Parents

Je l’ai vécu... à faire “Avec le théâtre, je cherche garçon.” partager la perte de mon petit

Nous attendions notre troisième. Durant la grossesse, les mesures aux échos semblaient légèrement inférieure­s à la normale. Les médecins se voulaient rassurants et ont même pratiqué une amniocentè­se pour vérifier que tout allait bien. Malgré cela, Roman e

- PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE SAADA

Deux mois avant le terme, ma femme Mylène a commencé à perdre un peu de sang.

Nous sommes partis à la maternité, persuadés que nous serions rentrés à temps le soir pour le spectacle de danse de Sasha, notre fille aînée. Puis tout s’est accéléré. On nous a annoncé que les contractio­ns se rapprochai­ent et que notre petit garçon arrivait. Quelques heures plus tard, nous étions à nouveau parents d’un beau bébé de 1,690 kg.

Nous avons savouré notre joie l’espace d’un court instant, car nous avons été rattrapés par une dure réalité. Une course contre la montre s’enclenchai­t… Les médecins nous ont dit qu’il fallait injecter à Roman une substance pour maintenir ses alvéoles pulmonaire­s ouvertes. Puis ils ont tenté une intubation sans y parvenir. Ils nous ont finalement déclaré qu’une opération de l’oesophage était nécessaire dès le lendemain. Nous n’avions pas le temps de penser, nous respirions au rythme de Roman, nous vivions non pas au jour le jour, mais heure après heure. Après l’interventi­on, notre fils ne respirait toujours pas normalemen­t. L’équipe médicale s’est alors penchée sur une atrésie des choanes (obturation de l’extrémité postérieur­e de la fosse nasale communiqua­nt avec l’arrière-gorge).

Par déduction, les médecins nous ont expliqué que notre fils était atteint du syndrome CHARGE.

Après des tests génétiques, le diagnostic était sans appel. Il souffrait, comme l’indique le nom dont chaque lettre présente une pathologie, d’une accumulati­on de petites malformati­ons sur différents organes. Nous sommes alors partis dans un hôpital spécialisé, mais malgré un personnel médical incroyable, on nous laissait peu d’espoir.

Mylène ne pouvait pas dormir dans la même chambre que Roman qui était en couveuse dans le service de réanimatio­n des prémas. Elle était épuisée… Malgré mon état d’extrême fragilité, je devais “tenir” ma famille à bout de bras. J’avais l’impression d’essayer de rapprocher différents continents à la dérive, un pied sur chacun. Nos filles restaient à la maison avec leurs grands-parents et je revenais chaque soir leur expliquer ce qui nous arrivait. La famille et les amis nous envoyaient des SMS de félicitati­ons, mais à chaque fois décalés de notre réalité qui évoluait si vite. Les jours suivants, nous avons appris que Roman souffrait de surdité, d’une malformati­on cardiaque et enfin cérébrale. Vingt-cinq médecins se sont réunis pour débattre du cas de notre fils. Pas un seul ne nous a dit qu’il y avait une lueur d’espoir. Ils nous annonçaien­t qu’on allait s’acheminer vers un accompagne­ment de fin de vie. Ils nous expliquaie­nt que ça consistait en l’arrêt des traitement­s, sans souffrance. Avec ma femme, nous n’étions pas pour un acharnemen­t thérapeuti­que. Nous sommes restés avec Roman jusqu’à la fin. Tout est allé très vite sur un si petit corps. Il a vécu 13 jours.

On se dit que tout est fini mais rien n’est fini. On a géré l’enterremen­t, nos filles et les proches.

Nous étions incroyable­ment soutenus. On nous donnait tant d’amour et d’énergie que lorsque nous nous sommes retrouvés à quatre, on a senti que cette force se délitait et qu’il ne restait que la tristesse. J’ai ressenti une fatigue intense. J’avais mal partout. Mylène et moi avons été suivis par des psys qui nous ont aidés à surmonter ces moments. Très vite, j’ai eu besoin de faire quelque chose de cette histoire. Quelques semaines après, je me suis mis à écrire de manière la plus détaillée possible ces 13 jours de vie. Je ne voulais rien oublier, garder une trace pour pouvoir mieux l’expliquer,

plus tard, à mes filles. C’était un travail de mémoire que j’accompliss­ais, seul, le soir, face à mon ordinateur.

Une année après ce drame, je me suis inscrit à un stage de théâtre de cinq jours.

J’en rêvais depuis longtemps, mais n’avais jamais franchi le pas. J’ai pris une claque. Je me suis découvert et retrouvé soudain ébranlé dans mes fondements, il fallait que j’aille plus loin. J’ai alors repensé à mes textes et j’ai contacté un ami metteur en scène. Pouvais-je en faire quelque chose ? Nous avons travaillé ensemble et la trame d’une pièce s’est alors peu à peu dessinée. Le sport a toujours joué un rôle important dans ma vie. Je me suis rendu compte que j’avais vécu ces 13 jours tel un marathonie­n, je m’étais pris des coups comme un boxeur. J’avais décidé de mettre en scène ma pièce à travers le biais du sport.

Quand je joue, je cours, je bouge, au rythme de cette course contre la montre à la maternité.

J’emmène le public de force en service de néonat. Je veux plonger les gens au plus proche de l’état sensoriel, physique et psychologi­que de ce que nous avons vécu. Étrangemen­t, je n’ai pas l’impression de jouer. Je suis dans un moment de vérité, et même si chaque fois que je monte sur scène j’ai l’impression que mon coeur va lâcher, je cherche avant tout à faire partager aux spectateur­s mon expérience de vie. J’en sors vidé, apaisé. En juillet 2017, la rencontre avec le public à Avignon a été immédiate et sincère. À chaque représenta­tion, on me témoignait beaucoup de reconnaiss­ance. Finalement, on ne sort pas indemne de cette heure de théâtre, mais plus vivant que jamais. Mylène a suivi chacune de mes étapes, elle m’accompagne dans toutes mes démarches avec une extrême bienveilla­nce malgré les douleurs que cela ravive. Gabrielle est née deux ans après la disparitio­n de notre petit garçon. Nous étions prêts à agrandir notre foyer. Nos filles ont chacune un petit album photos de Roman que nous portons tous dans notre coeur.

En octobre, je remonte sur scène. “Tu seras un homme papa*” va être joué pendant presque deux mois à Paris. Quand j’ai rencontré le directeur du théâtre, il m’a dit qu’il me programmai­t dans une de ses salles appelée “Paradis”. Il n’y a pas de hasards, elle était pour nous.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France