Direction St-moritz pour voyager comme en 1969
Partir au ski comme il y a 50 ans? Jean-christophe Langlais ne prend pas le défi à la légère.
LA PREMIÈRE P5B COUPÉ qu’il m’ait été donné de voir m’est apparue un jour d’automne 1996 à la Côte Belge, en bord de mer, comme sortie d’un roman de John le Carré. Elle n’était pas particulièrement entretenue mais avait fière allure avec sa haute calandre, ses cuirs burinés et sa carrosserie Battleship Grey livrée aux embruns.
Depuis ce jour, je me suis promis d’avoir une P5B dans un état équivalent, tout le contraire d’une voiture de mariages, rôle qui lui est parfois dévolu. Ce que je voulais, c’était un véhicule avec un vécu, suffisamment sain pour pouvoir le rendre mécaniquement parfait afin de voyager par toutes saisons à son bord.
La voiture fut trouvée aux Pays-bas, partiellement peinte au pinceau, mais équipée de son intérieur en cuir noir bien patiné, d’un toit ouvrant électrique d’origine et d’un excellent système de chauffage séparé aux places avant et arrière.
Cet hiver, direction les pistes à son bord, avec un objectif : voyager comme en 1969, son année de fabrication. Alors, sur la galerie de toit j’installe deux paires de skis d’époque, des Kneissl White Star RS ayant appartenu à mon père et à mon grand-père.
Plus qu’un hommage, c’est aussi un défi : réapprendre à skier sur de vrais skis de plus de deux mètres, extrêmement efficaces pour qui savait s’en servir – comme Karl Schranz, Willy Bogner (le cascadeur et cameraman des scènes de ski de James Bond dans Au Service secret de sa Majesté) ou encore Gunter Sachs. La P5B a des manières de chalutier, le grand volant en bakélite faisant office de gouvernail. Les fauteuils, dotés d’appuie-tête avec lampes de lecture intégrées, sont aussi moelleux que ceux d’une Rolls-royce Silver Shadow, tandis que le chauffage vous enveloppe dans un confort ouaté des plus délicats.
Le couple du V8 permet de voguer tranquillement sur l’autoroute sans se préoccuper des radars, avant d’emprunter les lacets de montagne où le carburateur Edelbrock quadruple corps et son admission montée en lieu et place des deux S.U font merveille. Je ne saurais terminer sans vous narrer à quel point il est jouissif de rouler vitres ouvertes sur le col du Julier, de nuit, en écoutant Strawberry Fields Forever des Beatles et apercevoir, au loin, les lumières qui éclairent Saint-moritz et la vallée. Le lendemain, descendre de Piz Nair à Celerina d’une traite sur des White Star équipés de lanières en cuir, du John Barry dans les oreilles, pour ensuite déjeuner au Corviglia Ski Club prouve qu’il est tout à fait possible en 2018 de skier comme en 1969. Mission accomplie !
Sens horaire, en partant de ci-dessous
Arrêt devant le vénérable Badrutt’s Palace, hôtel de légende et de tous les excès des années 60 : Gunter Sachs y avait aménagé la tour en appartement-manifeste de la nouvelle Avant-garde avec chambre en plexiglas noir et rose, sanitaires signés Roy Liechtenstein ou encore les fauteuils troupeau de moutons de François-xavier Lalanne. Le domaine skiable Corviglia-piz-nair-marguns. Arrivée tardive au Kulm Hotel, le premier à avoir eu l’électricité en Suisse – c’est également le QG du Saint-moritz Tobogganing Club, créateur du Cresta Run, la seule piste de skeleton en glace naturelle au monde. Au sommet du Col du Julier se dresse cette mystérieuse tour. Les White Star RS retrouvent les mêmes pistes, 50 ans plus tard ; ces skis sont tout simplement exceptionnels, à condition de bien comprendre qu’il ne s’agit pas de carving… Arrêt déjeuner en plein milieu du Julier ; les places arrière de la P5B s’y prêtent à merveille avec leur table de pique-nique et leurs porte-verres.