Parents

Du premier son aux premières histoires…

Le bébé naît muni de circuits de neurones tout prêts pour lui permettre d’apprendre n’importe quelle langue. Il met en oeuvre toute son intelligen­ce pour apprendre à parler : seul un isolement total de deux ans pourrait l’en empêcher. Le point sur ce proc

- ANNE VAN WAEREBEKE

C’est à nous de motiver et d’encourager le bébé

Le bébé est un être social. Totalement dépendant de l’adulte, il a besoin de communique­r avec lui pour assurer sa survie. Son premier langage est non-verbal, mais il vient au monde avec des compétence­s langagière­s innées et un élan vital pour les utiliser. Apprendre à parler va lui prendre des années. Au regard du travail phénoménal que cela représente, c’est plutôt rapide! L’essentiel se fait durant sa première année, à l’issue de laquelle il comprend quasiment tout de sa langue maternelle. Il ne lui reste plus qu’à prendre la parole…

La parole, support du lien affectif

Dès sa naissance, alors qu’il passe brutalemen­t d’un monde à l’autre, perdant la plupart de ses repères, le nourrisson reconnaît la voix de sa mère. Au milieu du chaos, c’est un facteur de continuité très rassurant. « Notre voix le contient autant que nos bras, affirme Laura

Notre voix le contient autant que nos bras. Le bébé recherche les situations de communicat­ion, il est en attente d’interactio­n.

Dethiville, psychanaly­ste*. En lui parlant, on le met dans un contexte familier et rassurant. » Dès lors, il va nous falloir jalonner sa vie d’une succession de rituels attendus, et les rythmer par des mots. « L’enveloppem­ent de la voix lui permet de supporter le changement sans angoisse de démantèlem­ent. En effet, le nouveau-né n’a pas d’organisati­on psychique centrale. Il vit dans l’instantané­ité : à chaque réveil, il doit reconstrui­re le monde. » La voix de l’adulte représente alors pour lui un repère essentiel, un phare dans la nuit.

En fait, lorsqu’il vient au monde, le bébé est fait pour communique­r, et il a déjà en lui des compétence­s très spécifique­s qui lui permettron­t d’accéder au langage verbal. En attendant, il recherche les situations de communicat­ion. Il observe les visages humains, accorde plus d’attention à un visage qui sourit, et plus encore à un visage qui parle : il est en attente d’interactio­n. Il est très motivé pour se mettre en situation de dialogue avec sa mère: dès qu’elle approche son visage, il fixe son regard, écarquille les yeux et entrouvre la bouche, comme pour “boire” ses paroles. Il va bientôt découvrir comment l’interpelle­r.

Les pleurs, son premier langage

La première fois qu’il a faim, le bébé est habité par une sensation inconnue. Ce malaise crée une tension dans son corps. Pour faire baisser cette tension et retrouver son équilibre, il crie et s’agite. Quelqu’un vient alors et essaie de répondre à sa situation d’inconfort. Cette séquence se répétant, le bébé apprend à crier intentionn­ellement, pour attirer l’attention, obtenir une réponse. C’est ainsi qu’il entre dans le langage.

Lorsqu’il appelle, ses parents apprennent peu à peu à décrypter ses pleurs qui, selon leur tonalité, leur rythme et leur intensité, signifient qu’il a faim ou sommeil, qu’il est énervé, qu’il a mal… Grâce à cet accordage, le bébé se sent entouré, il est rassuré. Mais la traduction des pleurs n’est pas une science exacte, et il arrive parfois que les parents se sentent démunis, impuissant­s à comprendre ce qui ne va pas… Si seulement il pouvait parler !

Le tout-petit décode nos signaux non-verbaux

De son côté, le bébé semble bien comprendre ce qu’on lui dit. Il perçoit tous les signaux non verbaux qui émanent de l’adulte, mais échappent à sa conscience : le ton de la voix, sa mélodie, douce ou saccadée, son rythme, tranquille ou agité. A travers sa posture, ses mouvements, son regard, l’odeur et la chaleur qu’elle dégage et la façon dont elle le touche, il détecte l’état émotionnel de sa mère. Il sait même si la teneur des paroles de sa mère est en cohérence avec la charge émotionnel­le qui émane d’elle. C’est ainsi qu’il capte le message qu’elle lui envoie. On ne peut pas lui mentir !

L’intuition du langage

À sa naissance, le cerveau du bébé est déjà équipé d’un câblage mystérieux et complexe, spécifique au langage. En activant ces circuits neuronaux, il est capable d’apprendre rapidement n’importe quelle langue, mais il a une légère prédilecti­on pour sa langue maternelle, dont la

mélodie l’a bercé in utero. Plusieurs expérience­s récentes faites avec des bébés âgés de 3 mois ont montré que l’enfant accorde une attention spécifique aux sons qu’il soupçonne de produire un sens. C’est le contexte visuel qui le renseigne. Par exemple, lorsqu’il voit deux adultes échanger des paroles et sembler se répondre, les zones vouées au langage s’activent dans son cerveau et il se concentre. Ou encore, lorsqu’il voit défiler des images, il se concentre sur les phonèmes qu’il entend en même temps que chaque image. Mais si, devant une image, il entend un bruit de toux ou un chant d’oiseau, il n’a pas la même réaction : il “sait” que ces bruits ne sont pas porteurs de sens. Cette intuition et cette attirance pour le langage verbal sont inscrites en lui.

Il découvre le pouvoir des mots

Ces expérience­s ont dévoilé chez les moins de 6 mois des systèmes de pensée opérationn­els : « Les réactions de nos jeunes cobayes devant une succession d’images montrent qu’ils sont déjà capables de classer ce qu’ils voient en catégories: leur pensée est bien plus structurée qu’on ne l’imaginait ! », s’enthousias­me Alex Cristia, psycholing­uiste**. À partir de 6 mois, l’enfant découvre ce que les psys appellent la “permanence de l’objet” : il comprend que ce qui disparaît de sa vue ne cesse pas d’exister, et réapparaît­ra tôt ou tard. On le vérifie facilement, en faisant disparaîtr­e un personnage derrière un paravent et en observant le petit curieux le chercher du regard, attendant sa réappariti­on. C’est grâce à ce concept de permanence qu’il peut se représente­r sa mère absente, se forger une image d’elle qui lui permet de supporter l’attente de son retour. Une fois qu’il a accordé aux choses qui l’entourent cette propriété de permanence, il peut attri-

buer à chacune un nom, qui la représente­ra en son absence. Il comprend alors que le langage permet non seulement de désigner ce que l’on voit, mais également d’évoquer ce qu’on ne voit pas. C’est ainsi qu’il enregistre ses premiers mots, dès 6 à 8 mois.

Une démarche quasi-scientifiq­ue

Pour apprendre un mot nouveau, l’enfant doit d’abord l’identifier en l’isolant du reste de la phrase par différente­s stratégies : il se fie à la tonalité, au rythme des paroles, à la respiratio­n qui sépare deux groupes de mots. Ensuite, au sein d’un groupe de mots, il repère et écarte les pronoms et autres petits mots de liaison qu’il entend fréquemmen­t, pour enfin distinguer les syllabes qui composent le mot inconnu. Il utilise alors le contexte pour tenter d’en cerner le sens.

Une fois le mot appris, le bébé utilise sa capacité à catégorise­r pour passer du particulie­r au général, et comprendre que ce qu’on appelle “chien” ne désigne pas seulement son chien, mais tous les chiens : il est capable de généralise­r son vocabulair­e. Plus tard, procédant avec la même logique, certains iront trop loin dans la généralisa­tion, et se mettront à appeler “maman” toutes les femmes qu’ils rencontren­t !

Il comprend tout, mais ne dit presque rien

Pour apprendre à parler, l’enfant déploie d’innombrabl­es stratégies qui débouchent sur de brillantes déductions, tout cela grâce à un système de pensée solidement structuré : il cherche, teste, déduit, compare, vérifie, enregistre… Il comprend déjà tant de choses ! Mais il ne parle toujours pas.

Tous les bébés, même sourds, commencent à babiller à l’âge de 6 mois. Ils sont préprogram­més pour cela, et ils adorent dialoguer ainsi avec leur mère, les yeux dans les yeux. Puis, vers 9 mois, tandis que les enfants sourds cessent de babiller, les autres émettent de nouveaux sons, plus proches des syllabes de leur langue maternelle.

À chacun son tempo

Le babillage permet au petit bavard de muscler son appareil phonatoire. Pour bien arti- culer, il lui faudra coordonner les mouvements de sa bouche et de sa langue, et moduler la puissance de son souffle… Un travail difficile, qui explique en partie le décalage entre la compréhens­ion précoce de la langue et sa production, qui tarde. La plupart des bébés disent leurs premiers mots à un an et progressen­t lentement, se contentant de quelques mots familiers jusqu’à la fameuse période d’“explosion langagière”, entre 18 et 24 mois, où ils prononcent jusqu’à dix mots nouveaux par jour. Certains, pourtant, ne commencero­nt à bien parler qu’à 3 ans. À chacun sa stratégie, selon son tempéramen­t : il n’y a pas lieu de s’inquiéter tant que l’enfant communique et comprend. Les grands écarts observés entre enfants se combleront à l’entrée à l’école maternelle.

*Laura Dethiville, psychanaly­ste, présidente de la

IWA (Internatio­nal Winnicott Associatio­n), auteure de “Winnicott, une nouvelle approche” (Campagne Première).

*Alex Cristia, psycholing­uiste, chercheuse au CNRS, Babylab ENS.

Certains ne commencent à parler qu’à 3 ans. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter tant que l’enfant communique et comprend.

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