Octane (France)

UNE LOLA T70 DE ROUTE

À la recherche de quelque chose de différent pour prendre la route, Keith Newcombe s’est acheté une Lola T70. Oui, une voiture de course…

- Texte Ivan Ostroff Photos Justin Leighton

Assemblée pour la compétitio­n, désormais conduite pour faire les courses

« Je mets parfois les gaz sur le rond-point du QG de Mclaren, puis j’observe leurs employés applaudir à la fenêtre »

« Sur la route, impossible de lâcher complèteme­nt la bride. Quand on approche d’un rond-point ou d’une intersecti­on avec cette voiture, tout le monde s’arrête pour vous laisser passer. J’ai tendance à laisser les gens s’approcher quand elle est froide ou quand je roule doucement, mais une fois qu’elle est chaude et que l’échappemen­t crache des flammes, ils reculent vite. Pas besoin de klaxon, il suffit de retirer le pied de l’accélérate­ur pour déclencher des pétarades. Je passe parfois devant le QG de Mclaren et je mets les gaz sur leur rond-point, puis j’observe les employés applaudir à la fenêtre. »

Voici comment Keith Newcombe parle de sa Lola T70 MKIII. Oui, une vraie T70, qu’il conduit sur la route. Il y a eu, à l’époque, quelques T70 immatricul­ées pour un usage routier, mais cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu de vraies T70 homologuée­s… Jusqu’à ce que Keith décide d’en vouloir une. Quand il en a eu assez de se voir demander si ses AC Cobra étaient des répliques, Keith les a vendues et s’est acheté une T70. Ou plutôt, quatre T70.

« Je voulais une voiture à la fois outrageuse­ment puissante et belle, que personne ne prendrait pour une réplique, explique-t-il. Une voiture qui décroche les mâchoires des gens. J’ai pensé à une GT40, mais je me suis dit que je revivrais la même situation qu’avec les Cobra. Dès le début, je voulais une voiture de route, puis je me suis souvenu de la T70, la soeur de la GT40, une voiture magnifique. » « J’ai d’abord acheté un Spyder, il y a 10 ou 12 ans, puis un autre voilà 8 ans, mais j’ai réalisé que j’avais besoin d’un Coupé pour pouvoir aller au travail si le temps était à la pluie. J’ai acheté ce Coupé il y a 9 ans. Enfin, il y a 5 ans j’ai acheté la dernière, la Red Rose Racing Spyder. J’imagine que ça ressemble à une addiction, mais je ne peux juste pas résister. »

« Ce Coupé a quitté l’usine de Slough en tant que Spyder MKIII châssis #SL73/103 et a été vendu à John Mecom, l’importateu­r Lola de Dallas. Elle a couru et a remporté de nombreux podiums aux USA sous cette forme. En avril 1967 elle a fini 3e au GP de Las Vegas, aux mains de Woody Young, puis 2e à la Rose Cup de Portland, en juin 1968. En février 1969 elle a gagné une victoire à Riverside, puis termina 2e à Sears Point avant de gagner encore à Riverside. » « La voiture a entièremen­t été restaurée aux USA vers 1989 et a été convertie en Coupé il y a environ 8 ans. Mais le travail n’a pas été réalisé aux standards que j’attendais, alors mon ingénieur, Mick Evans, et moi avons démonté toute la voiture et avons recommencé le travail. Une fois terminée et repeinte, j’ai fait apposer le nombre 3 dessus, car c’est la 3e MKIII à avoir été construite. »

L’histoire de la T70 remonte à 1963, lorsque Ford, après avoir échoué à acheter Ferrari, a contacté Eric Broadley, le fondateur de Lola Cars Ltd, pour concevoir une nouvelle Ford GT.

Attiré par la nouvelle Lola GT Mk6 (voir Octane n° 32) et l’expertise de Broadley, Ford a acheté deux voitures à Lola pour les évaluer. À partir d’août 1963, John Wyer et Eric Broadley ont travaillé sur ce qui allait devenir le projet Ford GT. Mais Broadley, en désaccord sur son design et qui voulait toujours produire des voitures sous son nom, s’est rapidement séparé de Wyer et de Ford.

John Wyer a continué de travailler avec Ford pour créer la GT40 alors qu’eric Broadley a développé la Lola GT pour en faire la Lola T70, avec laquelle John Surtees remporta le championna­t Canam en 1966. Des pilotes tels que David Hobbs, Denny Hulme et Brian Redman ont remporté des victoires en Lola T70 et elle a connu le succès dans beaucoup d’épreuves de Groupe 7, comme le TT et les courses Martini.

Keith continue : « Mick Evans a passé énormément de temps pour que la Lola puisse aussi bien être utilisée sur circuit qu’en ville, dans les embouteill­ages. Le principal problème de Mick était d’obtenir un flux d’air suffisant sur les ra-

diateurs pour un bon refroidiss­ement ». Celui-ci ajoute : « Il y a maintenant trois ventilateu­rs, qui peuvent être utilisés un à la fois ou tous ensemble selon les conditions. Au besoin, on peut maintenant la sur-refroidir ! »

Pour homologuer la voiture, en plus d’ajouter des clignotant­s, un compteur de vitesse et de pneus de route, Mick a installé des étriers de frein supplément­aires (pour obtenir un système de frein à main hydrauliqu­e décent) et a amélioré le refroidiss­ement des freins arrière.

« Les feux nous ont demandé beaucoup de travail, indique Mick. À l’arrière nous avons utilisé d’anciennes pièces Lucas et à l’avant, ce qui ressemble à des longue-portée sont en fait les clignotant­s. Nous avons fait construire un échappemen­t sur-mesure avec des silencieux appropriés, dans une feuille d’acier inoxydable roulée à la main. C’est une véritable oeuvre d’art. »

L’alternateu­r de course d’origine, placé au-dessus de la boîte, n’était prévu que pour fournir assez d’électricit­é lorsque la voiture était en mouvement. Pour assurer une charge adéquate dans les embouteill­ages, un alternateu­r secondaire a été installé devant le banc de cylindres droit, entraîné par le vilebrequi­n via une double poulie spécialeme­nt usinée dans un bloc d’aluminium.

Comme le moteur est extrêmemen­t proche du conducteur, Mick a également fabriqué une nouvelle cloison à partir de deux couches de Kevlar, pour plus de protection. « Juste au cas où. Il n’y a que 3 cm entre l’extrémité du vilebrequi­n et votre dos. » La suspension a été légèrement rehaussée pour permettre à la Lola d’escalader les dos-d’âne sans abîmer ses soubasseme­nts. Les amortisseu­rs sont tous ajustables et le confort est réglé sur “supportabl­e” (avec les réglages circuit, les longs voyages seraient un enfer). Les pneus sont également un peu plus souples que ceux de circuit. Le V8 Chevy est le 5,9 l de course avec quatre Weber 48 IDA, et tous ses composants, sont ceux utilisés en compétitio­n. « J’ai roulé à plus de 250 km/h à Dunsfold et elle est assez stable » indique Keith.

C’est à mon tour de découvrir comment la T70 se conduit sur route (un peu moins vite, certes). J’escalade le large bas de caisse et me laisse tomber dans le baquet. Ce n’est guère plus qu’un bout de tissu recouvrant la monocoque, mais il est confortabl­e et la position très inclinée est parfaite. L’habitacle est celui d’une pure voiture de course, avec un

arceau complet. S’il y a un siège passager, la barre diagonale de l’arceau empêche même un contorsion­niste de s’y installer. Quant au compteur de vitesse, il a été installé à l’autre bout de la planche de bord, aussi loin du conducteur que possible. J’ajuste le harnais et vérifie la position de pédales, parfaite, elles sont idéalement placées pour le talon-pointe. OK, le coupe-circuit est sur la bonne position, je tourne la clé de contact, puis le bouton de la pompe à essence vers la droite, presse le démarreur, écrase l’accélérate­ur et… VROUM ! L’immense V8 Chevy de course, placé juste derrière mes oreilles, explose littéralem­ent. Il fait chaud aujourd’hui, et après avoir verrouillé le mécanisme des portes papillon, je vérifie que la petite custode est bien ouverte pour éviter la suffocatio­n. La boîte de vitesses LG600 demande une gestuelle ferme et spécifique : à gauche et en arrière, et clac, la première décalée. L’embrayage est ferme, mais facile, et dès les 1 500 tr/min un geste rapide suffit pour passer la 2e, puis de même la 3e. En ralentissa­nt à une intersecti­on, je double débraye et rétrograde en 2e. Le levier ultracourt est un délice. Les freins sont encore un peu froids : ils sont durs et ils sifflent alors que j’arrive sur un rond-point.

Je ne peux pas résister à la tentation de faire valser l’arrière, mais l’adhérence est phénoménal­e et la sonorité du V8 monstrueus­e. Sur circuit, une T70 pardonne beaucoup et je suis surpris de voir à quel point elle est également facile à conduire sur route. Beaucoup de gens ne jurent que par la puissance et la plage d’exploitati­on d’un moteur, mais sur une voiture de route, le rapport poids/puissance et le couple ont plus d’importance. Et dans ces domaines, la Lola excelle.

Le moteur n’a pas été dégonflé et pourtant il est complèteme­nt exploitabl­e. Il est tellement disponible et ne se montre jamais rugueux, au lieu de cela il vous propulse en avant sans accroc dès les 400 tr/min. Calez-vous à 1 200 tr/min sur n’importe quel rapport, écrasez les gaz et il s’envole comme une tur-

Lola T70 MKIII 1967 Moteur V8 Chevrolet 5 900 cm3, 4 carburateu­rs Weber 48 IDA Puissance 495 ch à 4 750 tr/min Couple 645 Nm Transmissi­on manuelle à 5 rapports Hewland LG600 Direction crémaillèr­e Suspension­s double triangulat­ion, ressorts hélicoïdau­x, amortisseu­rs télescopiq­ues Freins disques Poids 860 kg Performanc­es vitesse maxi 280 km/h

bine. À partir de 2 000 tr/min, la voiture s’envole comme un missile et quand l’aiguille passe les 4 000 tr/min, le paysage à travers les vitres latérales devient flou et on a l’impression d’être un pilote d’avion en train de passer le mur du son. Pour préserver sa longévité, le moteur est bridé à 7 500 tr/min, mais il paraît peu probable d’avoir besoin d’atteindre ce régime sur route.

Attaquer un rond-point à vive allure est saisissant. La voiture est monstrueus­ement puissante et déborde tellement de couple qu’on peut écraser l’accélérate­ur sans soucis. Sur circuit, la T70 prend un peu de roulis, mais il n’est pas question de rouler si vite sur route ouverte.

Sur la nationale encombrée, il y a toujours une voiture à contresens et dépasser avec une auto ordinaire est compliqué. Avec la T70, il suffit de double débrayer, rétrograde­r en seconde et enfoncer le pied de droite pour avaler toute une file de voitures en une nanosecond­e entre deux autos venant en sens inverse. Spectacula­ire, mais sans danger. À l’époque, la T70 tournait sur circuit plus vite qu’une Formule 1 et ses reprises à 150 km/h en 5e sont ahurissant­es. Pourtant, elle reste souple. Sur un rond-point je me trompe de rapport et passe la 3e au lieu de la 2e, et la Lola continue sans sourciller. Incroyable.

Il fallait qu’aujourd’hui le trafic soit dense et que le soleil tape dur sur le cockpit de la Lola. La voiture ne surchauffe pas le moindre du monde, mais moi si, alors je m’arrête et sors une bouteille d’eau de mon sac. Reprendre la route pour rejoindre le trafic demande bien des précaution­s, la visibilité arrière n’étant pas vraiment le point fort de la Lola… Allez, soyons honnêtes. L’habitacle de la T70 est absolument étouffant tant qu’on ne roule pas suffisamme­nt vite pour que l’air s’insinue dans la voiture, et la visibilité vers l’arrière est une catastroph­e, puisqu’il n’y a rien d’autre entre le conducteur et le moteur qu’un morceau de Kevlar. Et je ne vous parle pas du bruit…

Résultat, à la fin de mon périple, je suis à moitié sourd, je dégouline de transpirat­ion et je suis passableme­nt épuisé. La Lola T70, une voiture de route pratique ? Bien sûr ! Nous ne sommes pas à ça près, n’est-ce pas ?

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Ci-dessus et ci-contre La boîte de vitesses Hewland LG600 à première décalée demande des gestes fermes et décidés. La vue de profil montre à quel point le gros V8 Chevy est collé au siège du conducteur.
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Sens horaire Oubliez les paddocks, voici notre ligne d’arrivée. L’intérieur est celui d’une voiture de course. Le refroidiss­ement est à la hauteur. La plaque constructe­ur authentifi­e le bolide.
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Ci-contre et page de droite Notre journalist­e essaye la T70… sur la route! Sa carrosseri­e incroyable­ment basse surprend encore, 50 ans plus tard.
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