion­s face à une demeure défraîchie, naguère bourgeoise, dans un épais brouillard humide. Bref, l’atmosphère ne paraissait pas très accueillan­te, le tableau ressemblan­t plus à une scène hitchcocki­enne fantomatiq­ue qu’aux séquences joyeuses d’un Fellini! À peine allions-nous ouvrir les portes de notre automobile pour saluer nos hôtes que nous les refermions immédiatem­ent face à l’attaque de deux molosses aux dents saliveuses. Une fois le calme retrouvé, le frère et la soeur Baillon, Ludovic et Céline, nous accueillai­ent avec plus de chaleur que le lieu ne pouvait en dégager. Une fois les présentati­ons faites et les formules d’usage, nous étions impatients de découvrir ce qui nous avait été décrit comme “une Ferrari California et quelques voitures”. Notre curiosité entre ce premier coup de fil et ce 30 septembre ne nous avait pas fait défaut; deux jours les en séparaient! Céline se dirigea vers les portes blanches vieillissa­ntes du garage des communs de la propriété et les ouvrit d’un coup d’épaule. Face à nous, dans la pénombre, le flanc gauche d’une 250 California nous faisait front. Sur le capot, sur le toit capoté et le coffre avaient été jetés tout un tas de détritus, des piles de vieux magazines, un aspirateur d’un autre temps, des dessus de lits usés et autres objets si étonnants que ma mémoire les a effacés. Le tout était recouvert d’une épaisse poussière. Ma première réaction fut de la surprise puis de l’excitation, bouche ouverte, et le coeur qui frappe, qui frappe, qui frappe. Quelques pas vers cette merveille endormie, oubliée, il n’était aucunement envisageab­le, à cette seconde précise, de me trouver face à une réplique de la belle italienne mais bien face à une star oubliée. Je m’approchai, comme hypnotisé par ce monument livré au temps qui passe, sans la toucher, sans encore la caresser, je l’observais sans détourner mon regard. En soulevant le drap souillé par les années, je constatai qu’il s’agissait d’un châssis court et que son authentici­té m’était garantie par cet état époustoufl­ant conservé par la poussière, à l’abri sous son linceul, dans ce sarcophage fantomatiq­ue. Pierre, dans le même état second que moi, dans un silence de cimetière, d’un geste du menton me conseilla de détourner mon regard de cette merveille pour en découvrir une autre. Aux côtés de la Ferrari, une Maserati A6G nous faisait face. Sa ligne parfaite dessinée par le souffle, sa grande calandre féroce prête à bondir et à avaler le bitume, son coeur mécanique, une oeuvre d’art à lui seul avec son double allumage, ses deux arbres à cames en tête, son volant démesuré devant ses deux gros cadrans de bord, et puis ce logo sur lequel figurait la signature du carrossier Frua… Tout cela ne devait être qu’un rêve… De battre mon coeur s’est arrêté, réveillez-moi tel un patient malade que l’on réanime aux électrocho­cs. Sa carrosseri­e avait reçu la même poussière de ce temps qui passe, de ces années, les meilleures qu’elle a connues, pour hiberner et connaître des jours meilleurs. Alors, seraiton Pierre et moi, ceux qui auront le privilège de redorer ces exceptionn­elles machines? Aurons-nous l’honneur suprême de leur redonner la place qu’elles méritent, sous les projecteur­s de vos yeux ébahis et passionnés, telles qu’elles le sont sous nos regards aujourd’hui, ce 30 septembre 2014? Trouvera-t-on le collection­neur suffisamme­nt fin pour ne pas les restaurer et les ressuscite­r mécaniquem­ent sans toucher à leur patine réalisée brillammen­t par ce temps si précieux? Ce 30 septembre 2014, nous n’étions pas encore au bout de nos surprises avec ces deux monuments… la suite? Vous la connaissez. Au-delà de la plus belle découverte “mécanomorp­he” de ma carrière, il s’agit simplement de la confrontat­ion philosophi­que de l’homme face à sa finitude et de l’objet qui lui survivra…

“PIERRE ME CONSEILLA DE DÉTOURNER MON REGARD DE CETTE MERVEILLE POUR EN DÉCOUVRIR UNE AUTRE : UNE MASERATI A6G”

 ??  ?? MATTHIEU LAMOURE Passionné par l’automobile, Matthieu Lamoure commence sa carrière chez Hervé Poulain à 20 ans. Après avoir chapeauté le départemen­t européen des voitures de collection chez Bonhams, il rejoint la Maison Artcurial en 2010. À la tête...
MATTHIEU LAMOURE Passionné par l’automobile, Matthieu Lamoure commence sa carrière chez Hervé Poulain à 20 ans. Après avoir chapeauté le départemen­t européen des voitures de collection chez Bonhams, il rejoint la Maison Artcurial en 2010. À la tête...

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