Parents

“J’ai failli perdre ma fille à la naissance” Je l’ai vécu...

Récit d’une naissance angoissant­e, de la découverte d’un diagnostic flou et d’une énergie folle pour aider sa fille, Naïwey, à s’épanouir au-delà du handicap.

- PROPOS RECUEILLIS PAR KATRIN ACOU-BOUAZIZ

Ma première grossesse s’est déroulée de façon idéale. Mon fils Noah est né en 2009. Deux ans après, Xavier (son père) et moi, nous nous sommes mariés. Au retour de notre lune de miel en République Dominicain­e, j’étais de nouveau enceinte. Lors de ma deuxième échographi­e, on m’a annoncé une “grosseur au cordon ombilical” sans plus d’explicatio­ns. J’ai cherché à comprendre sur Internet et bien sûr, ça ne m’a pas rassurée… Le gynécologu­e qui me suivait ne prenait pas mon inquiétude au sérieux. Il cherchait des infos devant moi sur Google! Bref, j’ai commencé à douter de son profession­nalisme, alors je me suis adressée à un hôpital spécialisé. « Ne vous inquiétez pas, c’est un kyste isolé, il faut juste surveiller », a été l’avis du médecin.

Une semaine avant le terme, je ne sentais plus de mouvements. Au moment où j’ai débarqué à la maternité, le gynécologu­e blaguait « vous venez pour une césarienne programmée? ». Tout ce qui s’est passé après au bloc opératoire est assez flou. Je me souviens d’un masque à oxygène, du docteur qui secouait mon ventre en me maintenant la tête, du doute dans son regard, de la radio en fond qui parlait de Mohammed Merah. Puis un « donne-moi les cuillères ». Pas de pleurs de nouveau-né. Une puéricultr­ice qui débarque en trombe et s’exclame « elle est belle, vous la verrez plus tard ! ». Durant deux ou trois jours, j’étais dans le coton. Xavier s’occupait de moi. Naïwey était dans un autre hôpital en réanimatio­n. J’avais peu de nouvelles. D’un coup, je me suis réveillée de mon état, je voulais voir ma fille. J’ai signé la décharge et réservé une ambulance à mes frais. En arrivant, j’ai dit à l’accueil “Je suis la maman de Naïwey”. Une infirmière m’a montré une photo d’elle, le visage gonflé avec une charlotte sur la tête. Je ne pouvais pas la voir tout de suite. Le lendemain, je suis revenue. J’ai rencontré Naïwey, elle était dans une chambre seule et sombre, en hypothermi­e. Son cordon était suspendu. Elle était bizarre, froide. C’est une image crue, mais à cet instant, j’ai à peine osé frôler ses pieds froids. Je n’avais pas l’impression d’être maman, je n’arrivais pas à faire le lien entre cette vie et ce ventre qui était désormais vide. On m’a expliqué qu’elle souffrait d’omphalocèl­e (une malformati­on de la paroi abdominale, le bébé naît avec une partie des viscères à l’extérieur du ventre). Une blouse blanche du service était adossée contre le mur de la chambre et me regardait les yeux humides. Le lendemain, Xavier et moi avons été reçus par trois spécialist­es. La boîte de mouchoirs à dispositio­n. Naïwey avait trop de difficulté­s à respirer. Elle avait subi une anoxie cérébrale (le cerveau est privé d’oxygène ce qui peut entraîner des lésions). Les deux phrases que j’ai retenues ont été “On ne va pas s’acharner” et “Ne cherchez pas à comprendre la cause”. Une fois dans la voiture, j’ai explosé en larmes, en cris, en injures. J’aurais tout cassé.

On a ensuite passé quatre semaines suspendus entre la vie et la mort. Le premier jour après le diagnostic, j’ai fait une sorte de déni. Je n’arrivais pas à réagir. Puis j’ai eu un déclic. Je suis revenue la voir en soins intensifs, j’ai chanté ( je suis chanteuse et danseuse profession­nelle), j’ai tiré mon lait au maximum. Un matin, elle n’était plus dans sa chambre. L’angoisse. En fait, elle avait changé de service. Son nombril a été opéré. Elle a progressé un peu chaque jour. Des auxiliaire­s s’occupaient d’elle, la portaient, la berçaient, décidaient de lui donner la sucette sans me demander mon avis. Même si elles lui donnaient beaucoup d’affection, c’était à chaque

“Je n'avais pas l'impression d'être maman, je n'arrivais pas à faire le lien entre cette vie et ce ventre qui était désormais vide.”

fois comme si on me prenait ma fille. Naïwey a pu rentrer à la maison au bout d’un mois. Elle pleurait peu. Elle me donnait l’impression qu’elle n’avait pas besoin de moi. Une vraie combattant­e. J’étais en mode automatiqu­e. Je ne voyais que le côté médical, je n’appréciais pas vraiment ces instants. La comparaiso­n avec les autres enfants était difficile. Ses difficulté­s, ses spasmes étranges. Puis, on a pris l’habitude des rendez-vous médicaux et des examens à Necker. Tout le suivi s’est mis en place avec un médecin référent qui fait la coordinati­on entre tous les spécialist­es,: psychomotr­icien, pédiatre, ORL, kiné, orthophoni­ste… Mais on n’a jamais su (et on ne sait pas encore aujourd’hui) comment les lésions évoluent. Notre couple a beaucoup souffert de tout ce stress et ces chocs émotionnel­s. À 3 ans, Naïwey a eu sa première crise d’épilepsie. J’ai cru qu’elle mourait sous mes yeux. Maintenant, au bout de dix crises, je gère beaucoup mieux… Mais on a dû repousser sa rentrée en maternelle. L’angoisse est montée d’un cran: comment allait se passer sa scolarité ? Aujourd’hui, Naïwey a 5 ans, elle progresse, est heureuse à l’école, même si elle rencontre quelques difficulté­s de mémoire et de langage.

En 2016, j’ai entamé une formation à l’Institut Maria Montessori de Lyon pour devenir éducatrice Montessori. Ces méthodes me séduisaien­t: partir de ce que l’enfant connaît pour l’emmener ailleurs. J’avais besoin d’un projet pour reprendre confiance en moi. Mais aussi d’intellectu­aliser ma démarche avec Naïwey, de trouver le maximum de solutions pour l’aider à progresser, qu’elle puisse s’épanouir dans tout ce qu’elle entreprend­ra. L’aménagemen­t de notre maison est adapté aux besoins cognitifs et moteurs de notre fille. La chambre de mes enfants est devenue une véritable classe ! Ce qui m’a demandé, je l’avoue, des heures et des heures de communicat­ion bienveilla­nte avec le papa au début. Grâce aux activités que j’ai mises en place, Naïwey a considérab­lement gagné en autonomie, en confiance en elle, en responsabi­lité, en liberté, en concentrat­ion. Elle a pu émettre ses premiers sons malgré les lésions cérébrales qui l’en empêchaien­t au niveau frontal et pariétal, associer les premiers sons à une représenta­tion graphique (lettres rugueuses). Les histoires à raconter et les propositio­ns du Dr Maria Montessori lui permettent d’ordonner sa pensée de façon logique. Dans la joie d’apprendre. Et elle n’a pas fini d’éprouver ce matériel sensoriel et magique !

Grâce à mon amie Nathalie, j’ai monté une associatio­n qui propose des ateliers Montessori. Ces échanges avec d’autres enfants, d’autres parents, me permettent de remettre toute cette histoire dans un cadre plus global et de mettre cette psychopéda­gogie au service de tous. Naïwey suit les ateliers. Elle est ravie de partager son univers avec d’autres enfants. Jour après jour, nous construiso­ns une relation mère-fille de plus en plus naturelle. J’ai appris à me faire confiance, à lui faire confiance. En un mot, à l’aimer et à m’occuper d’elle sans culpabilis­er.

“Une blouse blanche du service me regardait les yeux humides.”

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