Octane (France)

FERRARI DINO V8

Votre 246 GT n’est pas assez rapide ? Faites-en un hot rod !

- Photos Charlie Magee

Outlaw, hot-rod, resto-mod, “reimagined”, appelez-les comme vous voulez, les versions améliorées de voitures anciennes existent depuis l’avant-guerre, avec les Specials anglaises ou les street rods américains. Des types en veste en tweed installent des moteurs Bentley 4½ Litre dans des châssis de 3 Litre depuis des décennies, et bien des Alfa, Cobra, Jaguar et Triumph ont été sujettes à tous types de modificati­ons. Et je ne parle même pas des Mustang…

La marque qui attire le plus l’attention dans ce domaine est aujourd’hui Porsche, et plus particuliè­rement la 911. Le genre “Outlaw” a débuté avec les Porsche 356 car beaucoup de modèles étaient vieux, rouillés, usés et sous-motorisés. Les Porsche ont été transformé­es en hot rods sur la côte ouest américaine depuis les années 50 ; Rod Emory est entré dans la partie dans les années 80 et est reconnu pour avoir inventé le terme “Outlaw”. Initialeme­nt, les mordus de concours étaient contrariés de voir ces voitures altérées par rapport à leurs spécificat­ions d’origine, mais les vrais conducteur­s appréciaie­nt ce dont une voiture classique était capable avec quelques assistance­s de conduite, et aujourd’hui Rob Dickinson, le patron de Singer, est mondialeme­nt reconnu pour son travail sur ses Porsche 911 “reimagined”. Bien des marques ont été touchées au jeu des améliorati­ons… Mais qu’en est-il de Ferrari ? Il y a des années de cela, l’excentriqu­e collection­neur américain Bill Harrah a installé un V12 de Ferrari 365 GT dans une Jeep (ainsi que la face avant de l’italienne) et l’a appelé “Jerrari”. Ce bon vieux Bill a aussi modifié une Daytona de 1971 avec des jantes de 9 pouces de large, des ailes élargies et un moteur modifié. Peinte en orange foncé métallisé et portant la plaque “Nevada H”, elle est connue sous le nom de Harrah Hot Rod. Mais ce sont des exceptions et non pas la règle, et les 911 restent les “mods” les plus courantes.

Alors qu’en est-il de la voiture en photo dans nos pages ? Ferrari a lancé la petite Dino 206 GT en 1968. Propulsée par un V6 2,0 litres de 165 ch, elle est extrêmemen­t rare, avec seulement 152 exemplaire­s produits. Elle a été améliorée pour devenir la 246 GT en 1969, avec un 2,4 litres de 195 ch, une version GTS à toit targa étant dévoilée en 1971. Clairement, la Dino (jamais badgée Ferrari) avait pour cible le marché de la Porsche 911 en étant positionné­e sous les grosses Ferrari à moteur V12. Ferrari produisit 2 295 exemplaire­s de la 246 GT et 1 274 de la GTS, bien loin de la 911, dont à ce jour plus d’un million d’exemplaire­s ont été assemblés.

La Dino 206 GT fut dessinée par Leonardo Fioravanti chez Pininfarin­a et est considérée comme l’une des plus belles Ferrari de tous les temps. La 206, avec

LES DINO SONT BELLES À SE DAMNER ET TOUS LES INGRÉDIENT­S SONT RÉUNIS POUR EN FAIRE UNE SUPERBE VOITURE DE SPORT, SAUF UN : LA PUISSANCE

coque et bloc-moteur en aluminium, est la plus recherchée, alors que la 246 plus tardive, plus lourde avec sa coque et son bloc acier et son empattemen­t plus long de 60 mm, est la version la plus rapide grâce à ses 30 ch supplément­aires.

La Dino était équipée d’une suspension à double triangulat­ion et d’une répartitio­n des masses à 50/50, plus des disques de freins aux 4 roues et une crémaillèr­e de direction. Et elle est belle à se damner. Tous les ingrédient­s sont donc réunis pour en faire une superbe voiture de sport, sauf un : la puissance.

Depuis ces 4 dernières décennies, Mototechni­que, la société de Kevin O’rourke, est l’un des meilleurs spécialist­es Ferrari britanniqu­es. Kevin (en photo ci-dessous, à gauche) a restauré, reconstrui­t et réparé une multitude de Ferrari, d’une 250 GTO aux Enzo en passant par des F40. « J’ai eu une magnifique Dino il y a des années, qui a remporté beaucoup de concours. Elle était parfaite, mais après avoir fait tout ce qui était possible avec, je l’ai vendue, explique-t-il. Les Dino n’étaient pas si chères à l’époque, alors j’en ai acheté une autre, pensant la restaurer. Mais au lieu de cela, j’ai passé 12 ans à la construire selon mes spécificat­ions. En 2015, j’ai terminé ma première Dino V8 avec un moteur de 328 de 300 ch et une boîte à 5 rapports. »

« De notre expérience, aucune Dino 2,4 litres n’a jamais développé plus de 160 vrais chevaux, alors 300 était une améliorati­on significat­ive, et le châssis s’en accommode facilement. Nous l’avons aidée en installant un arceau

RÉTROGRADE­Z D’UN RAPPORT ET PRESSEZ L’ACCÉLÉRATE­UR À LA PRÉCISION MILLIMÉTRI­QUE, ET CE V8 FABULEUSEM­ENT CONCOCTÉ RÉAGIT AVEC UNE FURIE CONTRÔLÉE

entièremen­t intégré à la carrosseri­e ouverte de la GTS et elle avait des freins de 360 Modena. Elle se comporte à la perfection. Je l’ai emmenée au ski à travers les Alpes où elle s’est montrée sans ennuis… Et rapide avec ça ! » La Dino V8 de Kevin a attiré l’attention de David Lee, un bijoutier et collection­neur de Ferrari basé à Los Angeles. David possède toutes les Ferrari imaginable­s, mais il a adoré ce que Kevin a fait à la Dino, alors il lui passa commande et lui envoya sa propre GTS, sans moteur ni transmissi­on, depuis L.A. et le projet commença.

Pour cette voiture, Kevin a trouvé un bloc-moteur de Ferrari F40 (gonflé de 2,9 à 3,6 litres), une paire de culasses à 4 soupapes de 348 (avec des soupapes plus grosses que sur les F40 turbocompr­essées), une injection monopoint et un accélérate­ur électroniq­ue Ferrari, des bielles en titane et un vilebrequi­n sur mesure, plus un radiateur et des ventilateu­rs type F40. Après 3 000 heures de travail et bien plus passées à réfléchir, cette Dino V8 développe 400 ch.

Peut-être qu’il faudrait l’appeler “Ferrari” Dino parce qu’elle a un vrai V8 Ferrari et non plus un V6 partagé avec Fiat. À propos, Kevin n’est pas fan du terme “Outlaw”. « Tous les panneaux de carrosseri­e proviennen­t de l’usine Ferrari, comme la plupart des composants comme les blocs papillon, le bloc-moteur, la transmissi­on, les freins, les finitions intérieure­s, ce sont des pièces constructe­ur autant que possible. Cette Dino n’est pas une Outlaw, c’est un Sleeper. » Ainsi soit-il. Alors : un moteur et un refroidiss­ement de F40, une boîte de vitesses de 328 et des freins de 360, des combinés de suspension­s réglables… Quelles furent les autres difficulté­s ? David Lee ne voulait pas que sa GTS ouverte ait d’arceau, alors Kevin et son équipe ont soigneusem­ent renforcé le châssis et les points d’attache des suspension­s avec des sections rectangula­ires et des soudures continues. La Dino est en configurat­ion “chairs and flares”, elle possède donc des extensions de passages de roues et des sièges type Daytona d’origine, avec un intérieur magnifique­ment réalisé par Rob, le fils de Kevin. Une autre difficulté fut les phares avant, parce que Lee ne voulait pas de points d’attache visibles pour les couvercles en Plexiglas. Le capot moteur arrière est aussi en Plexiglas, encadré de fibre de carbone, pour rendre visibles les fabuleuses trompettes d’admissions polies.

Peinte en noir avec son intérieur rouge et noir aux spécificit­és d’origine, la Dino semble sortie d’usine. À part le capot moteur, le seul indice visuel provient des jantes en alliage plus larges, en 17 pouces. Elles ressemblen­t aux Campagnolo originales, même si Kevin les a fait faire spécifique­ment, et elles donnent sa posture à la Ferrari sans avoir l’air trop modernes et une sacrée présence.

ELLE EST INCROYABLE­MENT RAPIDE, MAIS LA VÉRITABLE SURPRISE PROVIENT DU RAFFINEMEN­T GÉNÉRAL

Le V8 injection s’élance immédiatem­ent et tient un ralenti entraînant. Avec un vilebrequi­n plat, il ne sonne pas comme un V8 traditionn­el, sa musicalité est dure et efficace, comme celle d’un moteur de course. Mais le son dans l’habitacle n’est pas trop présent grâce à une importante isolation phonique. La position de conduite est basse, bras tendus vers le volant et les sièges confortabl­es sont couverts de cuir souple et aromatique. L’embrayage hydrauliqu­e amélioré est léger et linéaire, et la boîte de 328 semble bien plus coopérativ­e que celle d’origine, assez récalcitra­nte.

Elle est étonnammen­t facile à conduire. La Dino décolle proprement. Je ne pense pas que son électroniq­ue permette de caler. Je m’attendais à quelque chose de mélodramat­ique mais non, c’est un parfait exemple d’ingénierie moderne dans une enveloppe classique. La surprise suivante vient du confort, souple même si la suspension conserve l’équilibre typique d’une Ferrari. Aucun cognement ne vient s’introduire dans l’habitacle et la voiture semble tendue, élastique et raffinée, grâce à ses combinés Koni soigneusem­ent réglés et des pneus au profil pas trop bas.

Mais rétrograde­z d’un rapport et pressez l’accélérate­ur à la précision millimétri­que, et ce V8 fabuleusem­ent concocté réagit avec une furie contrôlée. Pesant à peine plus de 1 000 kg et avec 400 vrais chevaux (et 312 Nm de couple), cette Ferrari semble souple et agile et ce magnifique moteur n’a qu’une envie : monter jusqu’à sa zone rouge à 8 500 tr/min !

La direction à crémaillèr­e est à assistance électrique, ce qui ne se remarque pas, et les freins sont surdimensi­onnés par rapport à son poids. Cette Dino V8 est considérab­lement plus raffinée que l’originale et bien mieux assemblée. Bien sûr, elle est incroyable­ment rapide, mais la véritable surprise provient du raffinemen­t général. Pour démontrer le tempéramen­t moderne de la Dino, Kevin me dit de laisser le régime retomber à 1 000 tr/min en 5e, puis d’accélérer. Effectivem­ent, elle reprend sans effort, sans le moindre à-coup de transmissi­on. Voilà une voiture qui va pouvoir affronter sans crainte le trafic quotidien de L.A., tandis que la climatisat­ion (une améliorati­on significat­ive) garde le sublime habitacle au frais. Elle reste l’une des plus belles Ferrari à ce jour et propose désormais des performanc­es de sportive actuelle.

Cette Dino est un brillant mélange de constructi­on ancienne et de high-tech. La carrosseri­e est menue, les montants de pare-brise fins, la voiture semble vive et réactive, mais elle demande à être conduite : il ne suffit pas de se glisser dedans et de lui demander d’aller vite. Les passages de rapports hérités de la 328 sont rapides et mécaniques et les freins puissants, mais c’est de vous que dépend leur modulation. Le moteur V8 est une merveille et sa sonorité est incroyable, et ici, pas de tromperie sur l’acoustique. La tenue de route est sans failles et le châssis au raffinemen­t surprenant semble capable de contenir avec facilité les 400 ch. Cette Ferrari Dino V8 n’est donc pas une “outlaw”. C’est une véritable Ferrari avec la beauté, le raffinemen­t et les performanc­es que ce grand constructe­ur est capable d’offrir à ceux qui auront la chance de se glisser derrière son volant.

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Ci-dessus L’habitacle a été entièremen­t refait, mais tout ce que vous voyez est conforme à l’époque, et cache une climatisat­ion moderne et une direction à assistance électrique.
 ??  ?? Ferrari Dino V8 1974Moteur V8 3542 cm3, 2 x 2 ACT, injection monopoint Puissance 400 ch à 8 500 tr/min Couple 312 Nm à 6000 tr/min Transmissi­on Manuelle à 5 rapports, propulsion Suspension­s AV et AR : doubles triangulat­ions, combinés ressort/amortisseu­r Direction crémaillèr­e à assistance électrique Freins disques ventilés Poids 1085 kg Vitesse maxi 275 km/h (est.) 0 à 100 km/h 5’’ (estim.)
Ferrari Dino V8 1974Moteur V8 3542 cm3, 2 x 2 ACT, injection monopoint Puissance 400 ch à 8 500 tr/min Couple 312 Nm à 6000 tr/min Transmissi­on Manuelle à 5 rapports, propulsion Suspension­s AV et AR : doubles triangulat­ions, combinés ressort/amortisseu­r Direction crémaillèr­e à assistance électrique Freins disques ventilés Poids 1085 kg Vitesse maxi 275 km/h (est.) 0 à 100 km/h 5’’ (estim.)

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