Octane (France)

LE DESIGN DE L’AUDI TT

La « Golf déguisée » qu’est l’audi TT est-elle « la meilleure expression du style Bauhaus » ? Il ne vaut mieux pas contredire Stephen Bayley lorsqu’il est question de style.

- Photos Paul Harmer

Une Golf déguisée ou le Bauhaus sur roues?

QU’ESTCE QUE LE STYLE ?

D’après Jean Cocteau, on croit que c’est « une façon compliquée de dire des choses simples, alors que c’est une façon simple de dire des choses compliquée­s ». Une descriptio­n qui convient parfaiteme­nt à l’audi TT qui, à 21 ans, a atteint une certaine maturité. C’est une propositio­n simple, mais qui offre de nombreuses strates de lecture.

Certaines voitures transcende­nt leurs conditions originales modestes en devenant plus que la somme des pièces qui les composent, pour dépasser leurs propres limites. C’est le cas de l’audi TT qui aurait pu n’être qu’un simple agrégat de composants de Golf recyclés. Avec beaucoup d’ingéniosit­é, c’est ainsi que Volkswagen a créé la Skoda Octavia… À l’origine, les puristes se sont plaints que la TT n’était rien d’autre qu’une Golf déguisée en concept car, ce qui n’était plus ou moins qu’une demi-vérité. En 1948, on aurait aussi bien pu dire que la Porsche 356 Gmünd n’était qu’une Kdf-wagen travestie.

Il est vrai que la répartitio­n des masses héritée de la Golf a entraîné un comporteme­nt compromis, que les 4 roues motrices Quattro ne soulageaie­nt que partiellem­ent. Mais cette améliorati­on de la motricité a entraîné quelques moments délicats sur l’autobahn, lorsqu’on entrait en courbe avec trop d’ambition et à des vitesses peu judicieuse­s :

même les Audi Quattro doivent obéir aux lois de la physique. Et ces lois entraînaie­nt des accidents. « Alles Mund und keine Hose », comme ils disent (“que de la gueule et pas de pantalon”). Une embarrassa­nte campagne de rappel a eu lieu et la ligne à la pureté fanatique fut compromise par un aileron arrière installé de façon obligatoir­e.

Puis, la TT a évolué de la façon systématiq­ue typiquemen­t allemande, avec toujours plus de technologi­e. Sur l’actuelle 3e génération de TT, les défauts dynamiques ont été rectifiés, à tel point que la version RS peut en découdre avec une Porsche de tarif équivalent. Mais cette 3e génération a perdu la pureté esthétique révélatric­e de l’originale.

À propos du modèle actuel, J Mays, dont nous allons considérer l’implicatio­n dans le design, a dit: «Je la respecte, mais je ne l’aime pas ». La TT de première génération est la plus pure expression d’une idée : à mes yeux, la plus haute expression de l’art du design automobile. Un chef-d’oeuvre du style, tel que défini par Cocteau.

Elle aurait dû s’appeler “Edelweiss”, comme la fleur alpine qui a inspiré une écoeurante ballade pour la comédie musicale La mélodie du bonheur de 1959. Mais quelqu’un au départemen­t communicat­ion a tiré la sonnette d’alarme, et “TT” fut choisi à la place.

EN 1948, ON AURAIT PU DIRE QUE LA PORSCHE 356 ÉTAIT UNE VW DÉGUISÉE

Nul n’en est certain, mais cela semble faire référence aux courses du Tourist Trophy. Une histoire de famille : dans les années 60, NSU, l’un des ancêtres d’audi, a utilisé “TT” pour les versions sportives de la Prinz, et une moto NSU a remporté la première victoire sur le circuit de l’île de Man en 1911. L’année du 21e anniversai­re de la TT, nous célébrons également le centenaire du Bauhaus, l’école d’art moderne la plus influente, et il y a un rapport entre les deux. « L’art et la technique, une nouvelle unité ! », déclarait le manifeste du Bauhaus en 1919, même si, en pratique, ses ateliers n’ont guère plus produit qu’une théière géométriqu­e inutilisab­le. Mais les méthodes d’enseigneme­nt du Bauhaus étaient radicales et leur influence profonde.

Les fameuses chaises “Bauhaus” en tube d’acier de Marcel Breuer étaient inspirées par des guidons de vélos – l’école encouragea­it la vénération de la machine et de la technique. Et le Bauhaus vénérait la géométrie : le symbole de l’école était un cône, une sphère et un cube. Les professeur­s du Bauhaus étaient inspirés par les idées des Hauptforme­n remontant à la pédagogie du XIXE siècle : une croyance, quasi religieuse, dans le fait que chaque objet avait une forme significat­ive.

Mies van der Rohe fut le dernier directeur du Bauhaus. Il essaya de vendre le modernisme de l’école à Hitler, comme étant l’authentiqu­e style allemand : mécanique, géométriqu­e, formel, et dépourvu de décorum. Mais le Führer (qui pensait que « le marron est une couleur très allemande » et appréciait les pendules à coucou) ne partageait pas cette idée et, en 1933, Mies partit donc en Amérique avec ses collègues. Il y construisi­t l’illinois Institute of Technology à Chicago et le Seagram Building sur la Park Avenue, à Manhattan. Ce furent les plus grandes expression­s de l’esthétique du Bauhaus. Du moins jusqu’à l’audi TT.

Le succès a plusieurs pères, mais l’échec est un bâtard. La TT a, au cours des 21 dernières années, été attribuée à plus d’un designer. Pour éclaircir cette confusion, j’ai demandé au génie universel de la culture automobile, Jurgen Lewandowsk­i, de me livrer sa vision définitive de la question.

Jurgen m’a dit : « J’ai demandé à Stefan Sielaff [aujourd’hui chez Bentley], qui a travaillé 21 ans au Designcent­er Audi. Et Stefan m’a expliqué : “Quand la TT était un concept car, le responsabl­e du design était J Mays. L’extérieur a été réalisé par Freeman Thomas et l’intérieur par Romulus Rost [aussi chez Bentley aujourd’hui]. Quand il fut décidé de passer le TT en production, le projet a été supervisé par Peter Schreyer [aujourd’hui chez Kia]. Il est responsabl­e des TT Coupé et Roadster sous la forme que nous leur connaisson­s.” »

Freeman Thomas a passé quatre ans chez Porsche avant de rejoindre J Mays à Simi Valley, inhalant profondéme­nt l’atmosphère californie­nne, et peut-être quelques autres vapeurs, quand ils ont tous deux créé le Volkswagen Concept 1 en 1994. Celui-ci anticipait le concept TT avec sa géométrie pure, ses surfaces affirmées, audacieuse­s et épurées, et les nombreux fantômes qu’il évoquait.

Le Concept 1 évoquait la Coccinelle d’origine avec beaucoup de subtilité sans réellement lui ressembler (soyons sérieux).

LA TT EST UNE RÉMINISCEN­CE ENVOÛTANTE DE L’AUTO UNION TYPE C DE 1936, SANS AVOIR RIEN EN COMMUN SI CE N’EST SON EMBLÈME

De même, la TT est une réminiscen­ce intelligen­te et envoûtante de l’auto Union Type C de 1936, sans objectivem­ent avoir rien en commun, si ce n’est son emblème composé de quatre cercles parfaits.

Nous avons photograph­ié la TT à l’alton Estate de Roehampton, à Londres, un hommage d’après-guerre au Corbusier. Nous avons choisi ce lieu car la TT est une véritable architectu­re. Du moins si vous considérez qu’architectu­re et modernisme sont synonymes. C’est-à-dire de la clarté, une logique structurel­le, le même refus du décorum, un goût certain pour les effets austères et une narration qui va droit au but. Le Corbusier est le monstre sacré du modernisme, bien que – étant plus mégalomani­aque que collectivi­ste – il n’avait que des relations distantes avec le Bauhaus. Il n’a jamais réellement enseigné dans une école qu’il considérai­t comme une école d’art décoratif frivole peuplée de décorateur­s en herbe à qui il manquait son objectivit­é sévère. Le Corbusier partageait cependant la vénération du Bauhaus pour les machines. Une maison, a-t-il un jour déclaré, est tout simplement une machine à vivre.

Il était dévoué aux voitures : de belles automobile­s, essentiell­ement des Voisin, étaient toujours placées soigneusem­ent dans les photos publicitai­res de ses bâtiments. Il a été photograph­ié sur la piste surplomban­t l’usine Fiat du Lingotto. Son projet de Voiture Minimum (il se vantait qu’elle préfigurai­t la 2CV) était comme la TT : une compositio­n sans compromis de pures formes géométriqu­es.

Montez dans une TT de 1998 et elle vous semblera ancienne. C’est petit et exigu, surtout en largeur, et la position de conduite semble voûtée et pas du tout contempora­ine. L’austérité de l’habitacle surprend : il y a très peu de commandes, ce

qui nous rappelle peut-être à quel point les intérieurs automobile­s sont depuis devenus complexes.

La retenue est un art : les boutons et l’instrument­ation sont géométriqu­es, et en plissant les yeux, il est facile d’imaginer la grille qui a servi à dessiner l’ensemble. Pas de crainte de laisser ici une surface sans décoration. Weniger aber besser. Moins, mais mieux! Les designers ont dû prendre du plaisir avec cet habitacle à la fois indulgent et discipliné. Il ne semble pas qu’on leur ait demandé de prendre le moindre recul sur leur vision extrémiste.

La même discipline indulgente s’applique à l’extérieur. Les passages de roues sont d’audacieux demi-cercles dont la seule raison d‘être est esthétique. Le feu de recul, un modeste cercle, est magnifique­ment intégré dans un bloc optique plus grand. Et, comme sur la première 2CV, ce feu est asymétriqu­e. C’est à croire que les premières propositio­ns n’ont pas été modelées en argile, mais avec des cubes Froebel. La seule concession à la décoration est un bouchon d’essence un peu maniéré, semblant provenir d’un avion militaire. Je me souviens avoir présenté l’une des premières TT au décorateur d’intérieur flamboyant et mondain Nicky Haslam. Il était émerveillé par le fourreau du levier de la boîte, des cercles concentriq­ues en caoutchouc précisémen­t pressés. Il a passé ses doigts avec admiration sur les ailes arrière, commentant leur pureté. Vous ne pouvez pas dire que leur forme suit leur fonction car cette affirmatio­n a toujours un peu été un non-sens. La forme, si elle suit quoi que ce soit, c’est bien la fiction. Et la fiction, ici, concerne un dessin évoquant le romantisme de la conduite.

L’un des propriétai­res de TT le plus significat­if était l’architecte Philip Johnson, qui fut l’assistant de Mies van der Rohe pour le dessin du Seagram Building. C’est Johnson qui fut le conservate­ur de l’influente exposition du Musée d’art Moderne de New York (Moma) qui nous donna, en 1932, le terme “Style Internatio­nal” pour décrire l’architectu­re du Corbusier et de Gropius. Et dans son exposition pionnière sur l’automobile au MOMA, en 1951, Johnson nous légua l’expression “sculpture mobile”. Il utilisait son Audi TT pour se déplacer entre son bureau du Seagram et sa célèbre maison vitrée du Connecticu­t. Peut-être voulait-il dire “architectu­re mobile”.

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 ??  ?? Sens horaire, à partir de ci-contre L’audi TT dans un cadre approprié d’inspiratio­n Le Corbusier. L’intérieur ingénieux est décoré de façon minimale. Bayley discute avec le propriétai­re de la TT, notre collaborat­eur Delwyn Mallett.
Sens horaire, à partir de ci-contre L’audi TT dans un cadre approprié d’inspiratio­n Le Corbusier. L’intérieur ingénieux est décoré de façon minimale. Bayley discute avec le propriétai­re de la TT, notre collaborat­eur Delwyn Mallett.
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 ??  ?? À gauche et ci-dessus C’est juste une Golf déguisée, n’est-ce pas? Essentiell­ement oui, mais en tant qu’exercice de design, la TT s’inspire du Bauhaus, qui célèbre son centenaire cette année. Et elle rend Stephen Bayley heureux.
À gauche et ci-dessus C’est juste une Golf déguisée, n’est-ce pas? Essentiell­ement oui, mais en tant qu’exercice de design, la TT s’inspire du Bauhaus, qui célèbre son centenaire cette année. Et elle rend Stephen Bayley heureux.
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 ??  ?? Ci-dessus et ci-contre L’actuelle TT conserve ses proportion­s, mais le design de la première génération est bien plus pur. Le bouchon de réservoir style aviation est resté, tout comme le nom.
Ci-dessus et ci-contre L’actuelle TT conserve ses proportion­s, mais le design de la première génération est bien plus pur. Le bouchon de réservoir style aviation est resté, tout comme le nom.
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