Octane (France)

LA LOTUS 18 DE STIRLING MOSS

Pilotée par Striling Moss, cette Lotus 18 a remporté deux des plus belles (et des plus inattendue­s) victoires de l’histoire du sport automobile britanniqu­e.

- Texte James Elliott Texte John Colley

Deux victoires héroïques pour un outsider

En entrant en Formule 1 en 1958, Lotus a été directemen­t plongé dans la révolution des moteurs arrière. Les premières voitures engagées par l’écurie, les Lotus 12 et 16 à moteur avant, ont été largement dominées par la concurrenc­e et n’ont guère troublé la hiérarchie de la F1. L’entreprise, fidèle à sa réactivité, a préparé un châssis révolution­naire pour la saison 1960, aussi bien adapté à la Formule Junior et la F2, mais aussi au plus haut niveau des courses de monoplaces. La Lotus 18 utilisait un châssis-cadre à la pointe de la technologi­e, réalisé en acier calibre 18 et 16, et était propulsée par un moteur Coventry Climax FPF à double arbre à cames en tête, en position centrale arrière, d’une cylindrée de 1,5 l à 2,5 l (dans ce cas, celui de la Lotus 16). Sur la Formule Junior 1,0, il était remplacé par le tout premier Cosworth, développé par Keith Duckworth sur la base du moteur de la Ford Anglia. Quel que soit le moteur, celui-ci était monté sur un châssis en Y détachable. Le Climax entraînait la même boîte séquentiel­le à 5 rapports (une évolution de la célèbre Queerbox) que celle développée par Harry Mundy et Richard Ansda pour la Lotus 12. Elle partageait un carter léger en magnésium avec le différenti­el à glissement limité ZF pour former un transaxle. La suspension était à 4 roues indépendan­tes, à triangles, et l’utilisatio­n de composants allégés (et parfois fragiles) permettait de maintenir le poids de la Lotus 18 sous les 500 kg, conforméme­nt au règlement. C’était suffisamme­nt léger pour être compétitif face à ses rivales. Les freins étaient à disques, inboard à l’arrière jusqu’à ce que l’arrivée de la boîte Colotti force à les déplacer dans les roues (les habituelle­s Wobbly-web Lotus).

C’est sur ces nouvelles voitures que Stirling Moss (qui courait sous les couleurs de l’héritier des whiskys Rob Walker) et les pilotes du Team Lotus, Innes Ireland, John Surtees et Alan Stacey se sont alignés sur la grille du GP de Monaco, le 29 mai 1960, trois mois après les débuts fort prometteur­s du modèle en Argentine (le premier GP de la saison). Moss a signé un rapide tour en 1’36”3 aux essais, une seconde de mieux que son rival le plus proche, et s’est retrouvée en pole devant les Cooper de Jack Brabham et de Tony Brooks. Ireland, 7e, était le pilote Lotus suivant le plus rapide.

Du départ à l’arrivée, Moss et sa Lotus 18, châssis n° 376, furent intouchabl­es. Après près de 3 heures de course, Moss a terminé quasiment une minute devant Bruce Mclaren (Cooper) et Phil Hill (Ferrari). C’était la première victoire de Lotus en Formule 1. Colin Chapman, le patron de Lotus, a accueilli avec des sentiments mitigés cette victoire acquise sous les couleurs d’une autre équipe. Plus tard, il se montrera plus hésitant à l’idée de transmettr­e les innovation­s de Lotus à ses clients. À la fin de la saison, l’industrie des voitures de course anglaises a connu un coup d’arrêt lorsqu’elle s’est opposée au changement de poids et de cylindrée instauré par le règlement 1961, au lieu de s’y adapter. Alors, les équipes anglaises, après avoir perdu la bataille, ont pris du retard sur leurs rivales européenne­s et ont débuté la nouvelle saison avec des monoplaces quasiment inchangées à moteur 4 cylindres 1,5 litre. En face, Ferrari alignait des F1 au nouveau V6 bien plus puissant. Alors, quand Moss est revenu à Monaco en 1961 avec une autre Lotus 18, cette voiture âgée d’un an était, par la grâce du changement de réglementa­tion et la vitesse à laquelle les ingénieurs de F1 travaillai­ent, totalement archaïque. Il s’agissait du châssis n° 912, en photo dans nos pages, apparemmen­t commandée à l’origine par la nouvelle équipe UDT Laystall. Non seulement il allait affronter les terrifiant­es Ferrari 156 à nez de requin de Richie Ginther, Phil Hill et Taffy von Trips, mais aussi les nouvelles Lotus 21 de l’équipe officielle, pilotées par Jim Clark et Innes Ireland, que Colin Chapman avait décidé de ne pas partager. Les chances de victoire pour Moss et la 18 semblaient bien minces, entre autres parce que la 912, bien que rapide en qualificat­ions, n’a pas réussi à finir la seule course où elle fut engagée auparavant, le Glover Trophy à Goodwood. Lorsque le team Walker est arrivé à Monaco, 912 avait gagné une boîte Colotti, un châssis plus rigide et, à l’arrière, un Climax FPF 1 495 cm3 de 2e génération,

Après près de 3 heures de course, Moss a terminé quasiment une minute devant Bruce Mclaren et Phil Hill. C’était la première victoire de Lotus en Formule 1.

développan­t 151 ch à 7 500 tr/min. Elle a également reçu une paire de cuvelages de phares de Citroën, montés à l’envers sur le capot, pour protéger les filtres à essence et à huile.

Contre toute attente, Moss termina la première séance d’essais 4e, malgré un mystérieux problème de carburatio­n. Après que l’équipe eut travaillé toute la nuit pour réparer les Weber, l’as britanniqu­e, au sommet de sa forme, a signé une pole en 1’39”1 devant Ginther et Clark.

Puis un jeune mécanicien de l’équipe, qui avait à peine 20 ans, a suggéré une modificati­on qui allait permettre à 376 d’entrer dans l’histoire de la F1 (et de la photo). Tony Cleverley avait commencé par retirer quelques panneaux en fibre de verre de 376 en Australie lors de la Série Interconti­nentale, pour refroidir le pilote dans la torpeur de Warwick Farm. Alors que la températur­e montait ce jour-là à Monte-carlo, il a suggéré la même opération et c’est ainsi que la Lotus a pris le départ dans cet aspect inachevé.

Impossible de dire quelle aide cette modificati­on a apportée, mais, après que Ginther l’a dépassé au départ, Moss a repris la tête au 14e tour pour s’envoler. Il est resté en tête jusqu’au drapeau à damier pour remporter l’une des plus belles victoires d’outsider de l’histoire de la F1, et devenir le premier triple vainqueur en Principaut­é.

Quelle était l’importance de cette victoire ? Le magazine Autocourse a écrit que c’était « un pilotage qui l’a fermement placé parmi les représenta­nts immortels du sport », alors que le patron de l’équipe Walker l’a considéré comme « le meilleur pilotage par n’importe quel pilote que je n’aie jamais vu de ma vie ». Même Moss a admis qu’il a dû travailler dur pour cette victoire : « J’ai conduit à fond du 3e tour au 100e. J’étais juste à la limite. »

La rechute fut rapide. Le châssis 912 fut à la peine lors des courses suivantes à Zandvoort (4e) et Spa (8e), avant d’abandonner à Reims et à Aintree. Alors, la confiance était au plus bas quand l’équipe est arrivée au Nürburgrin­g au mois d’août pour parcourir 15 fois les 23,6 km de la Nordschlei­fe comptant pour les GP d’allemagne et d’europe. Avec le nouveau V8 Coventry Climax dans la T58 de Jack Brabham et la maîtrise de ce diable de Phil Hill qui a battu le record du tour avec sa Ferrari, les choses s’annonçaien­t mal pour Moss et 912, malgré la carrosseri­e 18/21 plus fine installée depuis Spa. Mais encore une fois, Moss allait défier la logique pour terrasser l’opposition, prenant l’avantage d’un choix de pneus intelligen­t et de la pluie, pour finir 1er avec 20 secondes d’avance. C’était encore une sacrée victoire.

Moss a remporté une victoire de plus avec la voiture cette saison, dans une course hors championna­t à Modène, mais 912 a également été impliquée dans un grand subterfuge, lorsque le gentleman Innes Ireland, bon ami de Moss, a échangé sa Lotus 21 contre la 18/21 de ce dernier à Monza pour lui faciliter les chances au championna­t. C’était vain : aucune des deux voitures n’a terminé la course.

L’histoire de 912 aurait pu s’arrêter là, avec deux des plus belles victoires de Moss en GP à son actif. Mais cette voiture de course était loin de prendre sa retraite. Walker l’a louée au Comte Volpi pour la saison 1962, qui l’a peinte en rouge et l’a fait courir aux mains de Nino Vaccarella, Colin Davis et Carlo Abate, sans

grands résultats. Après l’avoir de nouveau récupérée, Walker l’a ensuite vendue à Tim Parnell. Puis, Frank Lythgoe a racheté 912 pour l’équipe Ashley Smithy Garage, avec laquelle Dave Ree l’a pilotée en Formule Libre, dans une livrée orange vif. Son propriétai­re suivant, Robin Darlington, un fermier gallois, l’a achetée 800 livres sterling, avant de l’échanger contre une Jaguar Mk2 3,8 litres à Red Rose Motors, qui l’avait mise en vente via le magazine Autosport en 1964. Elle est alors passée aux mains de Tom Wheatcroft, qui s’est rapidement constitué la plus grande collection de monoplaces au monde. Celui-ci l’a remise aux spécificat­ions visuelles du GP de Monaco 1961 et l’a placée dans le musée de la Collection Donington à partir de 1973.

Elle ne s’est pas totalement endormie: Wheatcroft était si excité à l’idée de l’entendre démarrer, qu’il a un jour sauté à bord pour faire un tour avec sur la route… Et finir arrêté par la police. En 1979, l’ex-beatles George Harrison l’a pilotée à un événement de charité. Il a raconté cet épisode dans le magazine Goldmine : « Ils m’avaient assuré que ce n’était qu’une démonstrat­ion, alors j’ai dit oui. J’y suis allé et me voici entre Jackie Stewart dans la Tyrrell avec laquelle il a remporté le championna­t 1973, James Hunt dans sa Mclaren, Phil Hill et sa célèbre Ferrari… Dès que le drapeau à damier s’est abattu, les autres voitures se sont envolées et la mienne a hoqueté dans un nuage de fumée. »

912 a été réunie avec Moss pour la première fois lors de l’historic Motorsport Show de Londres 2006, puis lors des célébratio­ns du 80e anniversai­re du pilote, à Goodwood, en 2009, mais alors que le musée Donington entrait dans une phase difficile, Kevin Wheatcroft a discrèteme­nt commencé à épurer la collection et a trouvé un acheteur pour la voiture en la présence de l’homme d’affaires Stephen Bond.

Après avoir commencé à courir sur une MGB en 2007, Bond a depuis fait l’acquisitio­n d’une Lotus 26R, d’une Lister-bristol et d’une Maserati 250S. En 2011, il a sauté sur l’occasion d’ajouter 912 à sa flotte. Après 40 ans dans un musée, il y avait beau-

coup de travail pour rendre la Lotus prête à courir et retrouver des suspension­s et un châssis aux spécificit­és de 1961, mais en avril 2012 elle était prête à faire ses débuts à Silverston­e.

Le mois suivant, elle faisait un retour plein d’émotion à Monaco pour le Grand Prix Historique. Bond, intimidé par ce qui n’était que sa seconde sortie en monoplace, a déclaré que c’était la meilleure expérience de sa vie. « Être assis à bord de cette voiture à Monaco… C’est tellement incroyable et émouvant. »

Depuis, Bond a acheté une seconde Lotus 18, le châssis 915, ex-cliff Allison, qui a décollé lors du Members’ Meeting Goodwood de 2016 pour atterrir tête-bêche dans le tunnel piéton. Il a confié le destin en course de 912 à Andrew Hibberd, qui l’a pilotée lors du GP Historique de Monaco 2016, les panneaux latéraux déposés, bien sûr, pour fêter la victoire de Moss. 55 ans jour pour jour après ce moment de gloire, le grand pilote était de retour à Monaco pour retrouver 912 et se souvenir de la course de 1961.

« C’est incroyable de la revoir, témoignait Sir Stirling, cela fait remonter bien des souvenirs. La Lotus n’était pas toujours la voiture la plus forte, mais elle était particuliè­rement efficace à Monaco car très manoeuvrab­le, et elle est si petite que la route paraissait bien plus large une fois à bord. »

« Au début je pensais que les Ferrari jouaient avec moi, mais je savais que j’avais la meilleure voiture pour ce type de circuit. Elle était complèteme­nt sous-motorisée, mais le rapport poids/puissance était toujours très bon. Je pense que la foule était aussi de notre côté. Elle m’a encouragé parce que j’étais l’outsider, dans une voiture privée engagée contre les toutes-puissantes Ferrari. »

 ??  ?? Moteur 4 cylindres Coventry Climax FPF Mk2 1 499,8 cm3, 2 ACT, 2 carburateu­rs double-corps Weber 45DCO Puissance 151 ch à 7 500 tr/min Transmissi­on manuelle Colotti Type 10 à 5 rapports, propulsion Direction crémaillèr­e Suspension AV double...
Moteur 4 cylindres Coventry Climax FPF Mk2 1 499,8 cm3, 2 ACT, 2 carburateu­rs double-corps Weber 45DCO Puissance 151 ch à 7 500 tr/min Transmissi­on manuelle Colotti Type 10 à 5 rapports, propulsion Direction crémaillèr­e Suspension AV double...
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