SUR LA ROUTE
Nous adorons les GT classiques, mais est-il envisageable de voyager avec leurs descendantes ?
Le Grand Tourisme existe-t-il encore ?
À QUOI SERT DONC UNE VOITURE de grand tourisme ? L’imaginaire né dans les années 50, nous le connaissons tous : de grands coupés puissants et confortables pour traverser un pays ou un continent sans effort, le plus rapidement possible. Puis, l’aviation à réaction est apparue et les membres de la nouvelle Jet-set oublièrent la mobilité individuelle pour se lover dans les confortables fauteuils de première classe des Boeing, Mcdonnell-douglas et autres Lockheed.
Pourtant, l’espèce des GT a perduré et semble aujourd’hui bien vivante. Les Bentley Continental GT, Rolls-royce Wraith et Ferrari Gtc4lusso sont des machines tout aussi désirables à conduire que l’étaient leurs ancêtres, 60 ans plus tôt. Pas d’authentiques sportives, mais de véritables avaleuses de kilomètres au confort feutré, armées de moteur généreux.
Le monde, lui, a bien changé. Depuis quatre décennies, la vitesse n’est guère plus libre que sur certaines autoroutes allemandes, le trafic routier a explosé (avec les congestions qui vont avec) et le charmant réseau routier reliant les villes a été remplacé par des autoroutes impersonnelles où les attractions touristiques se limitent à quelques panneaux indicateurs, et les étapes gastronomiques sont des self-services insipides.
Oui, nous savons trouver du plaisir à faire rugir nos vieilles mécaniques sur les plus belles routes, mais fait-il encore sens de traverser un pays au volant d’une Grand Tourisme moderne, d’un strict point de vue épicurien ? Un aller-retour au Salon de Genève au volant d’une Ferrari Gtc4lusso est l’expérience parfaite pour apporter quelques éléments de réponse, et aussi les limites que l’on pressentait à l’exercice: quelle place peut avoir sur nos routes une voiture dont la vitesse de croisière idéale s’établit très loin au-delà des limitations de vitesse? Si elle est logiquement son terrain de jeu idéal, l’autoroute est un domaine à éviter, à moins que rouler les yeux rivés sur un avertisseur de radars soit votre définition du plaisir…
Au moins notre trajet aller a-t-il permis de confirmer que la Gtc4lusso sait parfaitement se plier à l’exercice du périple transcontinental. Large et spacieux, son habitacle cossu est une invitation au voyage et, contrairement à d’autres modèles du constructeur, l’échappement a l’élégance de ne pas brailler à tue-tête comme un jeune premier. Avec sa transmission à quatre roues motrice et des modes de conduite paramétrables, elle se joue des conditions météo et la pluie, toute diluvienne soit-elle, n’apparaît plus du tout menaçante.
Mais aller d’un point A à un point B par l’autoroute ne peut être considéré comme du Grand Tourisme. Pour cela il faut apprendre à prendre son temps, ce qui n’est pas antinomique avec l’idée de rouler rapidement. Pour le chemin du retour, les axes du réseau secondaire ont notre préférence. Ce qui, de Genève, se traduit par une montée au col de la Faucille et une redescente par le Jura.
Début mars, la signalisation annonce des chaînes obligatoires. Quand les plaques de neiges se multiplient, l’agile
Ferrari devient bien intimidante, la faute à une monte pneumatique inadaptée, et sa grande largeur n’incite pas franchement à des débordements entre les congères.
Aux Rousses, la pause-café entre les skieurs nordiques permet de se remettre de ces quelques émotions. Plus loin, la neige disparaît aussi vite qu’elle est arrivée et l’atlas routier est préféré au GPS pour tracer l’itinéraire le plus plaisant. Imaginer les routes que l’on va emprunter et tenter de percevoir lesquelles se montreront les plus délicieuses à négocier est un plaisir que la technologie moderne nous a fait oublier.
Mais pour les voyageurs qui aiment l’improvisation, la modernité a ses avantages: trouver le restaurant idéal au débotté depuis la géolocalisation de son téléphone est une alternative plus pratique (et aussi riche en surprises) à sa collection de guides gastronomiques entassée dans le coffre. Au hasard de notre périple, notre application nous envoie à Arbois, au Bistrot des Claquets, où l’on déguste une excellente cuisine de popotes, variée et équilibrée, dans une ambiance de café d’antan. Peut-être pas l’adresse où s’arrêtent habituellement les bolides italiens, mais ce genre d’étape fait le charme du voyage au long cours. En attendant le dessert, la question de départ ressurgit. À quoi sert un coupé de grand tourisme ? À oublier l’autoroute, à observer le paysage à travers le pare-brise en cinémascope, et à découvrir des bonnes adresses insoupçonnables. N’importe quelle voiture peut en faire autant, mais sûrement pas aussi vite.