MÉMOIRE
Ses yeux et ses mains ont donné naissance aux premières affiches automobiles – et à toutes celles à venir.
Pierre Louis Ernest Montaut, le pionnier de l’affiche automobile.
L’allemagne est peut-être le berceau de l’automobile, mais aucune nation n’a embrassé avec plus d’enthousiasme cette nouvelle invention que la France. La Troisième République était en pleine Belle Époque, les arts et les sciences étaient florissants et, de la fin du XIXE siècle au début du XXE, la France produisait plus de voitures que le reste de l’europe additionnée. Nous avons même inventé le mot “automobile”, utilisé par le reste du monde pour décrire cette merveille moderne. Enfin, le plus ancien automobile club au monde, l’automobile Club de France, a été fondé à Paris en 1895.
Des courses spectaculaires et dangereuses furent bientôt organisées le long des routes nationales françaises, jusqu’à des villes en dehors de ses frontières. Ces marathons d’endurance et de vitesse focalisaient l’attention de la populace, de la presse du monde entier et des sportifs obstinés de vitesse des deux côtés de l’atlantique, attirés par l’excitation et le prestige de ces compétitions.
Ernest Montaut est né à Montauban en 1879. Comme de nombreux jeunes hommes de l’époque, il a été saisi par le spectacle et l’excitation des monstrueuses voitures pilotées par des casse-cou à la limite du contrôle, laissant sur leur passage panaches de fumée, mais aussi machines et corps cassés. Montaut a compris que les vastes foules alignées le long des routes à regarder les voitures passer lui offraient une opportunité artistique et financière. On sait peu de choses de sa formation artistique, mais il est probable qu’il ait exercé ses talents en réalisant des affiches chez les nombreux imprimeurs de lithographies qui proliféraient dans le Paris de la fin du XIXE siècle.
La première affiche automobile de Montaut fut réalisée mi-1890, alors qu’il était encore adolescent, et il en a virtuellement inventé le genre. Aujourd’hui le style de Montaut semble tendre vers la BD, mais il est exécuté avec la vitalité et l’exubérance d’un écolier transi. Il est également remarquablement précis dans sa description des voitures et de l’attitude des conducteurs et des mécaniciens, même si des détails tels que les barres d’accouplement sont souvent manquants. À travers ses affiches, Montaut est crédité pour avoir créé le vocabulaire de style des nombreuses illustrations automobiles à venir. Les lignes de vitesse, les perspectives “grand-angle” considérablement exagérées, les roues ovales et sans rayons (telles que capturées par les appareils photos de l’époque), même les châssis qui se courbent autour des virages : tout cela faisait partie du répertoire de Montaut.
Ses affiches étaient produites en utilisant le procédé du pochoir. C’était une technique longue qui demandait d’appliquer la peinture à eau sur l’image à travers une série de stencils, un pour chaque couleur, même si certaines semblent avoir été colorées à la main. Montaut travaillait presque exclusivement sur des formats panoramiques mesurant 85 par 45 cm et il dessinait les contours de ses images au crayon, directement sur les épaisses pierres lithographiques. Son imprimeur vérifiait les images sur une grande feuille carrée, pour ensuite laisser les coloristes faire leur travail. La mise en couleur pouvait prendre plusieurs jours et la finition à la main rendait chaque impression unique, montrant souvent des variations de couleurs considérables entre deux copies du même sujet.
Le succès de Montaut fut rapide, ses lithographies se vendant dans les galeries des boulevards de Paris aussi vite qu’il pouvait les produire. Avec une réputation internationale croissante et une galerie à New York, il ouvrit bientôt son propre atelier, employant une équipe de jeunes femmes comme coloristes pour fournir la demande. Inévitablement, gérer ce qui devenait une entreprise prospère demandait à Montaut de plus en plus de temps. Il sollicita donc le service de Marguerite Millet, une talentueuse artiste qui allait créer ses propres images dans le style de la maison. Leur relation dépassa le cadre professionnel lorsque Mademoiselle Millet devint Madame Montaut. Ernest décéda prématurément d’une appendicite en août 1909. Marguerite, avec d’autres artistes, continua de produire de nouvelles créations pour l’atelier, particulièrement celles représentant la nouvelle folie qui embrassait la France : l’aviation. Les oeuvres de Marguerite étaient parfois signées “M. Montaut” mais plus souvent “Gamy”, une anagramme de “Magy”. En plus du nom de la course ou de l’événement représenté, les tirages d’ernest et Marguerite portaient l’empreinte de leur éditeur et distributeur, Mabileau & Cie. Les derniers furent imprimés en 1913, la Première Guerre mondiale menaçant à l’horizon.
En plus de ses lithographies sportives, Montaut a aussi créé des affiches publicitaires pour de nombreux clients, dont Michelin. Le magnifique bâtiment Michelin londonien de Fulham Road, QG britannique de l’entreprise à une époque, a été dessiné et bâti peu de temps après la mort de Montaut et est décoré avec une frise de 34 tuiles en céramique fabriquées par l’entreprise parisienne Gilardoni, Fils et Cie. Elle figure l’histoire de Michelin de 1891 à 1910, représentant des voitures de course et d’étranges bicyclettes et aéroplanes, dans le style de Montaut. Un siècle plus tard, elle fait toujours la joie des passants.