Dans la tête des bébés…
Reportage au BabyLab de l’ENS à Paris, un laboratoire qui s’intéresse au cerveau des bébés. Découvrez comment des scientifiques tentent de percer les mystères des sciences cognitives chez les petits de moins de 3 ans.
Paris Ve, rue d’Ulm, Ecole Normale Supérieure, au fond d’un couloir : un canapé, un tapis de jeu et quelques jouets premier âge sont posés au sol… Nous poussons la porte d’un des quatre “BabyLab” parisiens, un laboratoire de sciences cognitives et de psycholinguistique qui étudie une bête bien curieuse : le bébé.
Ici, chaque semaine, des dizaines de bébés bénévoles (recrutés d’après les registres de naissance) se prêtent au jeu de différents tests qui permettent aux chercheurs de progresser dans la connaissance du fonctionnement du cerveau d’un bébé, entre autres la conscience de soi, la perception visuelle, et l’acquisition du langage, objet des tests de ce lundi matin.
« Nous essayons de vérifier l’hypothèse selon laquelle les bébés reconnaissent la nature des mots (verbe ou nom) grâce aux mots qui les précèdent (articles ou pronoms). En bref, nous vérifions que le contexte du mot permet à l’enfant d’en comprendre le sens. Pour cette série d’expériences, nous allons voir une centaine d’enfants entre 5 et 20 minutes chacun », explique Anne Christophe, la directrice du BabyLab.
« J’ai reçu une proposition par mail pour participer. Comme j’ai été enseignante, cela m’a tout de suite intéressée. Je suis fascinée par tout ce que les petits sont capables d’intégrer. En plus, Martin adore parler. Et mon métier de comédienne me laisse de la souplesse d’organisation pour me rendre disponible de temps en temps », raconte Sandrine, la maman de Martin, 14 mois. Après avoir enlevé son manteau et pris le temps de se familiariser avec les lieux, Martin prend place sur les genoux de sa maman dans une des deux cabines
Les sciences cognitives chez le bébé : “un véritable travail de détective”.
du BabyLab. Quelques peluches et affiches colorées au mur rendent le lieu un peu moins protocolaire. Sur l’écran devant lui, Martin découvre un petit oiseau.
Une voix douce commente les actions du personnage avec des mots nouveaux : « Regarde, il nuve ! », « Regarde, il daze ! »… Lorsque Martin est habitué à ce vocabulaire, son attention chute, il détourne le regard. Le test peut commencer. À partir de là, lorsqu’il est surpris par une phrase car le mot nouveau n’est pas utilisé dans son contexte grammatical habituel (« Regarde, un nuve ! », « Regarde, un daze ! »), son attention redouble, il reste concentré sur l’écran. La chercheuse, Mireille Babineau, travaille sur le langage des bébés depuis 2007. C’est elle qui observe les réactions de Martin et les enregistre depuis son poste d’observation.
« Parfois, il faut attendre que l’enfant soit disponible pour faire le test ou le distraire un peu », ajoute la directrice du laboratoire qui n’hésite pas à jouer aux marionnettes entre deux expériences pour détendre l’atmosphère. Le deuxième enfant qui participe ce matin s’appelle Lino. Il a 20 mois et est accompagné de ses deux parents, Nelly et Stéphane. Au programme, une expérience un peu différente, mais sur le même thème du langage. «Nous allons essayer de comprendre quel sens donne Lino aux nouveaux mots qu’il entend », poursuit Anne Christophe. Le petit garçon se laisse poser une gommette sur le front sans trop de difficulté et accepte d’entrer avec sa maman dans la deuxième cabine du BabyLab. Lui aussi se retrouve face à un écran et se confronte à des mots nouveaux posés au choix sur des objets étranges ou des actions inconnues. Mais le contexte grammatical lui suffit pour comprendre de quoi on parle et cela se mesure cette fois au mouvement de son regard traqué par une caméra. « Ouf, il est normal ! », plaisante Stéphane, rassuré par les réactions de Lino.
« C’est le deuxième test auquel on participe, le premier était sur la conscience de soi », se souvient le papa. « Je suis maître de conférences à la fac, alors je suis très sensible à ce genre de démarche et je sais comme les chercheurs ont du mal à trouver des volontaires!», explique Nelly. Anne Christophe conclut : « Nous tenons les parents au courant des résultats des études par mail et ils sont aussi publiés sur notre site, mais il faut savoir que c’est un travail de détective. Par exemple, l’apprentissage du langage ne dépend pas que du contexte, il dépend aussi de la mélodie de la phrase, de l’objet ou de l’action qu’on montre en parlant. »
Dans tous les cas, une fois les tests terminés, les deux participants reçoivent leur diplôme personnalisé d’une jolie photo, c’est le certificat de Membre d’honneur du BabyLab de l’École Normale Supérieure”. Simple souvenir ou première récompense scientifique d’une longue série à accrocher au-dessus du berceau ?