Octane (France)

GRAND LUXE AUTO

Peu de limousines associent aussi bien luxe et tradition que la Rolls-royce Phantom V. Paul Wood, expert de la marque, nous explique pourquoi tout collection­neur devrait en posséder une.

- Texte Glen Waddington Photos Charlie Magee

Elle est tellement sous-estimée » indique le spécialist­e et amoureux des Rolls-royce, Paul Wood. « Les gens pensent que c’est une grosse limousine pataude et les collection­neurs l’ignorent. Mais si vous avez une collection de Rolls-royce, il vous faut une Phantom V. » C’est pour cela que je me suis retrouvé au fin fond de la campagne anglaise à quelques jours de Noël. Le temps est froid et sec, mais dans la Phantom, ce n’est que chaleur, calme et confort, comme dans un salon géorgien. Ceci est pour Paul l’une des meilleures Rolls-royce fabriquées. « Elle est l’élégance, la qualité et le raffinemen­t fait réalité, ajoute-t-il. Elle représente l’apogée des limousines conçues pour les plus grands de ce monde. »

Plus tôt, Paul m’a fait visiter les installati­ons de P&A Wood, l’empire Rolls-royce qu’il a fondé avec son frère Andy en plus d’un demi-siècle, le seul spécialist­e anglais autorisé par Rolls-royce pour la réparation d’accidents en son nom. Les travaux de carrosseri­e sont pris au sérieux ici et c’est toute l’histoire de Rolls-royce qui défile lorsque l’on se promène dans les ateliers et les espaces de vente. Paul connaît toutes ces voitures de fond en comble. Il connaît chaque type de Rolls-royce en profondeur. Quand il parle, j’écoute. Les ploutocrat­es et despotes d’aujourd’hui choisiront peut-être la dernière Phantom, la seconde dessinée et assemblée sous la direction de BMW, depuis que la première de 2003 s’est effacée en 2017. Au total, elles représente­nt les 7e et 8e génération­s de cette lignée. La Phantom VI a été arrêtée en 1991, créant un vide finalement comblé par Bentley pour offrir une limousine aux têtes couronnées. Si ce n’est cette interrupti­on, et une autre causée par les hostilités de la Seconde Guerre mondiale, les Phantom représente­nt le sommet de la gamme Rolls-royce depuis 1925, lorsque celle-ci a remplacé la Silver Ghost.

Les deux premières étaient motorisées par des 6-enligne ; la Phantom III (1936-39) avait un V12. La plus rare de la lignée est la Phantom IV d’après-guerre, dont seuls 18 exemplaire­s ont été assemblés, basés sur la Silver Wraith à moteur 8-en-ligne (16 existent encore). Sa production fut délibéréme­nt limitée pour permettre à la Silver Wraith d’attirer des clients privés et d’affaires. Puis cette voiture apparut, continuant la tradition des carrosseri­es réalisées en externe établie par les génération­s précédente­s. Elle combinait les qualités à l’ancienne de bienséance et d’exclusivit­é avec des équipement­s modernes tels que l’air climatisé et les fenêtres électrique­s, ou un V8 robuste mais doux et discret. C’est comme si la Reine Victoria rencontrai­t – et acceptait – l’enseigneme­nt de Steve Jobs. Elle permettait aux très riches de s’offrir le genre de voitures habituelle­ment réservées aux rois et aux chefs d’état.

La Phantom V est apparue en 1959. D’après le magazine Autocar, elle était « conçue pour offrir un transport vraiment luxueux tel que le demandent les affaires modernes et les cercles politiques, pour les invités importants et les chefs d’entreprise, et Rolls-royce sous-entend même que le vaste espace qu’elle offre pourrait aussi bien attirer quelques clients privés fatigués des contorsion­s physiques nécessaire­s pour rentrer ou sortir d’une voiture moderne moyenne. » La comparaiso­n avec une voiture “moyenne” est difficilem­ent méritée, la Phantom V étant basée sur la déjà extraordin­aire Silver Cloud II. Elle repose sur le châssis cruciforme de cette dernière, rallongé de 53 cm et renforcé avec une traverse supplément­aire. Elle dispose du V8 6 230 cm3 (ou “6¼”), nouvelleme­nt lancé dans la Cloud II, avec une transmissi­on automatiqu­e à 4 rapports (assemblée sous licence GM avec une première extra-courte, parfaite pour les parades) qui entraîne le servo des freins. Le moteur copiait des éléments du dessin des V8 Cadillac et Chrysler et ce servo était basé sur une idée d’hispano-suiza. « Ils prenaient le meilleur du moment et le raffinaien­t encore plus » indique Paul. Cela paraît être une bonne idée. S’il y avait des versions sur-mesure réalisées par Chapron, Woodall-nicholson (qui a assemblé un corbillard unique) et autres, les carrosseri­es les plus élégantes venaient toujours de chez James Young. Avec une longueur totale de 6 m et un empattemen­t de 3,7 m, les talents du responsabl­e du design, AF Mcneil, avaient de la place pour s’exprimer, avec une ceinture de caisse tombante qui s’élève ensuite par-dessus les roues arrière, et une queue effilée avec un coffre rebondi. Le travail le plus élégant de James Young est arrivé plus tard durant la carrière de la Phantom V, avec l’apparition d’une custode “style Hooper”, le bord diagonal suivant l’angle de la chute de pavillon, avec un renflement en son centre. Style Hooper ? Elle est nommée d’après le carrossier rival qui a développé ce look sur d’autres voitures, en particulie­r sur la Phantom IV. Cette Phantom V est l’une d’elles, c’est l’une des versions les plus rares de ce qui est connu comme une PV23 Touring Limousine. « C’est la plus élégante du lot, considère Paul. Il faut payer plus de 350 000 euros pour s’en offrir une belle. Elles peuvent souffrir de la corrosion et c’est le point le plus important. Il faut trouver une voiture absolument vierge de rouille. Elles existent, mais le prix s’en ressent. Cela reste tout de même une affaire comparée à sa seule vraie concurrent­e : la Mercedes 600 Pullman. Une bonne voiture, mais incomparab­le en termes d’élégance et de style. » Quel que soit leur état, elles ne sont pas très courantes. Des 516 Phantom V assemblées durant ses 9 ans de carrière, 196 ont été carrossées par James Young, dont 125 avec la carrosseri­e à 4 phares introduite par la Silver Cloud III en 1963.

Il ne faut certaineme­nt pas se contorsion­ner pour y entrer ou en sortir. La portière conducteur s’ouvre lourdement mais facilement, et il faut monter sur le mar

chepied avant de prendre place sur la large banquette plate. Elle est tendue de cuir, comme la majorité de l’habitacle, mais si vous jetez un oeil derrière, vous remarquere­z que les quartiers de ceux qui préfèrent être conduits sont enveloppés de tissu West of England. La planche de bord a la personnali­té d’un buffet Chippendal­e, avec des instrument­s groupés au centre (comme d’habitude chez Rolls-royce, il n’y a pas de compte-tours). La tradition à l’état pur.

La porte se referme avec précision dans un cognement solide. Le V8 s’élance de façon audible mais discrète. Un sélecteur de transmissi­on délicat, tel une baguette, dépasse de la colonne de direction. Sans position Park, il faut donc passer de “N” à “4”, relâcher la poignée de frein à main style parapluie et presser délicateme­nt l’accélérate­ur.

La Phantom semble grande, sa longueur imprimant votre cerveau durant les manoeuvres. Elle ne se montre pas pour autant volumineus­e ou lourde. La direction assistée est légère sans être lâche et l’on s’habitue rapidement à guider ce Léviathan du bout des doigts, le couple jaillissan­t du V8 quasiment depuis le régime de ralenti. On est rapidement en vitesse de croisière, la boîte de vitesses passant en douceur le bon rapport. Elle n’est pas silencieus­e comme les voitures de luxe modernes, hermétique­ment scellées comme la dernière Phantom, mais elle est mécaniquem­ent tranquille et raffinée, plutôt qu’artificiel­lement silencieus­e. Cela rappelle les lointaines vibrations ressenties depuis un hôtel de luxe ou la perception de la propulsion à bord d’un paquebot. Et elle se montre tout aussi relaxante. La mention d’un paquebot est appropriée. Il y a quelque chose dans le caractère de la Phantom V qui rappelle ces grands navires, voire l’époque où l’on traversait l’atlantique à la vapeur pour être accueilli dans une ville désireuse de laisser derrière elle la Grande Dépression sans abandonner ceux qui aimaient la modernité. Le genre de gens qui s’asseyaient à l’arrière d’une de ces voitures, parcourant leur journal tandis que leur chauffeur s’occupait de leurs déplacemen­ts.

Paul a justement livré une Phantom V à New York. « Nous avons voyagé à bord du Queen Elizabeth 2, se souvient-il avec un sourire. J’ai vendu la voiture à Woody Allen. Il était très enthousias­mé par tout cela ».

Je freine pour un virage, conscient de la masse à arrêter, mais ce n’est qu’à vitesse de manoeuvre que l’on peut occasionne­llement se faire surprendre : ce servo entraîné par la boîte a besoin d’au moins un tour de roue pour atteindre sa puissance maximale. Il faut donc juste presser plus fort. Les remontées dans la fine jante du volant en Bakélite sont délicates et, oui, la voiture prend du roulis, mais elle le fait si doucement que l’on a tendance à s’en accommoder. Est-ce le poids de la Phantom V ou ses proportion­s hors norme? Il semblerait qu’elle ralentisse le temps et modifie la gravité.

La plupart l’appréciero­nt depuis les sièges arrière, alors Paul prend le volant pendant que je passe la portière arrière à ouverture opposée et m’installe dans le confortabl­e canapé. C’est comme dans un vieux théâtre, avec un support prononcé aux épaules et des ressorts qui vous dorlotent : à la fois du maintien et du moelleux, en étant élastique plutôt qu’inerte.

Paul prend de la vitesse et pour la première fois je remarque le confort – car maintenant je me concentre dessus. La surface de la route semble simplement glisser sous les roues. Je suis désormais conscient des légers mouvements alors que la carrosseri­e se penche, et de la façon dont toutes les déformatio­ns de la chaussée sont nivelées. Le paquebot revient à l’esprit: très confortabl­e, très vivant ; un endroit agréable pour passer le temps, avaler la distance et arriver quelque part.

La vue est stupéfiant­e: des hectares de vitrage ininterrom­pus, en total contraste avec les vitres surteintée­s et les piliers extralarge­s de l’actuelle Phantom. Puis, il y a l’ébénisteri­e, si magnifique­ment exécutée. Je garde la séparation ouverte pour pouvoir échanger mes avis avec Paul, mais elle pourrait remonter d’une simple pression sur un bouton, séparant le propriétai­re de son employé.

Nous retournons dans les installati­ons de P&A Wood et prenons le temps de marcher autour de la voiture, à admirer ses assemblage­s impeccable­s: une marque de fabrique de James Young, encore plus remarquabl­e sur une voiture qui a plus de 50 ans et n’a jamais été restaurée. Paul est en charge de la carrosseri­e ici et rien ne lui échappe. « La qualité de la carrosseri­e, les assemblage­s des panneaux, la façon dont les portes se referment… À l’intérieur, les boiseries, la façon dont elles font le tour de l’habitacle, dont l’ébénisteri­e est installée et dont les tablettes s’ouvrent et se referment… La qualité est incroyable. »

Toutes les poignées, tous les loquets et boutons sont réalisés dans le style spécifique à James Young. « Ces vitres de custode sont mon élément préféré, mais j’adore aussi ces meubles à cocktail et les strapontin­s. En fait, c’est une voiture assez pratique. »

Mais alors, pourquoi n’est-elle pas plus appréciée ? « Il y a cette croyance qu’elle est pataude sur la route, mais ça ne tient qu’à la façon dont elle a été réglée », indique Paul. Celle-ci est clairement un bon exemplaire, se montrant tendue sans faire de concession­s au confort – malgré des soubasseme­nts

La Phantom est raffinée plutôt qu’artificiel­lement silencieus­e, rappelant la perception de la propulsion à bord d’un paquebot

prosaïques, avec un pont rigide suspendu par des ressorts à lames et des freins à tambour.

« Cela peut paraître ordinaire, mais la qualité des composants est incroyable. Et rien ne brille: sous le capot, tout est émaillé en noir, et c’est aussi là que se trouve le mécanisme du chauffage à contrôle électrique. Sous cet aspect, elle était très avancée. »

Andy, le frère de Paul, a sauvé le banc d’essai de suspension­s de l’usine de Crewe, lorsque la production de la Silver Shadow a commencé – « Les ingénieurs l’ont amélioré pour leur usage personnel » – et l’a restauré. Il est utilisé pour régler l’assemblage complexe des bras de levier de ces voitures. Comme pour les freins et la direction, c’est une opération délicate: ce sont des « ouvriers qualifiés qui ont la patience de faire les choses à la lettre » qui s’en occupent.

La dernière Phantom V (une Park Ward Limousine) a été livrée en septembre 1967 à Rolls-royce, à Londres, pour servir de véhicule de démonstrat­ion, avant de retourner au départemen­t expériment­al pour être convertie en Phantom VI, dont la production a suivi en 1968. Durant une carrière qui dura 23 ans, celle-ci a été produite à peu d’exemplaire­s. Seuls huit ont été assemblés en externe : HJ Mulliner a été repris par Park Ward, appartenan­t déjà à Rolls-royce, et James Young – le dernier indépendan­t à assembler des carrosseri­es de Rolls-royce – a progressiv­ement sombré. La nouvelle entité Mulliner Park Ward a assemblé 346 limousines, 12 landaulets et une poignée de carrosseri­es spéciales, alors que ce qui reste des 374 exemplaire­s construits au total inclut quelques corbillard­s, plus un drophead coupé unique conçu par Frua, qui influença clairement la Rolls-royce Camargue et un autre cabriolet, tout aussi unique, réalisé sur un châssis de 1971 par la carrosseri­e britanniqu­e Royle Cars en 1993. En 1972, les normes de sécurité américaine­s ont mis un terme aux ventes de Phantom VI aux USA, même si les portes arrière s’ouvraient désormais dans le bon sens.

« La Phantom VI n’était pas aussi spéciale, indique Andy. C’était ni plus ni moins qu’une Phantom V convertie pour recevoir des composants de Silver Shadow. » D’ailleurs, seules 67 furent assemblées durant les 13 dernières années de production. Non, si vous voulez allier la vraie grâce et la tradition à la puissance et au raffinemen­t d’une époque plus moderne, c’est une Phantom V James Young qu’il vous faut. Pour Paul, « C’est la meilleure voiture de luxe assemblée par un carrossier de l’après-guerre ». Tout est dit.

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Moteur V8 à soupapes en tête 6 230 cm3, 2 carburateu­rs SU HD8 Puissance et couples “suffisants” Transmissi­on automatiqu­e à 4 rapports, propulsion. Direction à came et galet, assistée
Suspension Av: double triangulat­ion, ressorts hélicoïdau­x, amortisseu­rs à bras de levier double action. Ar: pont rigide, ressorts à lame semi-elliptique­s, amortisseu­rs à bras de leviers réglables. Freins tambours, servo entraîné par la boîte, tout hydrauliqu­e avec sécurité mécanique à l’arrière Poids 2 540 kg Performanc­es “suffisante­s”
Rolls-royce Phantom V Touring Limousine James Young 1966 Moteur V8 à soupapes en tête 6 230 cm3, 2 carburateu­rs SU HD8 Puissance et couples “suffisants” Transmissi­on automatiqu­e à 4 rapports, propulsion. Direction à came et galet, assistée Suspension Av: double triangulat­ion, ressorts hélicoïdau­x, amortisseu­rs à bras de levier double action. Ar: pont rigide, ressorts à lame semi-elliptique­s, amortisseu­rs à bras de leviers réglables. Freins tambours, servo entraîné par la boîte, tout hydrauliqu­e avec sécurité mécanique à l’arrière Poids 2 540 kg Performanc­es “suffisante­s”
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