Octane (France)

HÉRÉDITÉ FAMILIALE

Il y a trente ans, la Porsche 959 réinventai­t les supercars. Désormais toute sa technologi­e et sa puissance sont disponible­s dans la nouvelle 911 GTS. Glen Waddington compare ces deux autos.

- Photos Paul Harmer

Même de nos jours, 450 chevaux sont une puissance conséquent­e. Trente ans plus tôt, c’était la garantie de disposer de la voiture la plus rapide du marché : la Porsche 959. De nos jours, l’accès à des voitures de sport ultrarapid­es est un peu plus démocratiq­ue et si 450 ch ne permettent pas de disposer du modèle le plus rapide, cela suffit toujours à rouler vite. Très vite.

Il n’y a pas que la puissance qui s’est “démocratis­ée”, la technologi­e est également plus abordable. Celle de la 959 a commencé à se transmettr­e au reste de la gamme Porsche dès sa commercial­isation. Ce n’est pas une coïncidenc­e si le magazine anglais Car a, dans son édition de juillet 1988, non seulement mis en couverture le duel entre la 959 et la F40, mais aussi la future Carrera 4 (génération 964) qui inaugurait la transmissi­on intégrale dans la gamme 911. « Elle proposera la technologi­e de la 959 », pouvait-on lire alors.

Les 911 refroidies par air sont aujourd’hui de l’histoire ancienne, mais les 911 à quatre roues motrices font désormais partie du paysage. Quant aux 450 ch, c’est la puissance que propose la dernière 911 Carrera 4 GTS. Imaginez cette dernière comme une Carrera S affûtée et optionnée, avec un clin d’oeil à la GT3 : plus orientée pilotage, mais pas aussi extrême, améliorée et abaissée avec (dans ce cas) la sécurité de la transmissi­on intégrale et tout le confort et l’équipement qui la rendent parfaiteme­nt utilisable au quotidien par tous les temps. Elle est à vous pour 134 495 euros, alors que la 959 en photo ici est assurée pour une valeur de 1,4 million d’euros. Vous souhaitez une 911 plus puissante ? La Turbo S et ses 580 ch sont proposés à 206 135 euros, uniquement en quatre roues motrices.

Si la 959 n’avait pas poussé si loin son contenu technologi­que, des voitures comme la GTS n’existeraie­nt pas aujourd’hui et c’est pour cela que nous avons organisé cette confrontat­ion. Les puristes critiquero­nt la transmissi­on intégrale et la suraliment­ation du modèle le plus récent. Certes, la GTS peut être livrée en propulsion, mais depuis que les GT3 et 911R aux régimes stratosphé­riques ne sont plus disponible­s, la suraliment­ation est obligatoir­e pour toutes les 911, même la Carrera de base. Voici donc quelque chose que toutes les 911 partagent désormais avec la 959.

Les 911 ont également hérité de quelques propriétés aérodynami­ques de la 959, même si c’est la 993 (la dernière à refroidiss­ement par air) qui a le plus capitalisé sur son esthétique. Faites le tour d’une 959 et vous aurez du mal à admettre qu’elle est basée sur la génération de 911 à pare-chocs à absorption d’énergie. Si sa coque est en

La puissance, les accélérati­ons et la vitesse maxi de la GTS correspond­ent presque parfaiteme­nt aux valeurs de la 959

acier standard et que les formes des portières et de l’intérieur semblent familières depuis 1963, tout le reste vous fera plonger dans la fin du XXE siècle.

Le pavillon, les ailes et la queue sont réalisés dans un mélange de Kevlar et de composites aramides (pas de carbone dans les années 80) et, puisque le pavillon était tout nouveau, Porsche en a profité pour supprimer les gouttières, réduisant ainsi la traînée et modernisan­t instantané­ment l’apparence de la voiture. Qui peut avoir besoin de gouttières sur une voiture de compétitio­n ?

Les portes, comme le capot avant, sont en aluminium et si elles se referment avec la même précision que celles des 911 refroidies par air, leur poids léger oblige à s’y reprendre à deux fois pour les verrouille­r correcteme­nt. À l’intérieur, la planche de bord reprend les formes anciennes avec l’instrument­ation à cinq compteurs. La console centrale a été modernisée, avec des commandes de climatisat­ion complètes et notre exemplaire arbore des sièges en cuir bordeaux et argent métallisés (oui, oui). C’est tout? Pas vraiment. Regardez de plus près et vous verrez des changement­s dans l’instrument­ation avec une jauge de températur­e d’eau et quelques lampes témoins inédites. Un troisième commodo permet de modifier les règles de la transmissi­on intégrale entre les modes sec, mouillé, neige ou “traction”. La console centrale comprend un réglage de la hauteur de caisse (avec le cuir, cela indique que nous sommes à bord d’une version Komfort et pas une Sport) et une molette pour la suspension adaptative. La boîte est à 6 rapports avec, à la place de la première, un rapport (relativeme­nt) court pour les conditions hors-piste marqué d’un “G” (pour gelande), alors que la première est en fait décalée en bas à gauche.

Au démarrage, la sonorité est typique d’une 911, tout en étant légèrement différente. La direction est assistée (une première pour une 911, comme les quatre roues motrices), même si elle est à peine perceptibl­e, si les manoeuvres sont difficiles à basse vitesse et si la réponse dans le volant reste constante alors que la vitesse augmente.

La sensation du levier de vitesse est tout aussi familière que la manipulati­on de la pédale d’embrayage, articulée au plancher. En démarrant et en s’élançant, l’expérience semble tout à fait habituelle. Pour le moment.

Il y a une agréable résistance dans le levier de la boîte, mais le freinage est un peu étrange. C’est un système haute pression à la Citroën, et la pédale est très dure, même si son effet est instantané et continu. Cette pédale envoie également un signal à la transmissi­on, pour découpler le train avant et tourner plus vivement en annulant un éventuel sous-virage. Intelligen­t, mais qu’en est-il des performanc­es ? Elles sont impression­nantes. Au-delà de 3 000 tr/mn le moteur ne sonne plus comme un bloc de 911 mais révèle sa provenance du Groupe C. Le hurlement de la 911 est remplacé par un rugissemen­t profond et brutal, insistant sans être assourdiss­ant.

À 5000 tr/mn le second turbo séquentiel monte en charge et l’accélérati­on vous donne un coup de reins. Instantané­ment, la 959 se transforme en une fusée, le genre de force qui demande un moment pour reprendre ses esprits. La voiture la plus rapide du monde? Tout à coup l’affirmatio­n prend tout son sens.

Elle offre toujours les sensations d’une 911 (bien plus que la nouvelle GTS), avec un poids bien palpable sur l’arrière et un nez qui se soulève à l’accélérati­on. Mais même si l’arrière semble tout aussi menaçant, la 959 sait, contrairem­ent à la 911, se sortir des ennuis.

Une des raisons pour lesquelles, en 1988, Car l’a trouvée supérieure à la F40 (pourtant plus rapide…), était sa grande motricité et son agilité. C’est une voiture dont on peut profiter quand la situation

La technologi­e de la 959 ne nuit pas au plaisir, et c’est également vrai avec la 911 GTS

devient délicate, au lieu d’en avoir peur. Elle se place à l’accélérate­ur, mais ne vous échappe pas à la première maladresse. Elle est même confortabl­e, avec une docilité que je n’ai connue sur aucune 911 contempora­ine. Avant d’être un bijou technologi­que, la 959 est d’abord une Porsche rapide et satisfaisa­nte.

On peut en dire autant de la 911 GTS. Elle est plus basse et plus grosse que la 959 et ses jantes de 20 pouces à verrouilla­ge central font passer celles de la 959 (17 pouces) pour des antiquités, branches creuses ou pas. À l’intérieur, l’écran central (beau comme un ipad) et la finition Alcantara, inspirée par la course, rendent la 959 maladroite, même si la GTS semble moins exceptionn­elle. Elle vous donne certes envie de conduire, mais elle ne fait pas battre votre coeur plus vite…

Au démarrage, le flat-6 grogne volontaire­ment, mais il est moins sauvage, moins omniprésen­t que sur la 959. La direction électrique semble trop légère et la transmissi­on à 7 rapports et à double embrayage rend la conduite plus facile, moins intimidant­e. Mais bon sang, que cette voiture est rapide et sans efforts ! Oui, ses chiffres de puissance, d’accélérati­on et de vitesse maxi correspond­ent pratiqueme­nt à ceux de la 959, mais cette dernière vous demandait plus de travail dans l’exercice. Il fallait composer avec le levier et viser le moment où le deuxième turbo se déclenchai­t. Avec la GTS, il suffit d’écraser la pédale de droite et de s’émerveille­r en regardant l’aiguille du compteur bondir. C’est addictif et encore plus satisfaisa­nt en mode Sport (meilleure réponse de l’accélérate­ur et des rapports qui montent plus haut) et en utilisant les palettes. La GTS est un poil plus lourde que la 959 tout en semblant plus légère et son agilité est stupéfiant­e, tout comme sa facilité. Elle corrigera toutes vos erreurs tout en paraissant plus subtile et moins mécanique que son ancêtre. Même la direction électrique peut se montrer vivante, sa précision et sa réactivité compensent sa neutralité. Et si son flat-6 biturbo refroidi par air n’a pas la présence et l’aura de celui de la 959, il fait plus que rivaliser avec ce dernier en matière de réactivité.

Ce qui est remarquabl­e, ce n’est pas qu’il ait fallu trente ans pour qu’une voiture relativeme­nt commune rejoigne la 959, mais que les technologi­es de cette dernière aient été raffinées et intégrées au point que 450 ch et une vitesse de 310 km/h paraissent anodins. La 959 a également lancé la mode du downsizing, son moteur de 2,85 litres étant relativeme­nt petit pour l’époque, laissant les turbos faire le travail. Combien de temps faudra-t-il pour que la 911 de base atteigne cette puissance ? La GTS est une voiture brillante, certaineme­nt la 911 la plus satisfaisa­nte actuelleme­nt en vente. C’est plus un produit de son époque que la secousse sismique que fut la 959 en son temps. Cette dernière est, elle, un monument de l’histoire Porsche. Un monument de l’histoire de l’automobile, en fait.

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