Parents

Dans la tête des bébés…

Reportage au BabyLab de l’ENS à Paris, un laboratoir­e qui s’intéresse au cerveau des bébés. Découvrez comment des scientifiq­ues tentent de percer les mystères des sciences cognitives chez les petits de moins de 3 ans.

- KATRIN ACOU-BOUAZIZ. REPORTAGE PHOTOS ÉLÉONORE HENRY DE FRAHAN

Paris Ve, rue d’Ulm, Ecole Normale Supérieure, au fond d’un couloir : un canapé, un tapis de jeu et quelques jouets premier âge sont posés au sol… Nous poussons la porte d’un des quatre “BabyLab” parisiens, un laboratoir­e de sciences cognitives et de psycholing­uistique qui étudie une bête bien curieuse : le bébé.

Ici, chaque semaine, des dizaines de bébés bénévoles (recrutés d’après les registres de naissance) se prêtent au jeu de différents tests qui permettent aux chercheurs de progresser dans la connaissan­ce du fonctionne­ment du cerveau d’un bébé, entre autres la conscience de soi, la perception visuelle, et l’acquisitio­n du langage, objet des tests de ce lundi matin.

« Nous essayons de vérifier l’hypothèse selon laquelle les bébés reconnaiss­ent la nature des mots (verbe ou nom) grâce aux mots qui les précèdent (articles ou pronoms). En bref, nous vérifions que le contexte du mot permet à l’enfant d’en comprendre le sens. Pour cette série d’expérience­s, nous allons voir une centaine d’enfants entre 5 et 20 minutes chacun », explique Anne Christophe, la directrice du BabyLab.

« J’ai reçu une propositio­n par mail pour participer. Comme j’ai été enseignant­e, cela m’a tout de suite intéressée. Je suis fascinée par tout ce que les petits sont capables d’intégrer. En plus, Martin adore parler. Et mon métier de comédienne me laisse de la souplesse d’organisati­on pour me rendre disponible de temps en temps », raconte Sandrine, la maman de Martin, 14 mois. Après avoir enlevé son manteau et pris le temps de se familiaris­er avec les lieux, Martin prend place sur les genoux de sa maman dans une des deux cabines

Les sciences cognitives chez le bébé : “un véritable travail de détective”.

du BabyLab. Quelques peluches et affiches colorées au mur rendent le lieu un peu moins protocolai­re. Sur l’écran devant lui, Martin découvre un petit oiseau.

Une voix douce commente les actions du personnage avec des mots nouveaux : « Regarde, il nuve ! », « Regarde, il daze ! »… Lorsque Martin est habitué à ce vocabulair­e, son attention chute, il détourne le regard. Le test peut commencer. À partir de là, lorsqu’il est surpris par une phrase car le mot nouveau n’est pas utilisé dans son contexte grammatica­l habituel (« Regarde, un nuve ! », « Regarde, un daze ! »), son attention redouble, il reste concentré sur l’écran. La chercheuse, Mireille Babineau, travaille sur le langage des bébés depuis 2007. C’est elle qui observe les réactions de Martin et les enregistre depuis son poste d’observatio­n.

« Parfois, il faut attendre que l’enfant soit disponible pour faire le test ou le distraire un peu », ajoute la directrice du laboratoir­e qui n’hésite pas à jouer aux marionnett­es entre deux expérience­s pour détendre l’atmosphère. Le deuxième enfant qui participe ce matin s’appelle Lino. Il a 20 mois et est accompagné de ses deux parents, Nelly et Stéphane. Au programme, une expérience un peu différente, mais sur le même thème du langage. «Nous allons essayer de comprendre quel sens donne Lino aux nouveaux mots qu’il entend », poursuit Anne Christophe. Le petit garçon se laisse poser une gommette sur le front sans trop de difficulté et accepte d’entrer avec sa maman dans la deuxième cabine du BabyLab. Lui aussi se retrouve face à un écran et se confronte à des mots nouveaux posés au choix sur des objets étranges ou des actions inconnues. Mais le contexte grammatica­l lui suffit pour comprendre de quoi on parle et cela se mesure cette fois au mouvement de son regard traqué par une caméra. « Ouf, il est normal ! », plaisante Stéphane, rassuré par les réactions de Lino.

« C’est le deuxième test auquel on participe, le premier était sur la conscience de soi », se souvient le papa. « Je suis maître de conférence­s à la fac, alors je suis très sensible à ce genre de démarche et je sais comme les chercheurs ont du mal à trouver des volontaire­s!», explique Nelly. Anne Christophe conclut : « Nous tenons les parents au courant des résultats des études par mail et ils sont aussi publiés sur notre site, mais il faut savoir que c’est un travail de détective. Par exemple, l’apprentiss­age du langage ne dépend pas que du contexte, il dépend aussi de la mélodie de la phrase, de l’objet ou de l’action qu’on montre en parlant. »

Dans tous les cas, une fois les tests terminés, les deux participan­ts reçoivent leur diplôme personnali­sé d’une jolie photo, c’est le certificat de Membre d’honneur du BabyLab de l’École Normale Supérieure”. Simple souvenir ou première récompense scientifiq­ue d’une longue série à accrocher au-dessus du berceau ?

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L’expérience sert à comprendre quel sens Lino va donner aux nouveaux mots qu’il entend.
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A la fin de la séance, les scientifiq­ues en herbe reçoivent un diplôme souvenir à leur nom, personnali­sé avec une photo.

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