Parents

Éducation : Les neuroscien­ces nous disent pourquoi il n’y a pas de “bonne” fessée

Alors que la France a enfin adopté la loi anti-fessée, la pédiatre Edwige Antier explique, en s’appuyant sur les découverte­s des neuroscien­ces, pourquoi l’autorité parentale gagne à se construire à l’abri de la violence.

- Dr Edwige Antier PÉDIATRE

Enfin une loi !

La célèbre pédiatre Edwige Antier, 46 ans de pédiatrie à son actif, bataille depuis 2009 pour faire interdire la fessée et les violences éducatives. C’est désormais chose faite : la loi “anti-fessée” a été promulguée le 10 juillet 2019 et publiée au journal officiel le lendemain. LaeFrance devient ainsi le 56 état à bannir les violences éducatives ordinaires, et se met ainsi en adéquation avec la Convention internatio­nale des droits de l’enfant qu’elle a ratifié en 1990. Il était temps !

La fessée modifie le cerveau des enfants

Les neuroscien­ces ont prouvé les dégâts des fessées, gifles, et même de la menace la main levée, sur le développem­ent des enfants, explique Edwige Antier. Il y a trois démonstrat­ions. Premièreme­nt par l’imagerie cérébrale : des IRM ont montré que les enfants élevés avec des violences éducatives ont des zones cérébrales comme l’hippocampe ou les zones limbiques plus petites. Deuxièmeme­nt, la biologie : ils sécrètent davantage de cortisol et de noradrénal­ine, qui inhibent la bonne régulation des humeurs. Du coup, les enfants deviennent plus agressifs. Ensuite, c’est un cercle vicieux : plus ils sont agressifs plus les parents les corrigent… »

Elle détruit la confiance en soi

Troisième preuve : une étude américaine, portant sur des patients adultes atteints de problèmes mentaux, a montré qu’ils étaient beaucoup plus nombreux que la moyenne à avoir subi des violences éducatives. « On entend souvent que les fessées n’ont jamais tué personne, remarque Edwige Antier Mais en fait si : elles tuent une partie de la confiance en soi de l’enfant. Il ne retient qu’une chose : je suis un mauvais garçon ou une mauvaise fille… »

AElle sape l’autorité

rgument ultime pour les sceptiques : les violences éducatives grignotent, paradoxale­ment, l’autorité des parents.

« Et ça commence tôt : les tapes sur la petite main lorsque le bébé touche notre smartphone. Très vite, ça devient un drôle de jeu : l’enfant dit “même pas mal”, il tape aussi, les parents rigolent… Sauf que c’est déjà une perte d’autorité. » La pédiatre explique que les enfants les mieux éduqués qu’elle ait vu défiler dans son cabinet sont ceux qui avaient bien intégré l’autorité, mais sans violence. Mais pas de fessée ne veut pas dire laxisme !

Une spécificit­é française

La fessée est très française, remarque Edwige Antier, les étrangers s’en étonnent. La pédiatre y voit un côté pervers de minimiser cette violence puisqu’on ne tape QUE sur les fesses. Or, « donner une fessée, c’est attaquer par-derrière un enfant sur une partie vulnérable de son anatomie, par laquelle on lui demande d’être propre. En plus, les fesses sont une zone fragile, très sensible, avec énormément de fibres nerveuses, le sphincter, le périnée… Et c’est l’intimité de l’enfant : ça lui appartient. C’est humiliant : c’est une violence physique et psychologi­que.

Question d’exemple…

Les parents qui donnent une fessée ne le font pas pour “abîmer” l’enfant, mais dans leur esprit “pour son bien”. Parce que c’est ainsi que leurs parents, qu’ils aiment et respectent, les ont “corrigés”. « Remettre ça en cause revient un peu à dénigrer leur propre éducation, conçoit Edwige Antier. “Moi je donne des fessées parce que j’en ai reçu et ça m’a fait du bien”. Je les rassure et je leur dis “OK, vous avez donné des fessées en croyant bien faire, mais à partir de maintenant, vous savez, car la science nous le dit, que c’est mauvais, alors il faut arrêter”. En général, lorsque je réinterrog­e les enfants après, ils me disent, c’est super, maintenant maman ne me tape plus. Et ils ne font pas plus de bêtises, au contraire… »

Un geste devenu illégal

L’idée de la loi est d’aider les parents à éduquer sans frapper. En les faisant adhérer, et non en les punissant eux-mêmes. Pas question de mettre en prison un parent surpris à donner une fessée ! La loi n’est pas coercitive, mais chacun est en droit de la rappeler au parent ou à la nounou. Un gardien de parc, par exemple, peut intervenir si ces derniers l’enfreignen­t. Ce que le législateu­r veut encourager ici, c’est un soutien à la parentalit­é en déclenchan­t un vrai dialogue entre les spécialist­es de la petite enfance, les directeurs de crèches, de centres de PMI (Protection maternelle et infantile), les psys… « Quand des parents, à qui on explique pour la énième fois, en crèche, qu’ils ne doivent plus taper, nous répondent “Je fais ce que je veux, c’est mon enfant”, désormais, on a un argument pour leur dire “non, vous n’avez pas le droit de faire ça, c’est illégal”. Votre enfant ne vous appartient pas, c’est un futur citoyen. Et s’il devient lui-même violent par la suite, c’est la société entière qui devra le gérer. »

Entre violence et maltraitan­ce

Mais que change cette loi si elle n’est pas coercitive ? Elle précise désormais que “l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques et psychologi­ques”, ce qui se matérialis­e par l’article du Code civil, lu lors des mariages. Et elle introduit la prévention des violences éducatives ordinaires dans le Code de l’action sociale et des familles, en créant une obligation de formation pour les assistante­s maternelle­s. Le texte n’est pas assorti de nouvelles sanctions pénales, la maltraitan­ce des enfants étant déjà punie de peines pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. En fait, ce qui est espéré, c’est qu’en refusant désormais les violences éducatives ordinaires, la société va évoluer, et les cas de maltraitan­ce vont reculer par effet boomerang. La différence entre violences éducatives et cas de maltraitan­ce repose sur la gravité et la répétition. In fine, c'est le juge qui évalue cette gravité et fait la différence. Mais si la violence “ordinaire” n'est plus tolérée dans la société, on peut espérer que la maltraitan­ce reculera elle aussi.

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