FORD SIERRA RS COSWORTH
Dans les années 80, Ford avait confié des Sierra Cosworth aux journalistes des plus grands magazines automobiles. Trois décennies plus tard, l’un d’entre eux retrouve sa voiture, et la tentation de reprendre une vie commune est grande…
Réuni avec sa voiture, 30 ans plus tard
es nuages attendus pour la fin de la matinée se sont déjà accumulés au-dessus du parking où nous avons rendez-vous. Dans la vallée, on peut à peine distinguer de minuscules voitures qui rampent le long de l’étroite route qui serpente le long de la colline. La plupart suivent leur traintrain quotidien et, à travers la brume, difficile de reconnaître les modèles, mais j’en vois assez pour savoir qu’aucune n’est celle que j’attends. Et pourtant…
Elle est arrivée par surprise, un visage connu qui fait son apparition dans l’entrée du parking. Les années ont passé, mais elle, elle n’a pas changé. Sa peinture “pierre de lune” brille sous ce qu’il reste de soleil. Même dans mes rêves les plus fous je ne pensais pas la revoir. Me voici face-à-face avec une voiture à laquelle j’ai beaucoup pensé, mais que je n’avais pas revue depuis près de trente ans.
L’HISTOIRE COMMENCE en décembre 1985. Je me trouvais dans le sud de l’espagne avec un petit groupe de journalistes et d’ingénieurs Ford pour tester la dernière voiture d’homologation de la marque. La Sierra RS Cosworth a été conçue par les équipes de Ford Motorsport et Special Vehicle Engineering, avec pour objectif de remettre Ford au premier plan du sport automobile. Les cerveaux du projet étaient Stuart Turner, le directeur compétition européen, et Rod Mansfield, l’homme à la tête de SVE.
Des années plus tard Mansfield en a dit: « Même avant qu’elle ne soit assemblée, le but était de remporter le Championnat d’europe de voitures de tourisme avec, et nous l’avons fait ». Elle allait également contribuer à améliorer l’image de la Sierra et elle fut la toute première Ford à porter le logo Cosworth.
Tous les prototypes de Sierra présents étaient peints en blanc. Nous attendions tous qu’elle soit basée sur la disgracieuse XR4I, mais cette voiture n’avait rien à voir. Elle était dérivée de la carrosserie du modèle de base à 3 portes, qui n’avait pas les custodes arrière de la XR4I et une apparence bien plus pure. Un volumineux bouclier avant s’enroulait autour des larges ailes dessinées pour recouvrir les jantes de 10 pouces de large des versions de course. Mais ce qui attirait le plus l’oeil, c’était l’immense aileron en forme de queue de baleine, reposant avec un unique pilier sur le hayon renforcé de Kevlar. Lors d’essais à des vitesses pour lesquelles la Sierra n’avait jamais été prévue, la tendance de l’arrière à se soulever a été décrite par l’un des ingénieurs comme « un accident sur le point d’arriver ». L’aileron n’était pas là pour faire joli : il neutralisait cette déportance avec 20 kg d’appui.
Chaque pièce ajoutée à cette version RS de la Sierra était fonctionnelle. C’est ce qui la rendait si excitante, c’était une vraie version d’homologation conçue pour répondre aux règles du Groupe A. Celles-ci exigeaient la vente de 5000 exemplaires de route, et que chaque composant apparaissant sur la voiture de course soit homologué pour un usage routier. Le moteur était basé sur le “Pinto” 1 993 cm3 à arbres à cames en tête qui propulsait tant de Ford ordinaires, mais il n’en conservait que le bloc, la pompe à eau, les deux poulies et l’arbre auxiliaire.
Ce moteur a commencé sa vie comme un projet personnel du patron de Cosworth, Keith Duckworth, une sorte de moteur BDA tardif avec lequel Duckworth espérait mettre Ford en appétit pour un nouveau projet en compétition. Appelé Ford Cosworth YA, il ne lui manquait qu’un turbo pour devenir ce dont Mansfield avait besoin (ce sera réglé avec le YBB). Mansfield décrivait en s’amusant la culasse comme « le même vieux truc, 4 soupapes avec une bougie au milieu ». Sous certains aspects, c’était vrai. Elle avait la familière chambre de combustion monopente, mais était équipée de soupapes d’admission de 35 mm et d’échappement de 31 mm, refroidies au sodium.
Le vilebrequin était forgé dans un nouvel alliage en acier haute résistance que Ford gardait secret, tout en affirmant qu’il repoussait les limites de la conception de vilebrequins. Les bielles étaient en acier traité à chaud, avec des gicleurs d’huile pour refroidir les pistons Mahle forgés.
La boîte était une Borgwarner T5 manuelle à 5 rapports, dérivée de celle de la Mustang. En version de production, la Sierra RS Cosworth avait une vitesse de pointe de 240 km/h et pouvait accélérer de 0 à 100 km/h en 6”5, ce qui en faisait l’une des 5 places les plus performantes de l’époque. L’architecture du châssis était la même que celle des Sierra standard, avec des bras Mcpherson à l’avant et des bras diagonaux à l’arrière, mais les jambes raccourcies étaient spécifiques à la RS et la géométrie modifiée des suspensions avant rehaussait le centre de roulis. Les freins puissants employaient des étriers à 4 pistons à l’avant, et les jantes en alliage spécifiques de 7x15 pouces recevaient des pneus Dunlop D40 en 205/50 VR15.
Nous avons trouvé que la direction des prototypes était trop sensible et que l’arrière avait une tendance à décrocher en courbes. Je questionnai l’ingénieur-châssis John Hitchins sur les réglages des suspensions arrière. « Ce n’est pas l’arrière, c’est l’avant », m’a-t-il répondu. Les bras transversaux de la suspension avant étaient équipés de rotules Unibal en nylon plutôt qu’en caoutchouc, pour offrir un confort moins souple, mais celles-ci ne fonctionnaient que trop bien. Les voitures de production étaient revenues au caoutchouc et la direction se montrait plus calme.
FIN SEPTEMBRE 1986, la Cosworth immatriculée D990 PVW était livrée à Performance Car, le magazine que j’éditais (c’était l’ancêtre d’evo, le cousin d’octane), pour un essai “long terme”. La mienne avait été utilisée par la flotte presse Ford et avait déjà 1 815 km au compteur. Dès son arrivée j’écrivais : « Pour la première fois, je découvre une voiture de route proposée à bon prix qui est vraiment excitante ». Je l’ai utilisée comme voiture de tous les jours et de famille pendant 12 mois.
À son lancement, le prix de la RS Cosworth était de 188 700 francs. À ce tarif, on ne trouvait rien de comparable aux performances de la Sierra, grâce non seulement à sa puissance de 204 ch, mais aussi à sa courbe de couple plate et sa poigne à bas régime. Le moteur était réglé pour réduire le temps de réponse et les ingénieurs avaient fait du bon travail, considérant la technologie primitive des turbocompresseurs de l’époque. En décollant à bas régime, l’aiguille de la jauge de suralimentation bondissait à la moindre pression de l’accélérateur. À 3 000 tr/min, la puissance et le couple étaient déjà abondants, le moteur prenant ses aises à 4000 tr/min pour pousser fort jusqu’à 6 500 tr/min. La réponse de la direction, assagie, était toujours vive et précise, bien que, comme toute RS Cosworth, elle était sujette au sous-virage en entrée des virages les plus lents.
Je me suis attaché à la Cosworth et c’est avec beaucoup de réticence que je l’ai rendue une fois les 12 mois passés. Ford vendait les voitures de presse dès que leur mission était achevée, mais il était impossible pour moi de régler les 150 000 francs demandés. Elle avait alors 38 765 km au compteur, dont 36 950 à mon actif. Dans mon dernier rapport consacré à la voiture, j’ai écrit : « Ce 4 septembre a été un jour triste. La fin d’une année avec une classique moderne… Le genre d’expérience qu’on aimerait voir se répéter ».
Son propriétaire suivant était l’une des premières entreprises à proposer des améliorations pour les Sierra Cosworth, Brodie Brittain Racing. Des années plus tard, j’ai cherché sur Google et sur les forums des amateurs Ford pour découvrir qu’elle avait été exportée. En 2016, un ancien lecteur de Performance Car m’a envoyé des photos de D990 PVW, garée quelque part en Angleterre. J’étais excité, mais aussi un peu secoué : revoir ce numéro d’immatriculation après si longtemps m’a inondé de nostalgie. Finalement, je contactai son propriétaire, Dan Mcgregor et, quelques semaines plus tard, me voilà face-à-face avec “mon” ancienne fidèle voiture, essayant d’en croire mes yeux.
LA VOITURE N’A PAS CHANGÉ DEPUIS 1986, MÊME LE KIT DE PREMIERS SOINS SE TROUVE TOUJOURS À SA PLACE
J’apprends rapidement que la Cosworth a voyagé jusqu’en Australie, où elle a été restaurée par SCS Motorsport. Le moteur a été reconstruit avec de nouveaux pistons et préparé “Stage 3” avec un plus gros turbo pour développer environ 300 ch. Les modifications ne se sont pas arrêtées là, avec une suspension légèrement rabaissée et des amortisseurs spéciaux.
Dan a remarqué l’annonce pour la RS il y a quelques années, alors qu’il travaillait en Australie, et s’est jeté dessus. Depuis, il est revenu en Angleterre et l’a ramenée avec lui. Il s’en est bien occupé : la peinture est immaculée, même sur les soubassements, les vitres sont teintées mais ça lui va bien, et les jantes d’origine ont été restaurées. Sous le capot, on trouve bien quelques autres modifications, mais à part cela, la voiture ne semble pas avoir changé depuis 1986.
À l’intérieur, les tissus d’origine sont restés dans un état parfait, avec le niveau de patine que l’on attend d’une voiture trentenaire. Les chromes des badges Recaro sur les sièges ont terni, le tissu est légèrement détendu et le volant en cuir a agréablement vieilli. Même le kit de premiers soins se trouve toujours dans son logement de la plage arrière. La seule chose qui a changé dans l’habitacle est l’ajout de deux compteurs à fond blanc à la place de l’horloge digitale.
Dans mon souvenir la position de conduite était quasi parfaite, mais cette fois je ne me sens pas si à l’aise en m’installant. J’ai oublié que si la colonne de direction est fixe, le siège ne l’est pas… Le démarreur s’élance dans un gémissement caractéristique et le moteur prend rapidement. La sonorité de l’échappement est plus gutturale que dans mon souvenir ; au ralenti, elle était assez anonyme à l’origine. Mais ce qui me surprend le plus est à quel point la Sierra paraît désormais menue. Cette grande familiale est plus étroite qu’une “petite” Ford Focus RS actuelle !
La direction est toujours réactive malgré l’âge de sa technologie, mais elle sous-vire plus en entrée de virage que dans mes souvenirs. Cela peut être dû à la hauteur de caisse plus basse, ou juste à la chaussée humide du jour. Les freins sont aussi bons que par le passé, puissants avec une pédale ferme, mais pas trop sensible comme sur la plupart des voitures modernes. Ce qui a beaucoup changé, c’est la puissance. Le moteur développe aujourd’hui plus de 275 ch, mais le turbo plus gros accuse un temps de retard un peu plus long et le grand jeu débute maintenant vers 4000 tr/min, soit 1000 tr/min de plus qu’à l’origine. Quand la puissance arrive, la Sierra décolle avec vigueur, et sur chaussée humide un peu de prudence est requise, surtout avec des pneus plutôt étroits aux standards actuels. Ça fait du bien d’être de retour dans ce siège, mais le moment de la quitter revient trop rapidement. Durant le long trajet qui me ramène à la maison, le fait que D990 PVW soit de nouveau en vente s’est mis à me travailler. Un jour plus tôt, je me jurais de ne pas m’y laisser prendre et pourtant… Je me suis battu avec cette idée pendant deux jours avant que l’inévitable n’arrive. Ce n’est qu’un coup de fil à passer…
Il a fallu attendre trois décennies, quasiment jour pour jour, mais voici une histoire qui finit bien. Ma Sierra est de nouveau dans mon garage, et cette fois, pour de bon.