LES COULISSES D’UNE RENAISSANCE
La visite des installations de Newport Pagnell nous révèle certains secrets de fabrication de la nouvelle DB4 GT.
CHEZ ASTON MARTIN WORKS les similitudes avec 1959 sont plus nombreuses qu’on ne l’imagine de nos jours. Certes, à l’époque les châssis n’étaient pas assemblés à Newport Pagnell mais dans l’une des usines David Brown à Huddersfield. Cette fois-ci, Aston Martin a envisagé divers sous-traitants spécialisés, mais aucun n’était en mesure de respecter les exigences. Un châssis d’origine provenant d’une voiture en cours de restauration a donc été numérisé afin de disposer de plans 3D conformes pour chacune des pièces. Les nouveaux châssis ont ainsi été fabriqués à partir de gabarits neufs, en utilisant de l’acier du même type qu’à l’époque, mais avec des traitements modernes. Les assemblages se font ainsi au millimètre.
« Ces châssis ont une espérance de vie supérieure à la nôtre », affirme Paul Spires. Les techniques de soudure actuelles les ont également rendus plus rigides. La structure Superleggera d’origine est respectée, mais les tolérances d’assemblage ont été réduites afin d’obtenir des voitures aux cotes plus symétriques qu’il y a 60 ans. Les ancrages de suspension sont identiques à l’origine, comme le sont toutes les fixations du châssis. Dans la mesure où les nouvelles voitures sont destinées à la piste uniquement, la décision a été prise de s’inspirer des DB4 GT lightweight dont il n’existe que huit exemplaires. Chaque exemplaire de cette continuation est donc conforme aux exigences d’allégement d’époque. Cela signifie, par exemple, que les sections carrées du châssis sont perforées, et que certains panneaux de la structure sont en aluminium et non en acier. Enfin, la carrosserie est également plus fine : 1,02 mm au lieu de 1,29 mm.
C’est d’ailleurs au niveau de la carrosserie que les méthodes ont le plus évolué. Puisqu’il n’y a plus assez de tôliers qualifiés de nos jours pour produire les 25 DB4 GT dans le délai imparti, Spires a pris cela comme une opportunité pour tester d’autres méthodes, en faisant appel
aux meilleurs partenaires, pour finalement mieux maîtriser la forme. Quatre DB4 GT ont ainsi servi à numériser la forme de la carrosserie en 3D. Il n’en fallait pas moins pour lisser les imperfections de l’artisanat et les petites histoires de chaque exemplaire. Le modèle de CAO ainsi obtenu a permis de créer des matrices et des presses en composite, analogues à celles de l’industrie aéronautique. La plupart des éléments de carrosserie sont ainsi emboutis, en prenant soin d’utiliser des tôles d’aluminium comparables à celles d’antan. Les différentes pièces sont ensuite soudées entre elles sur le site de Newport Pagnell, comme à l’époque, avant d’être associées au châssis; le tout allant poursuivre sa route vers l’atelier de peinture. La suspension reprend l’architecture d’origine mais y apporte quelques touches de modernité en vue d’un usage sur piste. L’essieu arrière et le différentiel à glissement limité sont refabriqués à l’identique, tout comme la suspension avant, mais les silentblocs en caoutchouc ont été améliorés. « Le châssis est plus rigide et nous avons l’opportunité de l’exploiter sans la souplesse des vieux caoutchoucs », explique Spires.
Les réglages autorisés sont également plus nombreux que sur les exemplaires originaux. Les amortisseurs arrière demeurent certes à levier, mais à l’avant ils sont télescopiques. Des ajustements ont
C’EST AU NIVEAU DE LA CARROSSERIE QUE LES MÉTHODES ONT LE PLUS ÉVOLUÉ
été apportés à la géométrie, qui est notamment le fruit de l’engagement des DB4 en championnat historique depuis les années 80. Les freins demeurent inchangés: disques et étriers de compétition, avec des plaquettes conçues pour être changées rapidement. D’apparence, la boîte de vitesses ressemble à celle d’origine, mais son fonctionnement n’a plus rien à voir. Il s’agit désormais d’une boîte à crabots, idéale pour un usage sur piste et quasi indestructible de surcroît. Le moteur, lui aussi, a été numérisé à partir d’originaux puis examiné sous toutes les coutures. Cette méthode de travail aurait sans doute eu des allures de science-fiction pour Tadek Marek, qui a conçu cette mécanique. Les techniques de fonderie actuelles ont permis d’obtenir des pièces plus solides, et concourent à faire de ce moteur un chef-d’oeuvre. Fabriqué chez l’un des partenaires d’aston Martin (au sein de la “famille”), il a donné entière satisfaction dès les premiers essais au banc.
L’habitacle est celui d’une voiture de piste de l’époque : tapis de sol en caoutchouc, tunnel de transmission recouvert de cuir matelassé et contre portes en cuir. La concession la plus visible à la modernité est la pose de baquets certifiés FIA au maintien parfait.
L’idée de vendre 25 DB4 GT a pu en rendre nerveux plus d’un, ce qui est assez compréhensible. Aston Martin naviguait à vue, mais Spires avait bien compris son marché et savait qu’il trouverait des preneurs. De fait, les 25 exemplaires, affichés chacun 1,7 million d’euros hors taxes, se sont vendus en une semaine. Il a même fallu ouvrir une liste d’attente. Un certain nombre de ces voitures ont été achetées par des propriétaires de modèles actuels de la marque, ce qui tendrait à prouver que l’histoire d’aston Martin touche à présent un nouveau public.
C’est une toute jeune équipe qui a assemblé ce prototype et Spires a de quoi être fier. Un généreux propriétaire les a bien aidés en leur faisant don de sa GT de 1961, afin qu’elle serve de patron au processus de numérisation que nous venons de détailler. Cependant, la nomenclature d’époque et plus de 400 dessins ont également été désarchivés pour l’occasion, et ont joué un rôle crucial dans cette résurrection. Des pièces ont été retrouvées au fond du stock d’anciens fournisseurs appelés à la rescousse, et quelques nouveaux aussi. Tout cela n’empêche pas Spires de conclure qu’il aurait sans doute été plus simple de construire la voiture en partant d’une page blanche. Après tout, faire renaître une légende, ça se mérite, non ?