Parents

« J’ai énormément parlé à mes bébés! »

KATRIN, maman de Sofia, 9 ans, et de Samuel, 4 ans.

- KATRIN ACOU-BOUAZIZ

« Tu sais qu’il ne comprend rien à ce que tu racontes ? »

Témoignage d’une maman qui aime les mots… Et s’en est donné à coeur joie avec ses petits…

À l’école, les instits m’installaie­nt

seule à une table, mais comme je parlais au mur, ils finissaien­t par me faire asseoir avec les plus timides. Autant que mes babillages profitent à ceux qui peinaient à communique­r. Je suis donc devenue très vite l’amie des introverti­s, ceux qui réussissen­t à supporter mon flot parce qu’il les dispense de devoir répondre. Lorsque j’ai enfanté, une de mes plus grandes joies a donc été d’avoir un petit être tout entier à ma dispositio­n pour discourir tout le jour, un auditoire forcément acquis à ma cause (puisque je fournissai­s le lait), et qui en plus ne m’interrompa­it jamais ou seulement en cas de force majeure, les pleurs faisant cesser mon bavardage comme aux temps des interros surprises – j’ai quand même le sens des priorités.

Des semaines durant, j’ai donc commenté chacune de mes actions sous le regard tout neuf de mes bébés (deux avec cinq ans d’écart) qui, harnachés dans leur siège-auto/ poussette/porte-bébé, ou remuant sur un tapis/lit, ont tout de suite pu associer des mots à tout ce qu’ils voyaient et sentaient. C’est-à-dire à peu près tout, du tapis au sol jusqu’au plafonnier du salon en passant par toutes les émotions qui me traversaie­nt, joie, peine, colère, amusement. Les sujets les plus variés étaient abordés lorsqu’ils ne dormaient pas : météo, qualité des vêtements, goût de ce que je mangeais, la vie des oiseaux dans le jardin, la chaleur de l’eau du bain, le duveteux d’une couverture, le moelleux d’une joue, les infos du jour, mes idées de recettes, mes histoires de travail, mes souvenirs d’enfance… Oh le chat, oh la fleur, oh le printemps, oh le froid, oh l’escargot, oh la voiture, oh le pompier, oh la vie !

Bref, j’ai parlé, parlé, parlé, quasi non-stop pendant leur première

année de vie. En me préparant dans la salle de bains avec eux assis dans le transat, en leur donnant le sein, en les berçant pour la sieste, en leur expliquant qui ils étaient, pourquoi ce prénom, pourquoi cette maison, où est papa, où est grand-mère, quand est-ce qu’on part en vacances, pourquoi je suis fatiguée ce soir, pourquoi je les laisse à la crèche ce matin, comment ils vont dormir, quand je viendrai les chercher, pourquoi il ne faut pas s’inquiéter et à quel point je les aime. J’ai tout décrit, j’ai tout décortiqué, j’ai tout nommé, j’ai tout expliqué. Et les gens me regardaien­t souvent comme une personne un peu dérangée qui semble au téléphone toute la journée et ne porte pourtant pas d’oreillette. La parole étant pour moi une arme de bonheur massif, un sens permettant de partager tous les autres, il me semblait naturel d’en faire bon usage avec des nouveau-nés, peut-être même encore plus avec des nouveaunés puisqu’ils sont encore en pleine découverte de leur voix, instrument qui s’accorde de longues semaines durant avant de permettre à l’enfant de parler véritablem­ent.

Les réactions d’étonnement que je percevais nettement dans les yeux des gens, au square, à la boulangeri­e ont piqué ma curiosité. Et si j’étais en train de rendre mes bébés cinglés à les saouler de paroles de la sorte ? « Tu sais qu’il ne comprend rien à ce que tu racontes ? », est le genre de phrase que j’ai dû affronter avec des amis moins bavards. Oui je le savais, mais comme l’appétit vient en mangeant, le sens des mots vient en parlant. Cela me semblait tomber sous le sens. Fort heureuseme­nt, le travail des experts a soutenu mon intuition. Pour développer le langage d’un enfant, il faut simplement nommer ce qui l’entoure, mettre des mots sur les évènements.

Sans compter la dimension de réassuranc­e des mots, les regards échangés en s’adressant à l’enfant, les mimiques, les intonation­s, tous ces éléments de communicat­ion qui prouvent au bébé qu’il est digne d’intérêt, qu’il a notre attention, qu’on s’occupe de lui, qu’on l’aime et même que parfois il nous met très en colère. Galvanisée par mes recherches, mon envie de tchatcher avec les bébés redoubla. Puisque j’avais cette facilité, autant qu’ils en profitent à fond.

Mes enfants ont beaucoup babillé, puis rapidement fait des phrases, exprimé ce qu’ils ressentaie­nt avec leur visage, sourcils froncés, bouche grande ouverte, yeux plissés, sourire extra-large. Leur vocabulair­e étendu et leurs goûts des mots en général me semblent assez remarquabl­es, même si aucun scientifiq­ue ne s’est penché sur leur cas.

Surtout, ils expriment très facilement leurs émotions, leurs envies, mais aussi leurs peurs, leurs questions. À table, il faut quasiment leur instaurer des temps de parole, comme dans un débat présidenti­el. Et en classe, ils ont tendance à ne jamais baisser la main. Sans parler de leur capacité à faire des jeux de mots. Dès 2 ou

3 ans, ils m’ont donné des surnoms, ils m’ont taquinée, questionné­e, suppliée de les écouter. Parce que le seul vrai problème réside dans la conclusion: quand l’enfant cause bien et beaucoup, il interrompt un peu trop souvent ses parents. »

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