Octane (France)

L’HOMME QUI TOMBE À PIC

Ron Gaudion est venu en Angleterre pour trouver du travail et s’est retrouvé mécanicien de course aux 24 Heures du Mans 1955, 56 et 57.

- Texte Mark Dixon

« APRÈS LE MANS 1955, nous étions heureux, mais nous n’avons pas fait la fête à cause de l’accident. En 1956, nous avons bu quelques bières après avoir relégué l’aston Martin de Moss et Collins. Mais en 1957, quand nous avons fini 1er et 2e, David Murray était si satisfait qu’il a organisé un fabuleux dîner dans l’un des hôtels du Mans. C’était fantastiqu­e. »

Avec son accent australien, Ron Gaudion se souvient de l’époque où il était mécanicien de course dans les stands du Mans, d’abord avec Jaguar en 1955, puis avec l’équipe Écurie Écosse en 1956 et 57. Ron qui ? Il est probable que vous n’ayez jamais entendu parler de lui, mais ce pur Australien a été le premier employé recruté par Jaguar pour assembler les Type D de production, et il a veillé sur elles durant leurs heures de gloire en compétitio­n de 1955 à 1957.

Ron est retourné en Australie en 1958 pour travailler chez BP et a disparu des tablettes depuis. Aujourd’hui, il a fait un rare déplacemen­t en Angleterre pour retrouver ses vieux copains tels que Norman Dewis, avec qui il a travaillé sur le programme Type D.

« J’ai atterri en Angleterre en janvier 1954 et ai trouvé un boulot pour 10 mois à Manchester, se souvient-il. Mais je suis arrivé ici pour approfondi­r mes connaissan­ces sur l’industrie automobile et donc, en janvier 1955, j’ai conduit jusqu’à Birmingham et suis allé rentre visite à Norton, Triumph et Beezer (BSA). Personne n’embauchait… Ma dernière visite était chez Jaguar, un lundi matin. Je n’y ai pas eu plus de chance. »

Heureuseme­nt pour Ron, si le responsabl­e du personnel de Jaguar avait complèteme­nt oublié le nouveau programme de voiture de course qui était sur le point de commencer, la bourse au travail de Coventry s’en souvenait. Deux jours plus tard, il commençait officielle­ment à travailler chez Jaguar. Il était le premier employé engagé pour transforme­r les dessins et les plans de Malcolm Sayer en une vraie voiture, la Type D.

« Le mercredi, à 8 heures du matin, je marchais entre les lignes de production des MKVII et XK140 vers le départemen­t expériment­al. Le superinten­dant, Phil Weaver, m’a expliqué le tout nouveau concept de “monocoque” et m’a demandé de mettre en forme, à partir des plans, le berceau avant avec de l’acier 1/8. »

À l’origine, Ron a été employé comme outilleur, mais alors que la deadline pour Le Mans s’approchait, on lui a confié la tâche d’assembler une paire de voitures de course au départemen­t compétitio­n. Puis, comme il avait déjà un passeport (une rareté alors pour la plupart des Anglais), il a été invité à accompagne­r l’équipe Jaguar au Mans…

Mais tout ne s’est pas passé pour le mieux… Ron était sur le muret des stands quand la Healey de Lance Macklin et la Mercedes 300 SLR de Pierre Levegh se sont percutées, envoyant cette dernière faucher la foule. Plus de 80 personnes ont été tuées et plus de 200 blessées. Ron en garde des souvenirs terribles.

« Il y avait deux types debout juste en dessous de moi, un gendarme et un plombeur, qui étaient là pour vérifier les scellés des voitures. Ils ont littéralem­ent été coupés en deux par la Healey. Le lendemain, nous prenions notre petit-déjeuner derrière les stands, et quelqu’un a remarqué quelque chose qui traînait dans les paddocks. C’étaient les cheveux et la moitié du visage d’une femme qui avait été tuée par le radiateur de la Healey, projetés là depuis les stands. »

Heureuseme­nt, Le Mans 1956 fut un moment bien plus agréable pour Ron. Il venait de rejoindre l’équipe Écurie Écosse de David Murray, qui engageait une seule Type D dans les 24 Heures. Celle-ci a remporté la course, sans aucun incident. « Nous avons eu de la chance de gagner face à une telle concurrenc­e », témoigne-t-il, tout simplement. Pour 1957, Ron fut choisi pour livrer une Type D à moteur 3,8 l à injection au Mans. « Je fermais un convoi de quatre Type D, et alors que nous roulions vers Brighton, j’ai été séparé de la voiture qui me précédait par un fermier frustré qui a déboulé sur la route avec son tracteur. Quand il a changé de direction, j’ai dû rattraper les autres, car je ne savais pas où était l’aéroport de la Silver City Freighter, qui transporta­it les voitures en France! La route était un peu humide et je patinais même sur le dernier rapport. Plus tard, j’ai calculé que, d’après le compte-tours, je roulais à 245 km/h. C’est mon record en Type D ! »

La vie durant la course était tout aussi animée. « Nous étions debout environ 36 heures, de 8 heures du matin le samedi jusqu’au rangement et aux quelques verres d’après-course, tard dans la nuit du dimanche. »

« Après l’édition 1957, nous avons chargé les camions et conduit les voitures directemen­t à Monza, pour affronter les voitures d’indianapol­is sur l’ovale. Ce tracé correspond­ait bien à ces dernières, qui avaient des roues plus grandes, alors que nous devions nous limiter à 260 km/h pour éviter la destructio­n des pneus. Les Yankees reconstrui­saient leurs suspension­s et changeaien­t leurs boîtes à la pause entre chacune des trois manches… Sur nos voitures, qui venaient de disputer Le Mans, nous nous contention­s des vérificati­ons de routine des freins et d’éventuels surrégimes qui nécessitai­ent une dépose de la culasse. »

« Nous avons terminé 4e, 5e et 6e, derrière les Américains. Si ces 500 Miles n’étaient pas découpés en trois manches, mais juste une course d’endurance classique, je pense que nous les aurions écrasés. Nos moteurs étaient très fiables. C’est à peine si nous rajoutions de l’huile lors des changement­s de pilotes, et parfois, nous n’avions même pas à le faire. »

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