ERIK COMAS
Àl’heure où j’écris ces lignes, je rentre tout juste du Lancia Stratos Meeting qui s’est tenu à Sanremo en marge du rallye du même nom. Vingt-trois Stratos étaient présentes : moins qu’il y a trois ans quand je l’ai organisé à Biella, mais ce fut quand même un bon moment, et l’occasion de faire rouler un peu mon auto sans exigence de chrono, sur des routes fermées. Une bonne remise en forme pour la Lancia après l’hiver ! Les voitures ont besoin d’exercice. Les pilotes aussi! Je suis d’ailleurs toujours surpris, même après tant d’années de pilotage, d’entendre des gens me dire que le sport automobile n’est pas un sport, puisqu’on le pratique assis… En général, il suffit d’ailleurs d’un tour sur circuit pour que ces mêmes personnes changent d’avis: elles se rendent compte alors des contraintes que le corps subit dans les appuis, au freinage… Et encore, elles ne sont que des passagers, et n’ont donc pas à gérer le pilotage ! Le circuit, c’est de l’athlétisme. Le rallye aussi, mais avec des contraintes différentes : moins d’appuis violents, mais beaucoup plus de sauts et de compressions. Quoi qu’il en soit, une préparation physique est absolument nécessaire si l’on veut tenir 40 tours de circuit, ou encore trois jours de spéciales. J’ai la chance d’avoir toujours aimé faire du sport: tennis, course à pied, vélo… Mais c’est quand je suis arrivé en monoplace après avoir remporté le volant Elf, en 1985, que je me suis rendu compte qu’il ne suffisait pas de se maintenir en forme: il fallait un entraînement spécifiquepour acquérir et conserver la résistance nécessaire. Physiquement, mais aussi nerveusement, car la vie de pilote, si elle est passionnante, n’est pas forcément un long fleuve tranquille, loin de là ! Quand je courais en Formule 3000, j’ai eu la chance de faire une rencontre exceptionnelle: j’ai eu pour entraîneur Jean-pierre Monnot, qui nous a hélas quittés en mars de cette année. Professeur de gymnastique à l’origine, Jean-pierre était un novateur. C’est lui qui avait eu l’idée de créer la section ski-études du lycée de Villardde-lans, dans le Vercors, une des premières sections sport-études de France. Au début des années 1970, il a été préparateur physique de l’équipe de France de
ski, avant de coacher de nombreux sportifs de haut niveau. Jean-pierre était surtout un esprit curieux, toujours à l’affût: pour lui, l’adage “un esprit sain dans un corps sain” était une priorité absolue, qui l’avait conduit à s’intéresser à la sophrologie et à la relaxation. J’ai pleinement profité de son aide dans ce domaine, en particulier lors d’une période difficile: l’intersaison 19911992. J’étais titulaire chez Ligier, mais Alain Prost était pressenti pour faire son retour dans l’écurie. Et se priver de mes services aurait coûté à Ligier beaucoup moins cher que d’évincer mon coéquipier Thierry Boutsen… Prost hésitait, négociait. L’équipe testait la JS37 à moteur Renault. Et moi… j’attendais. J’ai passé 4 mois sans rouler! Évidemment, la situation était difficile, aussi bien pour le mental que pour le physique. Mais Jean-pierre et moi avions mis au point une méthode qui, à ma connaissance, n’avait jamais été pratiquée : grâce à des exercices de sophrologie, j’arrivais à un état de concentration tel que, les yeux fermés, je visualisais des circuits que je connaissais bien, ma voiture, les concurrents, et je pilotais. J’arrivais à maintenir cet état sur la durée d’un grand prix. À chaque tour, je faisais un minuscule signe du doigt à Jean-pierre qui me chronométrait. À Magny-cours, à Estoril, et quelques autres circuits, j’étais dans la même seconde que dans la réalité! Cet entraînement surprenant a porté ses fruits lors du premier Grand Prix de 1992, à Kyalami. Je suis arrivé au dernier moment, Prost s’étant finalement désisté. Je n’avais pas de siège à mes mesures, je n’avais pas roulé, je ne connaissais pas la voiture, ni le circuit qui, de plus, est un des rares à se courir dans le sens anti-horaire. Mais je me suis qualifié devant Boutsen. J’ai réalisé le 8e temps en course, et j’ai fini 7e, juste derrière une Lotus. Pendant la course, Ligier hurlait dans ma radio «Laisse passer Thierry!» (Charles Leclerc connaît bien cette situation…) Mais j’étais plus rapide que lui, et il a finalement abandonné. J’étais surmotivé, et sans doute un peu en colère. Mais je reste persuadé que, sans la préparation physique et mentale dont j’avais profité, je n’aurais jamais réalisé une telle course !
“PENDANT LA COURSE, LIGIER HURLAIT DANS MA RADIO « LAISSE PASSER THIERRY ! » (CHARLES LECLERC CONNAÎT BIEN CETTE SITUATION…)”