Parents

« A son retour de la maternité, la jeune mère reste à la maison 40 jours sans sortir ! »

En Colombie, la tradition voulait que les femmes accouchent accroupies. Aujourd’hui, les césarienne­s sont en pleine explosion.

- ANNA PAMULA ET DOROTHÉE SAADA

« J’arrête, je n’en peux plus ! », je dis ça à ma mère et ma grand-mère qui me regardent

stupéfaite­s. Gabriela a 2 mois, les deux aînés courent partout dans la maison, j’ai mal aux seins et je ne me sens plus la force d’allaiter. « Elle va attraper des maladies, elle n’aura plus d’immunité ! », me disent-elles en choeur. Je me sens alors coupable et repense aux femmes colombienn­es de ma petite ville de Pereira qui allaitent deux ans, mettent leur vie entre parenthèse­s dès qu’elles se savent enceintes et ne reprendron­t le travail qu’une fois leur petit sevré. Je me dis que c’est facile de me juger alors que je ne vis pas dans la même maison ou le même quartier que ma famille comme là-bas. En France, j’ai le sentiment que tout est en accéléré. Je n’arrive pas à me poser. On vit à cent à l’heure et le planning est minuté. « J’arrive ! », m’a dit maman quand elle a appris que j’attendais mon premier enfant. En Colombie, la mère et la grand-mère te prennent sous leur aile et te surveillen­t à la loupe pendant neuf mois. Mais à peine commencent-elles à m’expliquer ce qui m’est permis et m’est interdit que je leur demande d’arrêter. J’étouffe ! En France, on laisse la femme enceinte faire ses choix et la grossesse n’est pas un drame. J’ai aimé cette liberté et si au début, ma mère s’est énervée, elle a fini

par accepter. Pour lui faire plaisir, j’ai quand même essayé d’avaler des cervelles grillées, le plat traditionn­ellement servi aux femmes enceintes pour booster leurs apports en fer, mais j’ai tout vomi et n’ai pas retenté l’expérience. En Colombie, les jeunes mamans se forcent à manger des abats mais, à mon avis, la majorité déteste. Parfois, mes copines se font des smoothies de fruits frais car c’est aussi conseillé enceinte, mais elles le mixent avec les tripes pour faire passer le goût. Après l’accoucheme­nt, pour récupérer nos forces, on mange la “sopa de morcilla” qui est une soupe de boudin noir au riz dans un jus de sang noir.

Les femmes de ma famille ont accouché accroupies. En Colombie, on dit que cette

position est la plus naturelle. J’ai demandé à la sage-femme ici, si je pouvais continuer cette tradition, mais elle m’a répondu que cela ne se faisait pas. Même en Colombie, cela se fait moins – les césarienne­s étant en pleine explosion. Les médecins arrivent à convaincre les femmes que c’est plus pratique et moins douloureux, puisque ça les arrange financière­ment. La société les met sans cesse en garde et les Colombienn­es ont peur de tout. A leur retour de la maternité, elles restent à la maison 40 jours sans pouvoir sortir. C’est la “cuarentena”. On dit que si durant cette période, la jeune maman tombe malade, ces maux ne la quitteront plus jamais. Alors, elle se lave rapidement, excepté les cheveux et se met des cotons dans les oreilles pour éviter que le froid n’y entre. J’ai accouché en France, mais j’ai décidé de suivre la “cuarantena”. Au bout d’une semaine, j’ai craqué et me suis fait un bon shampoing et une sortie, mais je portais des bonnets et même des cagoules. La famille de mon père vient de la forêt Amazonienn­e et traditionn­ellement, la femme doit aussi vivre le rite du “sahumerio”. Elle s’assoit sur une chaise placée au centre de sa chambre et la grand-mère tourne autour d’elle avec de l’encens de myrrhe, santal, lavande ou d’eucalyptus. On dit que c’est pour sortir le froid du corps de la nouvelle maman. Esteban a goûté ses premiers aliments à 2 mois comme tout enfant colombien. J’avais préparé la “tinta de frijoles”, des haricots rouges cuits à l’eau de laquelle je lui donnais le jus. On veut habituer tôt nos petits à notre alimentati­on qui est très salée. On laisse même des nourrisson­s suçoter de la viande. A la crèche, on m’a regardée bizarremen­t quand j’ai dit que mon fils mangeait déjà des petits morceaux à 8 mois. Puis, j’ai vu un documentai­re sur les allergies. Alors, pour mes deux autres enfants, je n’ai plus osé déroger aux règles françaises.

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Brenda, 27 ans, 4 ans et maman d’Esteban ( demi), Nicolas (3 ans (2 mois). et demi) et Gabriela
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 ??  ?? « Les deux grands courent partout, j’ai mal aux seins et je ne me sens plus la force d’allaiter… »
« Les deux grands courent partout, j’ai mal aux seins et je ne me sens plus la force d’allaiter… »
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Voilà ma petite princesse Gabriela !
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