ERIK COMAS
Le pilote
Dans une carrière, il y a des endroits décisifs ; en ce qui me concerne, le Japon en fait partie. C’est au pays du Soleil-levant que j’ai en effet disputé mon dernier Grand Prix de F1, en 1994 : sous la pluie, sur le merveilleux circuit de Suzuka, j’avais fini 9e ce qui m’avait permis de nouer des contacts avec Toyota. Travailler pour le géant japonais me tentait beaucoup, en particulier parce qu’il avait des projets en monoplace CART aux États-unis. Mais pour commencer, il s’agissait d’un programme nippon, avec un volant en Japan Grand Touring Championship et un autre en Touring Cars : d’un côté, des “Silhouette”, véritables protos carrossés pour ressembler (de loin) à des voitures de série ; de l’autre, des tractions avant, assez comparables aux autos qui évoluent de nos jours dans le BTCC britannique. Programme copieux, avec pas moins de 24 courses dans l’année. Copieux aussi en découvertes, avec des autos très différentes les unes des autres, difficilement comparables à une F1. Et ce n’était pas tout : les circuits m’étaient inconnus hormis Suzuka, et s’installer au Japon devenait une nécessité ! Tout a commencé par un essai sur le circuit du mont Fuji, au volant de la Toyota Supra turbo du Team Castrol. Pour être franc… j’ai cru que je n’arriverais jamais à piloter cette voiture! Avec la direction à droite, il fallait apprendre à changer de vitesse de la main gauche, tout en maîtrisant 500 ch qui, turbo oblige, arrivaient en bloc, et en gérant une masse de 1100kg. Deux fois le poids d’une F1 de l’époque, avec les conséquences que l’on imagine en termes d’usure des pneus, de fatigue des freins… Bref, tout un apprentissage, mais aussi de nombreuses similitudes avec la R5 Turbo de Superproduction avec laquelle j’avais été champion de France en 1987 : même brutalité, même nécessité de gérer, de doser. Dès 1996, j’ai remporté une course dans chacune des catégories où j’étais engagé. Mais seules les JGTC me plaisaient: je n’aimais pas, et je n’aime d’ailleurs toujours pas, piloter des voitures à roues avant motrices ! En revanche, je me sentais très bien au Japon, à tous points de vue. Venant de la Formule 1, j’y avais été très bien accueilli et, à chaque course, j’étais bluffé par la passion des spectateurs ! Pas une course avec moins de 100 000 personnes dans les gradins, harnachés de pied en cap aux couleurs de Nissan, Toyota ou Honda, du drapeau au tee-shirt en passant par les chaussures ! Avec une connaissance, un respect, une gentillesse incroyables vis-àvis des pilotes. En fait, L’enthousiasme des spectateurs japonais pour le sport automobile est digne de celui des Tifosi des années 60. Et pour un pilote, ça n’a pas de prix… Tout comme la passion des Japonais pour le travail bien fait. Dans un domaine aussi compétitif que le sport automobile, c’est une qualité essentielle.
Bref, je me suis tout de suite senti bien au Japon, et mieux encore à mesure que j’apprenais à parler japonais, je ne l’écris pas et ne le lis pas, mais je le parle et je le comprends, ce qui s’est vite avéré précieux pour le travail, mais aussi pour les relations personnelles et mon intégration. D’autant qu’au total, ma “période japonaise” s’est avérée beaucoup plus longue que je ne l’imaginais : j’ai en effet disputé les championnats JGTC puis Super GT jusqu’en 2006 ! Avec, en 1998 et 1999, deux titres de champion et en 2000 un troisième seulement pour Nissan. J’adorais les Skyline de ce constructeur, avec leur 6 en ligne puissant et mélodieux, et leur châssis qui permettait d’aller vite tout en faisant le spectacle. Cerise sur le gâteau, Nissan m’a aussi permis de courir au Mans en 1997, 1998 et 1999. C’était d’ailleurs une période un peu folle: comme Nissan avait conçu pour sa marque Infiniti un moteur pour L’IRL, né de la scission entre le CART et l’indy, je m’étais installé en Californie avec l’ambition de construire un programme en monoplace. Malheureusement, le moteur Infiniti était plus lourd et moins puissant que l’oldsmobile qui régnait alors… Il n’empêche que j’ai fait plus de 150 allers-retours au Japon en dix ans, et que c’est aussi là que j’ai monté ma structure de management de pilotes, Comas Racing Management. Après une période en F1 souvent frustrante, j’y ai retrouvé le plaisir de la victoire ! Aujourd’hui, je vais moins souvent au Japon, où ma dernière visite remonte à octobre 2015 pour l’inauguration d’une boutique Zenith à Ginza, en profitant pour faire un détour à Autopolis lors de l’ultime manche GT. Pour de très nombreuses raisons, ce pays sera toujours cher à mon coeur.
“L’ENTHOUSIASME DES SPECTATEURS JAPONAIS POUR LE SPORT AUTOMOBILE EST DIGNE DE CELUI DES TIFOSI DES ANNÉES 60”