Parents

Billet d’humeur Julien Blanc-Gras : Comment le papa gère… l’addiction aux Pokémon

Adopter des univers fictionnel­s et récréatifs, c’est le propre de l’enfance. Mais que faire quand la passion devient dévorante ?

-

- Papa, c’est lequel ton Pokémon préféré ?

Je m’étais préparé à répondre à bien des questions en devenant père (La vie a-t-elle un sens ? Comment on fait les bébés ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?). Mais sur ce couplà, j’ai été pris au dépourvu.

Les Pokémon sont entrés dans l’existence de mon fils d’un seul coup, probableme­nt sous l’effet d’une discussion de cour de récréation. Depuis, l’Enfant ne parle plus que de ça. Il est question de Pokémon du petit-déjeuner au coucher. Il veut voir tous les épisodes du dessin animé. Supplie pour que je lui achète des paquets de cartes. Il les range dans son classeur et les ressort aussitôt pour les ranger dans un autre ordre, plusieurs fois par jour, englouti dans un univers qu’il contrôle.

Il me bombarde d’informatio­ns sur Voltorbe, Dracofeu et Ronflex, énumère les catégories de créatures (type feu, type électrique, type psy…), utilise un vocabulair­e étrange (gyroballe, éclate-roc, poignard accélérate­ur).

Il tente de m’expliquer les règles des combats, les points de vie, les badges. J’ai beau être doté d’une intelligen­ce acceptable, je ne comprends rien ( je suis trop âgé pour avoir connu les Pokémon dans mon enfance). Je me fais penser à mon propre père qui ne captait rien aux dessins animés de mon époque ; ça file un coup de vieux.

Voyons le verre à moitié plein. L’univers Pokémon a plusieurs avantages. C’est une garderie à lui tout seul. Le nez dans son classeur, l’enfant peut s’occuper pendant des heures, loin des écrans, sans importuner les adultes légitimeme­nt occupés à prendre l’apéro.

Le Pokémon a aussi une vertu éducative. En s’échangeant leurs créatures, les enfants découvrent les bases de la négociatio­n commercial­e. Le père attentif garde un oeil sur ce business. Un jour, au square, je l’ai vu distribuer des cartes à des enfants qu’il venait à peine de rencontrer.

- Fils, tu ne peux pas filer des dizaines de cartes comme ça à la cantonade (surtout que ça coûte une blinde et que c’est moi qui paye).

- Mais papa, je les ai en double, je peux les donner.

Dilemme éducatif pour le papa. Être généreux, c’est bien. Dans une certaine limite. Où la poser, la limite ? On ne veut pas en faire un requin avide, on ne veut pas non plus qu’il devienne une truffe. Il faut apprendre la valeur des choses dans ce monde cruel. Tu ne peux pas échanger un GX contre un pauvre Pokémon de niveau 1.

Interrogat­ion du père : faut-il freiner une passion dévorante ? À quel moment l’enthousias­me légitime cède-t-il la place à l’addiction nocive ? Pour évaluer la situation, j’ai effectué un test très risqué, qui aurait pu détruire toute estime de moi-même (ne faites jamais ça à la maison) :

- Fils, tu préfères ton père ou les Pokémon ? Il a levé les yeux vers moi d’un air atterré.

- Mais enfin papa, c’est toi que je préfère. Évidemment.

Ça va. Le business Pokémon ne lui a pas complèteme­nt grillé le cerveau. Bon petit. Du coup, je lui ai racheté un paquet de cartes.

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Papa et auteur de “Comme à la guerre” (éd. Stock) nous livre chaque mois son regard acéré
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