Octane (France)

HEALEY D’USINE

Au volant de la première et de la dernière 3000 de rallye

- Photos Matthew Howell

Ce sont des routes parfaites pour une Big Healey – tranquille­s, rapides et avec une excellente visibilité dans les enchaîneme­nts rapides. Notre paire de voitures exusine dépose rapidement les occasionne­ls monospaces dans un appel de phares et l’aboiement de leurs 6 cylindres. Devant, Paul Woolmer creuse immédiatem­ent l’écart, bien qu’il soit au volant de SMO 744 – le modèle le plus ancien et le moins éloigné de la série de ces deux icônes des rallyes. Il me laisse progressiv­ement le rattraper avec BMO 39B, une voiture plus jeune de 5 ans et qui a profité des leçons apprises durant ce laps de temps dans d’intenses compétitio­ns routières.

Après une quinzaine de kilomètres enchanteur­s, nous échangeons nos montures et leurs différence­s apparaisse­nt au grand jour. Alors que nous rebrousson­s chemin, il apparaît évident que, plus douce, SMO est la plus facile des deux à conduire à vive allure – à moins de s’appeler Rauno Aaltonen. Ses trois carburateu­rs SU distillent une puissance plus aisée à exploiter que les Weber de la voiture la plus jeune, même s’il lui manque le punch de cette dernière. Le long levier de vitesse latéral à la longue course se manie aisément, contrastan­t avec la poigne ferme que nécessite le lourd mais précis levier de BMO. Dans les deux voitures, les pignons droits “Tulip” (rallye) demandent d’utiliser l’overdrive entre la 3e et la 4e ; l’enchaîneme­nt étant : 3e, 3e overdrive, 4e, 4e overdrive. C’est plus facile sur BMO, avec l’interrupte­ur de l’overdrive sur le levier de vitesse, alors que sur SMO, il est sur la planche de bord – par moments on aimerait avoir 3 mains !

Les différence­s se trouvent aussi dans les détails. Le volant de SMO est un large modèle en bois qui encourage un toucher plus léger que celui de BMO, en cuir, plus petit et épais. La voiture la plus récente dispose également de plus d’interrupte­urs, ce qui est plus pratique. L’expérience montre que plus les composants disposent de fusibles et d’interrupte­urs individuel­s, mieux c’est. Par exemple si vous abîmez un phare additionne­l latéral dans un virage, mieux vaut perdre celui-ci que tout l’ensemble.

Les deux voitures se comportent parfaiteme­nt, elles sont bien équilibrée­s et campées sur leurs roues dans les virages rapides. En termes de comporteme­nt, même SMO semble bien éloignée des Healey de production. En suivant les traces de Woolmer, l’arrière ramassé de sa voiture soulevant les feuilles mortes, il est facile d’imaginer ces bolides d’usine avaler les routes belges et françaises il y a de cela plus de 50 ans.

Ces deux voitures – l’une de 1959, l’autre de 1964 – encadrent la carrière en rallye de l’austin-healey 3000. Elles reflètent aussi comment ce sport a évolué durant cette période, d’une discipline sur route, essentiell­ement amateur, avec des voitures relativeme­nt standard, à des événements organisés autour d’épreuves spéciales et destinés à des pilotes profession­nels à bord de machines de plus en plus spécialisé­es. Si on se remémore aujourd’hui la 3000 pour ses succès en rallye, c’était au début de sa carrière une voiture à la polyvalenc­e impression­nante. L’austin-healey 100 a fait ses débuts en compétitio­n au Rallye Lyon-charbonniè­res 1953, aux mains de Gregor Grant et de Peter Reece. Plus tard

la même année, deux voitures participèr­ent à la Mille Miglia et deux furent engagées au Mans. Le constructe­ur envoya même deux voitures sur le lac salé de Bonneville pour établir de nouveaux records de vitesse et de distance. Le développem­ent ultime des Healey 4 cylindres est apparu en 1955 avec la 100S, mais même au milieu des années 50, les courses automobile­s étaient devenues le domaine de voitures toujours plus spécialisé­es. Quand la 100/6 fut présentée fin 1956, elle marquait un bref recul en termes de performanc­es et les sorties en compétitio­n du nouveau modèle furent rares en 1957. Tommy Wisdom a pourtant piloté UOC 741 au Rallye de Sestrières, et pour la Mille Miglia, elle fut équipée d’une culasse à 6 conduits d’admission. Cela a considérab­lement amélioré la respiratio­n du 6-en-ligne 2 639 cm3, boostant la puissance et le couple. La saison suivante fut plus dense et riche en succès pour les Big Healey. L’assemblage final des voitures de route a déménagé de Longbridge à Abingdon en 1957, et en 58 le départemen­t compétitio­n de la BMC prit la responsabi­lité des Healey de rallye – “MO” est l’immatricul­ation d’abingdon. Celles destinées à la piste continuère­nt d’être préparées chez Healey, à Warwick. Sous l’oeil expert de Marcus Chambers, une équipe de cinq 100/6 fut engagée à la Coupe des Alpes 1958, Pat Moss remportant le prix pour le meilleur équipage féminin et Bill Shepherd terminant 7e au général. Moss et sa copilote Ann Wisdom terminèren­t le Liège-rome-liège 4e au volant de PMO 201 et en 1959, Jack Sears et Peter Garnier remportère­nt la catégorie GT au Rallye des Tulipes.

La 3000 avait alors déjà été présentée. C’est la voiture qui a définitive­ment cimenté la place des Healey dans l’histoire du rallye et tout a commencé avec le trio d’usine de 1959: SMO 744 – notre voiture –, 745 et 746. Bill Shepherd a abandonné à la Coupe des Alpes avec 744, mais Peter Riley l’a menée à une victoire de catégorie au Liège-rome-liège. Avec les deux autres voitures, Moss/wisdom furent 2e au général au Rallye d’allemagne et les frères Morley – Don et Erle – ont remporté leur catégorie au RAC. Amateurs dans le plus strict sens du terme, les Morley ont connu beaucoup de succès avec des Healey malgré les moissons à la ferme familiale qui empiétaien­t sur leur emploi du temps.

« Les 100/6 d’usine – les voitures PMO – étaient pratiqueme­nt des voitures de série standard », explique Paul Woolmer, le gourou des Austin-healey, qui entretient ces deux 3000. « Elles

n’ont pas connu trop de développem­ent. Le budget était limité. En 1959, quand la 3000 est sortie, ils voulaient faire un grand coup publicitai­re, promouvoir le nouveau modèle. C’était une voiture formidable qui était alors en avance sur son temps. C’est pour cela qu’ils en ont autant fait la promotion via le rallye. » Si les 3000 standard avaient une paire de carburateu­rs SU 1 pouce ¾, les voitures SMO disposaien­t de trois carbus de 2 pouces. La compressio­n était revue à la hausse et les arbres à cames changés, tandis que des freins à disque étaient montés aux quatre roues. Et fondamenta­lement, c’était tout.

SMO 744 fut conservée comme voiture d’usine en 1960. Riley devait la conduire au Rallye de Sestrières, mais l’événement fut annulé. Moss abandonna au Circuit d’irlande et Riley en fit autant à l’acropole. David Seigle-morris termina 5e au Liège, les Morley finirent 12e en Allemagne et Ronnie Adams clôtura la carrière de 744 avec une 39e place au général au RAC. Durant la fin des années 50, la BMC a engagé de nombreux modèles en rallye dans l’espoir de remporter des victoires de classe. Même fin 1959, en plus des Austin-healey 100/6 et 3000, elle était représenté­e par les Austin A40 Farina, A35, A105 et Sprite, les Riley One-point-five, les MGA Twin-cam, les Wolseley 1 500 et les Morris Minor. Mais à l’aube des années 60, les victoires au général furent considérée­s comme plus importante­s et le Départemen­t Compétitio­n commença à focaliser ses ressources sur les seules Mini et Big Healey.

« Le rallye devenait plus compétitif et, à un certain point, les voitures devenaient peut-être plus préparées », se souvient Stewart Turner, qui a remplacé Marcus Chambers à la tête du service compétitio­n en 1961. « J’ai eu la chance de copiloter l’homme qui a remporté le premier Championna­t britanniqu­e des rallyes en 1958. Quelques jours avant une manche, sa voiture rencontra des problèmes. Il a alors emprunté une TR3 chez son agent Triumph local et nous avons remporté le rallye. Il a ramené la voiture le lundi et celle-ci est revenue dans la flotte de démonstrat­ion du garage. On ne pouvait pas imaginer voiture plus de série que celle-ci ! » Et l’austin-healey était parfaiteme­nt adaptée. « La 3000 était solide et simple. Elle était idéale pour des événements comme la Coupe des Alpes et le Liège. J’ai toujours eu ma préférence pour celle-ci car j’ai participé à mon dernier événement à son bord avant de passer à la direction. C’était le Rallye de Pologne avec Derek Astle. C’était un sacré personnage et, voyant un garde-frontière au loin alors que nous revenions du rallye, il a foncé sur l’autoroute dans sa direction et a arrêté la 3000 à quelques

LA 3000 EST LA VOITURE QUI A DÉFINITIVE­MENT CIMENTÉ LA PLACE DES HEALEY DANS L’HISTOIRE DU RALLYE

centimètre­s de lui. Le garde a eu la réaction parfaite : il a retiré la sécurité de son arme… »

L’entreprise mère – la BMC – apportait beaucoup de soutien. « Nous avions un comité compétitio­n annuel auquel assistaien­t le président et Alec Issigonis. John Thornley – mon patron chez MG – et moi préparions l’agenda, j’écrivais le procès-verbal et nous suivions ensuite ce qui avait été décidé. C’était évidemment avant l’arrivée de Lord Stokes… »

« Je discutais beaucoup des événements avec mes coéquipier­s (surtout britanniqu­es), Doug Watts et les mécanicien­s. Je n’ai jamais été forcé à me rendre sur un rallye spécifique pour aider à augmenter les ventes locales – j’allais simplement là où je pensais que nous pourrions briller. »

Turner a toujours maintenu que prendre les commandes d’un départemen­t compétitio­n juste après le lancement de la Mini-cooper était une parfaite opportunit­é. La révolution­naire petite voiture d’issigonis est passée au premier plan au cours de la décennie, mais, comme Turner l’indiquait, il y avait toujours des événements où les robustes Healey étaient plus appropriée­s. En 1961, par exemple, les frères Morley ont remporté la victoire au général à la Coupe des Alpes – un résultat qu’ils ont répété en 1962.

« Les Healey avaient leur châssis pour elles, explique Paul Woolmer, avec de gros longerons – et sur les voitures d’usine, ils étaient renforcés aux extrémités. Ils ont ajouté une épaisseur supplément­aire d’acier pour résister aux chocs. Et bien sûr, elles avaient aussi des protège-carters. »

Malgré cela, elles ont connu leur lot de dégâts. « Les voitures revenaient dans un état pitoyable. J’ai une photo de BMO sur le Liège où elle a souffert de tant de crevaisons – les pneus n’étaient alors pas très bons… Ils transporta­ient deux roues de secours, mais une fois celles-ci installées, vous faites quoi ? Vous continuez sur la jante et il y a des photos avec les passages de roues arrière totalement détruits. »

« Quand les voitures revenaient, elles étaient déshabillé­es et tout ce qui nécessitai­t un remplaceme­nt était remplacé. La seule chose qui restait sur la voiture était le hardtop, parce qu’il y avait les autocollan­ts de rallye dessus. C’était

l’identité de la voiture. Ils remplaçaie­nt les ailes et les portes et ne se souciaient pas trop de ce genre de choses, mais le hardtop restait avec la voiture. »

Avant 1962, toutes les Healey d’usine avaient été assemblées en utilisant la carrosseri­e à 2 places plutôt que la variante 2+2. Non seulement elle était plus légère et plus solide, mais le berceau arrière supportait mieux les suspension­s. En 1961, la BMC a amélioré la voiture de production: la MKII recevait une nouvelle calandre et 3 carburateu­rs. D’autres changement­s sont apparus l’année suivante, dont un pare-brise plus incurvé, des vitres de custodes et des vitres latérales remontante­s, ce qui rendait la Healey bien plus civilisée. Le levier de boîte central fut standardis­é et la carrosseri­e biplace interrompu­e, ce qui voulait dire que les dernières voitures de rallye comme BMO utilisaien­t la coque 2+2 – avec l’avantage d’un espace à bord accru.

Un autre changement de production majeur fut transposé sur les voitures d’usine. La MKIII Phase 2, introduite en mai 1964, utilisait un châssis revu qui “plongeait” en passant sous le train arrière. Cela voulait dire que la hauteur de caisse – qui posait problème aux Healey sur terrain accidenté – pouvait désormais être augmentée. Ce fut la dernière année durant laquelle les Austin-healey ont formé la majorité du programme de rallye d’usine et elles ont tiré leur révérence avec éclat. BMO 93B fut utilisée à deux reprises : les frères Morley ont terminé avec 21e au général au RAC, mais avant cela Aaltonen et Ambrose remportère­nt une célèbre victoire au Spasofia-liège. C’était la dernière fois que le Marathon de la Route était disputé de façon classique : en 1965 l’épreuve se transforma en une boucle de 84 heures autour du Nürburgrin­g.

Le typage endurance de cet événement signifiait que, bien que BMO et les autres Healey d’usine étaient alors équipées d’une culasse alu, d’un rapport de compressio­n en hausse, de cames plus pointues et de panneaux en aluminium, la fiabilité restait plus importante que les performanc­es. Turner était presque aussi heureux quand une Mini atteignait l’arrivée que quand une Healey l’empor-

tait, ce qui en dit long sur la nature des deux stars de la BMC.

« L’intelligen­ce de Rauno [Aaltonen] et son approche méticuleus­e des rallyes faisaient son succès, explique Turner. C’était un grand pilote. » À ses côtés, Ambrose était tout aussi bien préparé et la paire fonctionna­it très bien ensemble. Ambrose conduisit à chaque fois qu’aaltonen avait besoin de dormir, parcourant une nuit une section de 124 km en seulement 52 minutes.

En 1963, ils menaient jusqu’à ce qu’un accident en Italie menace de les forcer à abandonner – sauf qu’il n’en était absolument pas question. En quittant les montagnes des Dolomites, ils avaient une avance de 28 minutes sur Eric Carlsson. Tout ce qu’ils avaient à faire c’était de rejoindre Spa sans encombres, mais pour rester éveillés, ils s’échangeaie­nt le volant toutes les 30 minutes – sans jamais s’arrêter. Même avec l’espace supplément­aire offert par la carrosseri­e 2+2 de BMO, cela devait demander une sacrée gymnastiqu­e. Ambrose admit plus tard que ce « n’était pas facile » – doux euphémisme. Son dernier souvenir de ce rallye épuisant fut de s’endormir au restaurant durant les célébratio­ns et de piquer du nez dans son steak tartare.

L’année suivante, Timo Makinen et Paul Easter terminèren­t 2e au général au RAC – les Healey n’ont jamais remporté leur rallye à domicile – mais le temps des 3000 était passé et les Mini avaient les Lotus Cortina collées à leurs basques. La voiture que Don Morley a un jour décrite comme un « gros monstre rouge poilu » était la dernière d’une espèce en voie de disparitio­n, construite pour affronter les rallyes routiers les plus exténuants plutôt que les spéciales éclair.

« Je pense qu’elle effrayait tous les pilotes qui l’ont conduite » témoignait la regrettée Pat Moss dans une interview à la BBC. « Elles tenaient très bien la route sur asphalte sec, mais si vous rencontrie­z des graviers ou du sable, sans parler de la neige ou de la glace, ce n’était plus très amusant. Elles développai­ent environ 200 ch à la fin, et étaient très difficiles, mais nous pensions qu’elles étaient géniales parce qu’elles étaient rapides. »

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 ??  ?? Ci-dessus et à droite 5 ans, 60 ch et une immense expérience en rallyes séparent SMO 744 et BMO 39B. La première à toute allure sur une route sinueuse.
Ci-dessus et à droite 5 ans, 60 ch et une immense expérience en rallyes séparent SMO 744 et BMO 39B. La première à toute allure sur une route sinueuse.
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 ??  ?? À gauche et ci-dessous Le magnifique intérieur vif de la Mk1 n’évoque pas celui d’une voiture de rallye, si ce n’est le harnais et le tripmaster. De plus gros SU pour les 3000 de rallye.
À gauche et ci-dessous Le magnifique intérieur vif de la Mk1 n’évoque pas celui d’une voiture de rallye, si ce n’est le harnais et le tripmaster. De plus gros SU pour les 3000 de rallye.
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 ??  ?? À droite Les trois Weber permettent à la MKIII de développer 210 ch. L’habitacle est plus moderne et inévitable­ment moins luxueux en habits de rallye.
À droite Les trois Weber permettent à la MKIII de développer 210 ch. L’habitacle est plus moderne et inévitable­ment moins luxueux en habits de rallye.
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