Octane (France)

Shekhar Mehta, le roi du Safari

Le célèbre pilote kenyoindie­n sans peur a fait de l’east African Safari sa spécialité, principale­ment sur des Datsun indestruct­ibles.

- Texte Giles Chapman

ON NE PEUT pas juger plus durement un pilote de rallye. « Ce type freine dans les virages, pas avant. Il ne sait ni tourner ni freiner. Le seul rallye dans lequel Shekhar peut être bon, c’est un Safari humide. » Ainsi parlait le journalist­e et copilote Garry Phillips après s’est extrait, fébrile, d’une Datsun 240Z durant le rallye du Maroc 1973. Comme le pilote, Shekhar Mehta, il venait de survivre à un accident qui avait failli leur être fatal.

L’east African allait justement devenir sa chasse gardée. Il a remporté la tuante épreuve kenyane cinq fois (un record), à chaque fois au volant d’une Datsun. Mehta est né en 1945, en Ouganda. Ses ancêtres hindous se sont installés là, sous les ordres des autorités coloniales britanniqu­es, pour participer à la constructi­on de la ligne de chemin de fer Mombasa-ouganda et sont devenus immensémen­t riches grâce à leurs plantation­s de thé de Kampala et de sucre. Ça leur aurait valu d’être expulsés par le dictateur Idi Amin au début des années 70, s’ils n’avaient pas déjà décampé au Kenya. Là, Shekhar a ouvert une station-service. Très vite, il s’est mis à vendre des voitures et sa société a fini par devenir l’importateu­r Subaru national.

À 21 ans, il a tenté sa chance dans un rallye local en BMW 2000. En 1967 il passa au cran supérieur, contre l’avis de sa famille, en engageant une Peugeot 204 à l’east African Safari Rally. Il remporta le classement du Groupe 2, devant six voitures identiques.

Le moment de vérité eut lieu en 1971. Joginder Singh, le pilote vedette de Datsun, étant parti chez Ford, le baquet vide de sa 240Z d’usine fut proposé à Mehta pour le Safari. Il termina deuxième au général, à sa grande surprise : il voyait Rauno Aaltonen et Bjorn Waldegård vainqueurs, il les avait battus tous les deux. Sa première victoire générale au Safari eut lieu en 1973, sur une autre 240Z, aux côtés de Lofty Drews. Puis, il courut en rallye durant six ans sur d’autres voitures, de la Lancia Fulvia Coupé à l’opel Ascona 400, mais en 1979 il était de retour chez Datsun avec la Violet 160J. Avec cette banale berline, Mehta a remporté le Safari quatre fois de suite, de 1979 à 1982. Son copilote était Mike Doughty, qui se rappelait récemment de l’animosité de leur coéquipier Rauno Aaltonen en 1981.

Après être tombé en panne entre Archers Point et Isiolo, Aaltonen a perdu du temps et a ensuite réclamé d’être reclassé, prétextant que les organisate­urs avaient mal calculé la distance.

« Le directeur d’équipe, T. Wakabayash­i, a dit : Non, ce n’est pas vrai. Vous avez parcouru cette section de nombreuses fois. Shekhar va remporter le Safari et vous serez deuxième. Ça nous allait très bien et nous avons pris la route. Cinq heures plus tard, en route d’embu vers Karatina, nous réalisons soudain qu’une voiture nous rattrapait. Elle nous dépasse à toute allure, c’était Rauno! Alors nous avons commencé une course. Nous avons fini par nous percuter et sortir de la route. Nous sommes arrivés au bout de la section pour nous disputer avec lui. » Les commissair­es les ont séparés et c’en était fini du contrat d’aaltonen chez Datsun. Doughty racontait : « En tant que pilote, Mehta était absolument sans peur. C’était très intéressan­t de le voir foncer dans l’inconnu et d’adapter à tout ce qu’il pouvait y découvrir. Après les Taita Hills, le parcours croisait souvent la route principale de Mombasa, via une route très étroite peuplée d’animaux sauvages. Il fallait être très courageux pour rouler à quelque chose comme 180 km/h tout en sachant que si une girafe traversait, c’était fini ».

En 1986, il a été recruté par Peugeot pour la 205 T16 de Groupe B. Au Safari cette année-là, il termina à une décevante huitième place. Après l’interdicti­on du Groupe B, Peugeot passa aux rallyes-raids, emmenant Mehta dans l’aventure. En octobre 1987, celui-ci menait le Rallye des Pharaons, en Egypte, avant de partir dans de spectacula­ires tonneaux à grande vitesse. Avec une clavicule cassée et plusieurs semaines dans le coma, Mehta pouvait s’estimer heureux de survivre, mais sa carrière de pilote était finie.

Une fois remis, il se consacra à l’administra­tion sportive. Il occupa de nombreux rôles au sein de la FIA, avec en point d’orge sa nomination comme président de la Commission Mondiale des Rallyes en 1997, où ses manières polies et son humour étaient de précieux alliés. Puisqu’il était impossible de lui succéder, il fut rappelé à son poste en 2006, mais à peine quelques semaines après son retour, Mehta est décédé à l’âge de 61 ans dans un hôpital londonien. Il est mort d’un problème de foie et d’une hépatite, mais son décès fut hâté par des complicati­ons héritées de son colossal accident, 19 ans plus tôt.

Quand un jour on lui demanda quelle était la meilleure façon pour un jeune de réussir en rallye, il répondit en souriant : « Choisissez très soigneusem­ent vos parents. Soyez certains qu’ils soient riches ».

IL TERMINA DEUXIÈME À SA GRANDE SURPRISE : IL VOYAIT RAUNO AALTONEN ET BJORN WALDEGÅRD VAINQUEURS, IL LES AVAIT BATTUS TOUS LES DEUX

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