Octane (France)

DEREK BELL

Le pilote

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Depuis ma première course là-bas en 1971, j’ai toujours entretenu une relation très spéciale avec les 12 Heures de Sebring. Un mélange d’amour et de haine… Cette année-là, je venais de signer pour John Wyer afin de disputer le championna­t du monde des sports-protos, et j’avais débuté par les 1 000 km de Buenos Aires, au mois de janvier. À notre grande surprise, Joseph Siffert et moi avions mené notre Porsche 917K à la victoire.

Tout de suite après venait Sebring. Tracé sur un aérodrome, le circuit était si bosselé qu’il était impossible d’y voir clairement, tant les voitures y étaient secouées. Je me souviens très bien être sorti de la route après que ma suspension a lâché, sous les yeux de Mario Andretti dans sa Ferrari. Plus tard, en bavardant, lui et moi étions tombés d’accord : il fallait être fou pour courir ici. Jo et moi avions fini cinquième, mais cette première visite m’avait durablemen­t “vacciné” contre Sebring. Aujourd’hui, les 12 Heures de Sebring sont une des dernières “grandes classiques” de l’endurance… mais aussi une des seules que je n’ai pas remportées, même si je demeure à ce jour convaincu qu’en 1995, la Spice que je partageais avec Jan Lammers et Andy Wallace a terminé première, et pas deuxième derrière la Ferrari déclarée gagnante. Depuis, de nombreux officiels m’ont avoué, en “off”, qu’il y avait eu une erreur de chronométr­age ce week-end-là. Sebring n’en est pas moins la plus ancienne course d’endurance des États-unis, et la 65e édition des 12 Heures, cette année, était extraordin­aire. J’y suis allé en spectateur anonyme, j’ai dormi dans un camping-car, j’ai parcouru les abords du circuit à pied, et j’ai passé un moment magique. Le revêtement reste catastroph­ique, mais il y avait 150 000 spectateur­s. En Europe, combien sont-ils ?

Dans chaque catégorie, il y a eu de très belles bagarres, même s’il était certain que, sauf miracle, les Cadillac (à châssis Dallara) allaient gagner. Sans grande surprise, Ricky et Joran Taylor l’ont donc emporté au volant de l’auto engagée par leur père, comme ils l’avaient déjà fait aux 24 Heures de Daytona. Comme troisième pilote, ils avaient choisi Alex Lynn, un compatriot­e britanniqu­e transfuge de la monoplace. Je suis très content pour Alex et j’espère que cette victoire en appellera d’autres !

Il y avait pourtant une ombre au tableau : moins d’une semaine avant, nous avions appris la nouvelle de la mort de John Surtees. Ma tristesse était, et demeure d’autant plus grande que notre amitié était devenue, au fil de plus de 40 ans, très importante à mes yeux. J’avais couru pour lui au Grand Prix des États-unis 1970, à Watkins Glen. Je ne me souviens plus des circonstan­ces qui nous avaient rapprochés, sauf du fait que mon mécène de l’époque, Tom Wheatcroft, avait prêté pour l’occasion son V8 Cosworth au Team Surtees. Ce moteur, ex-lotus, avait servi sur notre Brabham de formule Tasmane, et il avait connu des jours meilleurs. Mais ce jour-là, dans l’excellente Surtees TS7, il fonctionna à merveille. Compacte et légère, la TS7 était très proche d’une F2 équipée d’un moteur de F1. Je me souviens avoir doublé Reine Wisell dans sa Lotus 72 pour prendre la 6e ou 7e place, avant que l’embrayage ne se mette à vibrer. J’ai terminé la course en prenant 1 000 tours de moins que d’habitude pour ménager la mécanique, en 6e position, ce qui m’apportait un point au championna­t pilotes. Reine, lui, montait sur la 3e marche du podium… En tout cas, Surtees et Wheatcroft étaient ravis, au point que nous avons très vite envisagé la possibilit­é d’une saison complète en 1971.

Même si les discussion­s étaient âpres, j’avais bon espoir… jusqu’à ce que Rolf Stommelen arrive avec un gros chèque de Ford-allemagne, et emporte le volant ! Je n’ai de ce fait conduit pour John qu’en F2, à quelques occasions, avant de le rejoindre finalement en F1 en 1974. Hélas, les Surtees n’étaient plus compétitiv­es à ce moment-là. Mon coéquipier Jochen Mass et moi devions nous battre pour arracher une simple qualificat­ion…

J’aurais aimé que John Surtees connaisse le même succès en tant que patron d’écurie que comme pilote ; hélas, le Team Surtees n’a jamais remporté de Grand Prix. John savait très bien ce qu’il voulait. En tant que patron, cela le rendait parfois difficile à vivre, mais c’est aussi ce qui lui avait permis de devenir le champion exceptionn­el qu’il était. En moto, en F1, mais aussi en sport-protos : on oublie souvent qu’il a été champion Can-am en 1966, à une époque où cette catégorie était une véritable foire d’empoigne, et où tous les coups étaient permis, même en piste. John, “Il grande John” comme l’appelait Enzo Ferrari, était un battant. Je suis heureux de l’avoir connu. DEREK BELL a débuté en compétitio­n en 1964 sur une Lotus 7, avant de devenir un des meilleurs spécialist­es de l’endurance. Deux fois champion du monde en sports-protos (1985-1986), il a remporté trois fois les 24 Heures de Daytona (1986, 1987, 1989) et cinq fois les 24 Heures du Mans (1975, 1981, 1982, 1986, 1987).

“LE REVÊTEMENT DE SEBRING ÉTAIT SI MAUVAIS QUE LA SUSPENSION DE MA PORSCHE 917 N’Y A PAS RÉSISTÉ”

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