Témoignage
“J’ai su que j’étais enceinte quand j’ai accouché!”
J’ai accouché sans savoir que j’étais enceinte. Rien ne laissait présager mon état: peu de prise de poids (3kg), pas de ventre rond et un cycle menstruel régulier. J’ai accouché seule chez moi, sans savoir ce qui m’arrivait, pensant sincèrement que j’allais mourir. C’est un traumatisme au sens médical et psychologique du terme: je ne me souviens de presque rien de la mise au monde de ma fille, comme si un voile opaque avait été jeté sur ce souvenir. Je me souviens avoir eu mal au ventre, puis aux reins et l’instant d’après, elle poussait son premier cri. Une massue s’est abattue sur ma tête. Je l’ai ressenti littéralement comme ça. Un poids de culpabilité, de peur, d’angoisse, d’incompréhension, de haine envers moi-même. Je fonctionnais à l’instinct, je ne pensais qu’à sauver la vie de ma fille. J’ai appelé les secours. Mon conjoint était absent. Cela faisait quatre ans et demi que nous étions ensemble, nous utilisions des préservatifs, les contraceptions hormonales ne me convenant pas. Si mon conjoint a réussi à se projeter plus facilement, moi, j’ai eu et ai encore toutes les peines du monde à me voir mère. Pourtant, j’aime ma fille d’un amour infini, on me décrit comme une “mère parfaite”, j’ai pris la décision d’arrêter de travailler pour m’en occuper et l’élever moi-même, je me donne corps et âme pour elle. Mais psychologiquement, j’accuse encore le choc, le traumatisme de son arrivée. D’autant plus que je n’ai pas été épaulée par le personnel médical. J’ai eu affaire à des personnes inhumaines, pressées, n’hésitant pas à me critiquer en ma présence : « Comme si elle le savait pas ! » ou « Si vous n’en voulez pas, vous avez deux mois pour changer d’avis » et même « Vous n’avez pas fait les examens pendant votre grossesse, votre bébé risque de mourir… » J’ai dû supporter leurs remarques blessantes pendant les 6 jours d’hospitalisation, suppliant mon conjoint de rester chaque nuit avec moi pour ne pas être seule avec les infirmières. Seules les étudiantes sages-femmes étaient adorables et patientes. J’ai eu la visite d’une assistante sociale qui m’a dit que je DEVAIS demander le RSA, que je DEVAIS demander des aides à la CAF. Sans prendre en compte que je n’étais pas seule, que mon conjoint a une bonne situation. Quand elle est partie, je me sentais comme un cas social (pas d’insulte ici, mais uniquement l’appellation normale). Je suis sortie de la maternité abattue, démoralisée et dépressive. On ne savait pas comment s’occuper
d’un bébé, comment l’élever. On a appris à être parents seuls, on s’est renseignés sur Internet, lu des études scientifiques, etc. Les forums m’ont mise à terre mentalement, trop de critiques et de haine, alors j’ai arrêté de les consulter. Nos proches nous ont aidés pour le minimum vital d’un bébé (lit, matelas à langer, couches…). Chaque fois que je demandais de l’aide, que je devais raconter l’histoire de ma fille, on me disait que je serais, de toute façon, une mauvaise mère puisque je ne l’avais pas sentie, que je ne savais pas qu’elle était là. Il a fallu neuf mois, le temps d’une grossesse, pour que les choses se tassent doucement. Pour que nous nous rendions compte que nous étions parents. Avant ça, je savais que j’avais une responsabilité, que j’aimais ma fille, qu’elle était bel et bien là, mais je n’arrivais pas à me projeter, je buttais sur les mots “Je suis maman” ou “Ma fille”. Aujourd’hui, ça fait seize mois qu’elle nous a rejoints. J’ai bien tenté les psychothérapies, mais elles se sont soldées par des échecs,
« Une massue s'est abattue sur ma tête. Je l'ai ressenti littéralement comme ça. Un poids de culpabilité, de peur, d'angoisse, d'incompréhension, de haine envers moi-même. »
ne m’aidant pas à aller mieux. Je fais face à des états d’âme contradictoires : je suis fière de ce que j’ai accompli, fière de ma fille, fière de voir ce que nous avons traversé à trois, j’aime mon rôle de mère et m’y donne à fond. Puis, d’un autre côté, il y a ce regret, cette amertume de se dire que plus jamais je ne connaîtrais l’insouciance, ce “je-m’en-foutisme” de jeunesse qui réfute toute organisation, toute planification.
Il y a aussi une haine profonde, une douleur sourde qui commence seulement à s’apaiser.
Je me demande encore “Pourquoi moi?”, “Qu’est-ce que j’ai pu faire pour mériter ça?” Ce sentiment s’évanouit dès que je vois ma fille, mais il me dévore. Cette culpabilité de ne pas avoir su, crée une haine envers les autres mères: celles qui sont un peu moins prévenantes, celles qui fument au-dessus du landau… Je me demande constamment pourquoi moi, qui suis devenue mère en une heure, pourquoi suis-je plus alerte qu’elles ? Pourquoi suis-je plus protectrice avec ma fille qu’elles ne le sont avec leur enfant ? Pourquoi osent-elles me dire que je suis une mauvaise mère sous prétexte que je ne l’ai pas su ? Autant de questions sans réponse.
Avec le recul et en en parlant, je me suis rendu compte que c’est un burn-out professionnel qui a enclenché le processus du déni.
J’étais tellement mal dans ma peau à cause du travail qu’avoir un enfant aurait été la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase. Aujourd’hui, j’essuie toujours les conséquences de mon déni: je subis des pertes de mémoire importantes à cause du traumatisme, une hypersensibilité sur le sujet, une dépression insidieuse qui torpille ma bonne humeur dès que je suis seule. J’ai comme une dette affective envers ma fille, que je m’efforce de combattre: je suis incapable de la confier à quelqu’un d’autre que son père, et pas plus d’une heure ; je ne supporte pas qu’on la touche sans ma permission; je dois m’occuper de tout ce qui se rapporte à elle, faute de quoi je pense que c’est mal fait. Mais j’apprends doucement à vivre avec le fait que je suis mère. Heureusement, mon conjoint est là et nous nous entraidons. Voilà pour mon témoignage. J’espère qu’en en parlant, en diffusant des informations ,les gens comprendront la douleur que cela engendre. »
“Je dois m'occuper de tout ce qui se rapporte à elle, faute de quoi, je pense que c'est mal fait.”