LA MAZDA COSMO A 50 ANS
Voilà cinquante ans que Mazda a lancé son premier modèle de série équipé d’un moteur rotatif. Retour sur la trajectoire de la Cosmo.
Bizarre et magnifique : le coupé à moteur rotatif à la japonaise
Cela fait un demi-siècle que la première voiture de série munie d’un moteur rotatif Wankel a foulé le sol des concessions. À l’époque, vous aviez même le choix entre deux modèles: la NSU Ro80 et la Mazda Cosmo, notre sujet du jour.
Lorsque le constructeur allemand (qui a viabilisé l’usage automobile de l’invention de Felix Wankel) a autorisé son homologue japonais à produire son propre moteur rotatif sous licence, il ne s’attendait peut-être pas à ce qu’il en fabrique plus que tous les autres réunis. Ils sont d’ailleurs nombreux à s’y être essayés, plus ou moins timidement, et pas seulement dans l’automobile. La perspective de produire des moteurs puissants avec une architecture compacte a également séduit les fabricants de motos, et même d’avions. Evidemment, il faut évoquer Citroën, qui s’y est essayé en 1969 avec la M35 à simple rotor, développée sur base Ami, avant de faire le grand saut avec la GS Birotor en 1974 (voir en page 128). Celle-ci consommait hélas beaucoup trop pour se vendre correctement dans ce contexte de crise pétrolière, ce qui eut pour effet de mettre un coup d’arrêt au projet.
Mercedes-benz s’est également lancé en 1969, avec la série de véhicules expérimentaux C111. Les premières itérations de ces GT à moteur central étaient dotées d’architectures à trois, puis à quatre rotors, avant que le programme ne soit réorienté sur le diesel. Norton mérite également d’être cité pour avoir commercialisé des deux-roues à moteur rotatif. La liste de ceux qui ont eu recours à cette technologie est longue et compte de nombreux échecs, et ce sont sans conteste NSU (le pionnier) et Mazda (qui a produit des moteurs rotatifs jusqu’en 2012) qui en sont les meilleurs ambassadeurs.
L’IDEE D’UN MOTEUR qui s’appuie sur un rotor triangulaire aux bords convexes monté sur un excentrique et évoluant au sein d’une trochoïde (stator), germe dans l’esprit de Felix Wankel dès 1929. Toutefois, ce n’est qu’en 1951, alors qu’il travaille chez NSU, qu’il peut lui donner forme. Le projet de Wankel repose sur un complexe système de carters imbriqués et c’est Hanns Dieter Pasch- ke, également ingénieur chez NSU, qui va concevoir une version simplifiée du moteur. Les deux solutions sont prêtes à être évaluées en 1957 et c’est finalement celle de Paschke qui reçoit le feu vert, au grand dam de Wankel.
En 1960, Curtiss-wright (le fabricant américain de moteurs d’avion) se joint à NSU pour développer plus encore le moteur Wankel. Un an plus tard, Toyo Kogyo (le nom de Mazda à l’époque) envoie quelques-uns de ses ingénieurs à Neckarsulm pour en apprendre davantage sur ce moteur révolutionnaire, avec déjà dans un coin de la tête l’idée de produire leur propre version sous licence. Les ingénieurs japonais constatent alors de leurs propres yeux ce qui freine l’essor du moteur rotatif : lors de phénomènes vibratoires, les segments d’arête en acier du rotor endommagent le plaquage chrome des segments de flanc du stator.
De retour à Hiroshima, Kenichi Yamamoto (motoriste en chef de Toyo Kogyo) et son équipe se mettent au travail, bien déterminés à donner de l’élan à ce moteur si prometteur. Toutes sortes de matériaux sont testées pour les segments, y compris des ossements animaux, sans succès. Le problème est réglé en 1963, à l’aide de segments d’arête comportant un évidement en forme de croix, ce qui a pour conséquence de décaler la fréquence de résonance et donc d’éliminer les vibrations.
Il faudra cependant attendre jusqu’en 1965 pour que les problèmes d’usure prématurée soient définitivement résolus, avec cette fois des segments en alliage d’aluminium et de carbone imaginés par le chef métallurgiste Jun Miyata.
De son côté, NSU a utilisé des segments d’arête en acier sur la Wankel Spider, construite en série limitée sur base de Prinz Sport et destinée à évaluer le Wankel auprès d’une clientèle très restreinte. Cette solution fut hélas conservée sur la Ro80, avec les problèmes d’usure que l’on connaît, engendrant des coûts de prise en garantie dont la firme ne se relèvera pas. à l’inverse, les moteurs Mazda se sont révélés dans l’ensemble fiables.
Si la NSU Spider que nous évoquons est certes la première voiture de (quasi) série dotée d’un moteur rotatif, Mazda n’était pas en reste et a présenté le
premier prototype de la Cosmo en 1963. Le birotor (L8A) de cette dernière cubait 798 cm3, ce qui selon les règles de l’époque équivaut à 1 596 cm3 dans une architecture classique à pistons. Le prototype suivant, apparu au salon de Tokyo de 1964, est passé à 982 cm3 et développait 110 chevaux. Début 1965, 80 Cosmo de présérie ont été confiées à des ingénieurs et concessionnaires de la marque pour déverminage. Le lancement Cosmo 110S interviendra finalement courant 1967.
ELLE EST BASSE. TRÈS BASSE, MÊME. Cet exemplaire est une Cosmo Série II de 1968 et non une 110S. Son moteur 10B développe à présent 130 chevaux et elle comporte tous les attributs d’une sportive de l’époque. Bien qu’elle ait été commercialisée en Europe, rares sont ceux qui en ont acheté une. La nôtre a été importée du Japon en pièces détachées, avant d’être restaurée.
Les Série II se distinguent des Série I par leur prise d’air béante sous le pare-chocs, en lieu et place des huit persiennes verticales. Elles disposent également d’un empattement plus long (d’environ 15 cm), bien que leur longueur totale soit identique aux Série I. Enfin, leur pare-chocs arrière est moins enveloppant, de manière à conserver l’esthétique de la Série I malgré les centimètres gagnés.
Il est arrivé que l’on attribue à Bertone le dessin de la Cosmo, mais celui-ci est le fruit de Heiji Kobayashi du bureau de style Mazda. Nommée en hommage à la conquête spatiale, ses traits peuvent effectivement rappeler les travaux des carrossiers italiens contemporains, au niveau des passages de roues par exemple. Pour autant, la Cosmo a une allure bien à elle.
Faisons à présent l’inventaire des détails qui constituent sa panoplie de sportive : phares carénés, rétroviseurs obus (à l’origine du moins, celle-ci ne les a plus), petits déflecteurs d’air sur les balais d’essuie-glaces, ouïes sur les ailes avant. Le compte est bon pour la proue. À l’arrière, on trouve d’immenses feux rouges, qui s’illuminent de part et d’autre du pare-chocs.
À l’intérieur, les compteurs ronds sont abrités sous une casquette qui s’étend vers le levier de vitesse. Les interrupteurs, bien qu’ils aient l’air d’un bricolage, sont parfaitement d’origine, si ce n’est ceux qui commandent les pleins phares et le klaxon en lieu et place d’un commodo défaillant. Le volant Nardi réglable en profondeur n’est, quant à lui, pas d’origine et s’apparente plutôt à ceux que l’on trouve dans certaines MX-5. Cela dit, il ne trahit pas l’esprit, ce qui reste l’essentiel.
Bien enveloppés dans les sièges compacts habillés de vinyle au motif pied-de-poule, les occupants de la Cosmo ne manquent pas de place pour les jambes, mais sont également installés au ras du sol. Cette position s’accorde d’ailleurs idéalement avec la vue plongeante sur le capot, obtenue grâce au faible encombrement du moteur. La relative hauteur du tunnel de transmission permet d’apprécier à quel point le reste de la structure est surbaissé.
Avant de démarrer, jetons un oeil sous le capot. Celui-ci bascule vers l’avant pour nous révéler ce qui propulse la Cosmo : à première vue, cela ressemble à un gros carter sur lequel viennent se greffer quelques auxiliaires. L’allumage mérite toutefois que l’on s’y attarde, avec ses deux têtes qui alimentent chacune une bougie par rotor. Ce système permet de déclencher successivement deux étincelles, l’une à 2° après l’équivalent du point mort haut et la suivante à 7°, orientant ainsi le front de flamme et avec lui le sens de rotation du moteur. À cet effet, précisons que le compte-tours n’affiche pas la vitesse de rotation du moteur mais celle de son arbre de sortie, qui lui est trois fois supérieure. La démultiplication interne est faite pour qu’à chaque rotation de l’arbre correspondent deux explosions, une sur chaque rotor, décalées de 180°. Voilà la raison pour laquelle la sonorité de ce Wankel se rapproche de celle d’un quatre-cylindres classique, bien qu’elle ait une signature qui lui soit propre.
Sous le filtre à air, se trouve un carburateur à quatre corps conçu par Stromberg et fabriqué par Hitachi. Dans un premier temps ce sont les deux corps de
petit diamètre qui alimentent chaque rotor, avant d’être secondés par leurs grands frères, via des conduits distincts, à mesure que l’accélérateur est enfoncé. L’évacuation des gaz se fait par des conduits situés sur le pourtour la chambre d’échappement, dont l’accès est déterminé par la position de la pointe du rotor. C’est sur ce point que les philosophies respectives de NSU et Mazda divergent. Chez NSU, l’admission comme l’échappement se font par la périphérie du stator, ce qui privilégie la puissance au détriment du couple à bas régime et de la consommation. C’est pour masquer ces défauts que NSU a opté pour une transmission par convertisseur de couple, là où notre Mazda est équipée d’une boîte manuelle à 4 rapports tout à fait conventionnelle, et un peu bruyante d’ailleurs.
Un coup d’oeil sous la voiture permet de constater qu’elle est équipée d’une direction à crémaillère, de triangles munis de ressorts hélicoïdaux à l’avant, et d’un pont de Dion (muni d’arbres à cannelures coulissantes) avec des ressorts à lames à l’arrière. Un mélange typique des années 60, mais encore faut-il qu’il fonctionne une fois en mouvement.
LE MOTEUR N’EMET AUCUNE VIBRATION ou résonance mécanique, et prend des tours à la manière d’un deux-temps. Il émet d’ailleurs un joli panache bleu. « Il vient d’être reconstruit, il fumera moins une fois rodé » me dit-on. Espérons-le, car en l’état une vieille mobylette paraît moins nocive pour l’environnement.
Une petite quantité d’huile est ajoutée directement au mélange formé dans le carburateur pour lubrifier les segments d’arête et assurer une étanchéité optimale. La valeur théorique est de 2,2 ml toutes les 7 minutes au ralenti, mais elle en consomme vraisemblablement plus. Un essai d’époque indiquait qu’elle pouvait engloutir 1,5 litre d’huile en un peu plus de 2 500 kilomètres, ce qui n’était pas si mal à la fin des années 60.
Une chose est sûre, le moteur répond parfaitement, son architecture étant peu propice à l’inertie. Il
bourdonne avec enthousiasme à mesure qu’il prend des tours. Si ce n’était pour l’aiguille démissionnaire du compte-tours, je pourrais constater qu’il prend sans difficultés ses 7 000 tr/min, seuil auquel il devrait délivrer ses 130 chevaux. Dans la mesure où la mécanique est encore en rodage, je la ménage un peu, d’autant que la fougue semble se tasser un peu avant le régime maximal. Le caractère vivace de cette mécanique ne fait toutefois aucun doute, ce que confirment les 140 Nm de couple annoncés à 5 000 tr/min. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, elle ne manque pas non plus de vigueur à bas régime. Elle tracte proprement dès 1 500 tr/min, sans exiger de rétrograder avec un grand coup de gaz, et s’avère à ce titre aussi facile à mener qu’une MG B, pourtant réputée coupleuse. Il n’y a guère que sur certaines phases, comme au levier de pied ou sur un filet de gaz, que le moteur rappelle son architecture particulière en hoquetant comme un deux-temps.
La Cosmo est-elle rapide ? Les Série I sont données pour 185 km/h et 9”3 au 0 à 100 km/h. Des chiffres qui les placent « à mi-chemin entre une Triumph TR4A et une Lotus Elan +2, sans être aussi économiques », comme l’affirmait le magazine Motor à l’époque. Les Série II gagnent 15 km/h en vitesse de pointe mais perdent une demi-seconde de 0 à 100 km/h. Elle s’avère surtout très agréable à mener, grâce à une direction légère mais communicative, et à un gabarit réduit.
L’arrière a une tendance au rebond un peu trop prononcée, ce qui limite la stabilité et la précision de l’ensemble. Il faudra donc trouver une chaussée relativement plane pour apprécier l’agilité avec laquelle la Cosmo se défait des virages, surtout si elle est aidée par un bon dosage des gaz en sortie. De meilleurs amortisseurs à l’arrière feraient sans doute une vraie différence. Le freinage est bon, même s’il utilise le plus petite servo qu’il m’ait été donné de voir.
À vrai dire, la rareté de cette auto, et donc de l’expérience derrière son volant, importe plus que ses qualités dynamiques. Il n’y eut que 343 Série I et 1 176 Série II avant que la fabrication ne soit stoppée en 1972. Elle a cependant ouvert la voie à une belle descendance, que nous avons en partie détaillée dans les deux pages qui suivent.