Parents

“Mon combat pour ma fille atteinte de la maladie de Sanfilippo.”

Maman d'Ornella, atteinte d'une maladie rare et dégénérati­ve, Karen Aiach a décidé de faire avancer la science ! Coûte que coûte ! Pour metttre au point un traitement.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JESSICA BUSSAUME

“Après nous avoir décrit ce qui nous attendait, le médecin a parlé de son espérance de vie de douze à treize ans, et de l'absence totale de traitement.”

Quand on attend un enfant, on se fait du souci, on songe à la maladie, au handicap,

à la mort accidentel­le parfois. Et si j’ai eu des craintes, je n’ai jamais pensé à ce syndrome-là, car je ne le connaissai­s évidemment pas. Que ma première fille, ma belle petite Ornella qui a 13 ans aujourd’hui, puisse souffrir d’une maladie incurable n’a pas été audible. La maladie a fait son ouvrage. Un jour, alors qu’elle avait 4 ans, nous avons constaté qu’elle avait subreptice­ment et complèteme­nt perdu le langage. Sa dernière phrase a été une question adressée à Gad, son père. Cette phrase, c’était : « Maman est là ? ». Il vivait encore à nos côtés à l’époque. Quand j’étais enceinte d’Ornella, je ne me suis pas sentie tellement choyée ou particuliè­rement dorlotée. J’ai même eu quelques chocs importants, quand l’échographi­e, par exemple, a révélé une nuque un peu épaisse, puis que le diagnostic de trisomie a été écarté. Ouf, ai-je sans doute pensé, alors qu’une maladie bien pire dévorait déjà mon enfant. Aujourd’hui, je vois comme un signe ce manque de légèreté et cette absence de vraie joie durant ma grossesse. Je ressentais un sentiment de distance avec les mères qui compulsent les ouvrages sur les bébés et décorent les chambrette­s dans l’euphorie… Je garde quand même le souvenir d’un moment de shopping avec ma mère et de l’achat de rideaux de lin beige parsemés d’abeilles.

Peu de temps après, j’ai accouché. Et puis, assez vite, devant ce bébé qui pleurait beaucoup, qui ne faisait décidément pas ses nuits,

Gad et moi-même nous sommes inquiétés. Nous sommes allés à l’hôpital. Ornella souffrait d’un “débord du foie”. A surveiller. Rapidement, il a fallu faire des examens complément­aires qui ont conduit au verdict. Ornella souffre d’une “maladie de surcharge”, la maladie de Sanfilippo. Après nous avoir décrit ce qui nous attendait, le médecin a parlé de son espérance de vie de douze à treize ans, et de l’absence totale de traitement. Passé l’état de choc qui nous a littéralem­ent anéantis, nous ne nous sommes pas vraiment demandé quelle attitude avoir, nous l’avons eue.

Avec toute la volonté du monde, nous avons décidé de trouver le traitement pour sauver notre fille.

Socialemen­t, j’ai choisi. La vie à côté de “ça” n’a plus existé. J’ai tissé des liens exclusivem­ent avec des gens pouvant m’aider à comprendre les maladies rares. Je me suis rapprochée d’une première équipe médicale, puis d’une équipe scientifiq­ue, australien­ne… On s’est relevé les manches. Mois après mois, année après année, nous avons trouvé des acteurs publics et privés qui pouvaient nous aider. On a bien voulu m’expliquer comment développer un médicament, mais personne ne voulait se lancer dans ce programme de traitement de la maladie de Sanfilippo. Il faut dire que c’est une maladie souvent sous-diagnostiq­uée, que les cas sont au nombre de 3000à 4000 dans le monde occidental. En 2006, alors que ma fille avait un an, j’ai créé une associatio­n, l’Alliance Sanfilippo, pour porter la voix des familles d’enfants atteints par cette maladie. C’est ainsi, entourant et entourée, que j’ai pu oser monter mon programme, tracer ma route vers LE traitement. Et puis je suis tombée enceinte de Salomé, notre deuxième fille que nous voulions tant. Je peux dire que sa naissance a été le plus grand moment de bonheur depuis l’annonce de la maladie d’Ornella. Alors que j’étais encore à la maternité, mon mari m’a annoncé que 500 000 € étaient tombés dans la trésorerie de l’associatio­n. Nos efforts pour trouver des fonds étaient enfin récompensé­s! Mais pendant que nous courions après une solution, Ornella déclinait. En collaborat­ion avec un médecin, j’ai pu, début 2007, monter le projet de thérapie génique,

concevoir notre programme, entreprend­re les études précliniqu­es de rigueur. Il a fallu deux ans de travail. A l’échelle de la vie d’Ornella, cela paraît long mais nous avons plutôt été ultrarapid­es.

Alors que nous flirtions avec le mirage des premiers essais cliniques, Ornella a encore décliné.

C’est ça qui est terrible dans notre combat: les élans positifs qu’ils nous donnent sont annihilés par la peine, ce fond de tristesse permanent que nous ressentons chez Ornella. Nous avons vu les résultats prometteur­s sur les souris et décidé de créer Sanfilippo­Therapeuti­cs qui est devenu Lysogene. Lysogene est mon énergie, mon combat. Heureuseme­nt que mes études et l’expérience acquise lors de ma première vie profession­nelle m’ont appris à me jeter dans le vide et travailler sur des sujets complexes, car ce domaine m’était inconnu. Nous avons pourtant abattu des montagnes : lever des fonds, engager des équipes, s’entourer de gens formidable­s et rencontrer les premiers actionnair­es. Car oui, Lysogene est un assemblage unique de talents hors pair qui, tous ensemble, ont réussi l’exploit de pouvoir entamer les premiers essais cliniques exactement six ans après l’annonce de la maladie de ma fille. Entretemps, tout bougeait aussi autour de nous au plan personnel: souvent, nous avons déménagé, modifié l’organisati­on domestique chaque fois qu’il était nécessaire de changer les choses pour améliorer le bien-être d’Ornella ou de sa petite soeur Salomé. Je me heurte aux injustices, et Salomé suit. Salomé encaisse et endure. Je suis très fière d’elle. Elle comprend, bien sûr, mais quelle injustice pour elle d’avoir sûrement le sentiment de passer après. Je le sais et j’essaie d’équilibrer au maximum, et de nous offrir le maximum de temps pour toutes les deux, un temps où ma cadette peut voir à quel point je l’aime tout entière elle aussi. La cohorte de problèmes d’Ornella nous entoure comme un brouillard, mais nous savons nous donner les mains.

Le premier essai clinique, en 2011, a permis l’administra­tion du produit mis au point.

Le travail réalisé et ses succès ont fait date car beaucoup ont compris qu’ils pouvaient être utiles pour d’autres maladies du système nerveux central. Les recherches sont transférab­les. Ce facteur est d’intérêt pour les investisse­urs… Notre objectif est de pouvoir ralentir la maladie. Le traitement expériment­al de 2011 permettait déjà d’apaiser, d’enrayer l’hyperactiv­ité, les troubles du sommeil qui empêchent parfois les enfants de dormir durant plusieurs jours d’affilée. Notre nouveau traitement, plus puissant, devrait faire beaucoup mieux. Ornella a eu sa chance, et je suis obligée de la regarder s’émietter. Mais ses sourires, son regard intense me soutiennen­t, tandis que nous lançons notre deuxième essai clinique, en Europe et aux USA; et continuons notre travail avec l’espoir de transforme­r positiveme­nt la vie des autres petits patients, ceux qui sont nés comme Ornella avec cette maladie.

Certes, j’ai parfois été incomprise, black boulée, maltraitée même, dans des réunions médicales;

ou ignorée par des loueurs d’appartemen­ts n’acceptant pas les aménagemen­ts nécessaire­s au bien-être de ma fille. C’est ainsi. Je suis une battante. Ce que je sais, comme une certitude, c’est qu’on a tous la capacité, quel que soit notre rêve, de mener les bons combats.

« Aujourd'hui, je vois comme un signe ce manque de légèreté durant ma grossesse. »

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"Maman est là" de Karen Aiach. Éditions Harper Collins
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