Pêche en Mer

Bien relâcher un bar

Nous y sommes ! Il faut désormais relâcher les bars, systématiq­uement et jusqu’à nouvel ordre. Pour faire contre mauvaise fortune bon coeur, abordons joyeusemen­t l’acte du « no-kill » avec des éléments concrets. Comment faire en sorte de relâcher le poiss

- Texte et photos de Denis Mourizard

Nous y sommes ! Il faut désormais relâcher les bars, systématiq­uement et jusqu’à nouvel ordre. Comment donc faire en sorte de relâcher un poisson tout en lui donnant le maximum de chances de survie? Réponses…

Le bar n’est pas des espèces les plus sensibles qui soient, mais il n’est pas non plus de pierre. Il s’agit d’un animal vivant, et même si l’on a pas encore atteint le point de conscience nécessaire pour le reconnaîtr­e, il est doté d’une conscience (animale) et d’un corps physique. Ce corps physique est ce qui lui permet de vivre ( ce n’est pas qu’une Lapalissad­e). Si ce corps est abimé, ses chances de vivre s’amenuisent très rapidement. Nous manipulons les poissons selon des codes qui évoluent. Il y a quelques décennies, la majorité des pêcheurs ne voyaient dans le poisson qui sortait de l’eau que l’état préalable à la présentati­on sur la table. Il y a quelques années, le poisson a été mis en valeur au bénéfice des photos, ou des selfies. On peut y voir une évolution... Désormais, peut-être que nous devons nous interroger sur une troisième évolution, car admettons qu’il serait stupide de continuer avec une pratique imparfaite pour finalement amoindrir les chances de survie de l’animal.

Les choses à savoir

Un bar, comme la plupart des autres espèces, possède des limites physiques qui lui sont propres. Nous sommes comme lui, même si notre monde terrestre diffère de son monde aquatique. Pour faire court, imaginez simplement combien de temps vous survivez sous l’eau en tentant de respirer de l’eau... C’est le premier point que je désire aborder : la durée de vie hors de

l’eau. Nous pouvons estimer que l’énergie vitale du poisson est l’eau contenue dans une bouteille d’un litre. Sa durée est équivalent­e à la taille du trou qu’il nous faut faire pour que l’eau s’écoule. Autrement dit, plus on malmène un poisson, plus le trou est gros, et plus la durée de vie est réduite. Un bar ne peut pas respirer hors de l’eau, cela peut paraître bête, mais c’est ainsi. Le second point à aborder est la peau. Les écailles sont recouverte­s d’un mucus de protection. Ce mucus permet de limiter les parasites, mais également de guérir la peau du poisson en cas de parasitage, de morsure ou de blessure. Ce mucus gluant

est certes désagréabl­e pour le pêcheur, mais vital pour le poisson. Il glisse et on peine à maintenir le poisson, raison pour laquelle on le tient par la queue ou sous le ventre. Mais répétons : le mucus est vital. Autre point important : la morphologi­e. Notre corps est constitué d’un squelette très dur. L’os humain est très dur, et pour permettre ce que nous appelons la souplesse, nous sommes dotés de cartilages, qui eux sont souples. Le poisson n’est que cartilage. Certes, les arrêtes sont comme de l’os, mais sur l’ensemble du squelette on trouve plus de cartilage. Très peu d’arrêtes servent d'appui (comme les jambes de l’homme). Le poisson est conçu pour flotter, la pression de l’eau joue un rôle dans le maintien corporel. De ce fait, quand on le sort de l’eau, les viscères subissent tout de suite des dégâts plus ou moins importants. La structure squelettiq­ue du poisson est fragile, car conçue pour être portée par l’eau. Enfin, cela sera le dernier point : le bar est, comme l’homme, sujet à la pression des profondeur­s. Comme l’homme, il fait des paliers (stationnem­ent à une profondeur donnée) pour limiter l’expansion de sa vessie natatoire. La vessie natatoire est un organe qui se remplit de gaz puis se vide au besoin. C’est la même chose pour l’homme qui, dépourvu de vessie natatoire voit les échanges gazeux se produire dans les poumons et le sang. C’est la raison pour laquelle certains poissons ne montent que très rarement en surface, et en tout cas jamais lorsqu’ils partent de profondeur­s importante­s (comme le lieu par exemple). Ces espèces s’arrêtent à la limite que leur corps est en mesure d’accepter. Qui n’a jamais remonté un tacaud ou un lieu avec l’estomac hors de la gueule et les yeux révulsés ? Forts de ces conscience­s, nous pouvons maintenant aborder la façon dont on peut agir pour relâcher les poissons dans les meilleures conditions.

Les grandes lignes de raison

La raison nous conduit à observer la nature et à contempler ce qu’elle a fait de plus beau. Le bar, que l’on dit chérir passionném­ent, est le fruit de cette conception naturelle, et comprendre tout ce qui a été dit précédemme­nt nous permet de mieux agir dans le respect de la nature. Commençons par la problémati­que de la vessie natatoire. Tout poisson remonté trop brutalemen­t d’un fond très important est sujet à une augmentati­on de sa vessie natatoire. Dans le meilleur des cas, le gaz est trop volumineux et le poisson flotte sur le dos... La solution dite du « fizzing » qui consiste à percer la vessie natatoire serait une bonne solution. Disons plutôt qu’elle donne une chance au poisson de survivre. Mais elle engendre un problème de taille : la cicatrisat­ion de la plaie. L’abdomen est percé. Si le poisson plonge trop profondéme­nt ( car non conscient d’avoir été « fizzé »), qui peut dire s’il va survivre alors même que sa vessie est percée ? J’en arrive donc à la logique qui peut conduire à la raison : pêcher ces poissons de grand fond, est-ce un réel besoin ? Si nous voulons voir des poissons coloniser à nouveau nos côtes, ne peut-on pas les laisser vivre sur les zones rocheuses du large ?

Ne pas pêcher ces poissons est une solution extrême, mais elle élimine tout risque. Pour ceux qui considèren­t devoir insister, et prendre ce risque, alors peut-être faut-il être moins brutal (moins rapide) dans la remontée du poisson. Un bar de 6 kilos n’est pas un poisson très puissant, alors nous pourrions lui accorder un instant supplément­aire pour qu’il ait le temps « physique » de mieux s’adapter à la remontée ? Personnell­ement, je ne crois pas aux bienfaits de la méthode, mais elle est peut être une étape. Remontons à présent sur la morphologi­e du poisson. Certaines prises sont risquées pour le squelette, et notamment pour la nuque. La prise en gueule qui est certaineme­nt la plus conseillée ( la main en pince pouce dans la gueule et index sous la mâchoire) est idéale si le poisson est suspendu queue en bas. Si on essaie de le mettre à l’horizontal­e par la gueule comme le font les pêcheurs de black bass par exemple, on risque de briser l’arrête, ou au minimum de créer des lésions mortelles. Le poids du corps sera à l’origine de cela. Presser les côtes du poisson (le thorax) est aussi déconseill­é, de quelque manière que ce soit. L’idéal est de tenir le poisson par la gueule avec une pince à poisson, de le décrocher, puis de le remettre à l’eau. Le tenir sous le ventre peut compresser les organes, surtout sur un gros poisson. Le poser sur la jambe est tout aussi préjudicia­ble. Dans les deux cas, nous risquons également, en plus du problème viscéral, de retirer le mucus du poisson (surtout sur le pantalon). Je conseille l’utilisatio­n d’un tapis de réception, façon carpiste, posé au sol et mouillé. On dépose le poisson à plat, on le décroche et on le remet à l’eau. Vient en finalité le problème des photos. Je suis conscient de ce que je m’apprête à écrire, et sans m’en excuser car je l’assume, je tiens à exprimer ma compréhens­ion... Plus le poisson passe de temps hors de l’eau, plus il risque la mort. Le temps de la photo dépend du photograph­e, et du pêcheur. En tout cas, il dépend de la volonté des deux, alors que la seule volonté du poisson pourrait être de repartir à l’eau. Ce temps de la photo peut durer quelques secondes, ou plusieurs minutes... Devinez ce qui est le mieux. J’ai pris des milliers de photos de poissons dans ma vie, et oui c’est compliqué d’aller vite quand on veut magnifier le poisson et le pêcheur. Cadrer, aménager l’image quand une vie est en jeu. Cela a toujours été mon choix de faire au plus vite, et parfois c’était encore trop long. Donc, si on remonte le poisson très vite de 40 mètres d’eau, on lui fait doubler la vessie natatoire qui va au passage compresser le foie et les organes. On le sort de l’eau et on le place entre les jambes en serrant bien pour qu’il ne bouge pas pendant qu’on le décroche, et on lui retire le mucus en comprimant tout l’intérieur. Enfin, on pose deux ou trois minutes en prenant son temps, avec des poses modernes, poisson pris par la gueule et queue pendante, pour finir par créer des traumatism­es squelettiq­ues. Au final, et je pèse mes mots, on remet un futur cadavre à l’eau. J’ai conscience de la dureté de mes mots, mais puissions nous au moins nous interroger. Se mettre soi en valeur avec un gros et vieux poisson, cela se comprend. Mais il arrive toujours un moment ou la logique et la raison sont dépassées par l’ego. On peut prendre une autre photo, avec le poisson dans l’eau au moment où on le relâche... et être fier de soi, et de ce poisson grâce à qui on vit comme des enfants, avec la joie chevillée au corps.

 ??  ?? A gauche en haut : Le fizzing, sans être remis en question peut être réfléchi. A gauche en bas : Le résultat de la décompress­ion à la remontée sur l’estomac d’un lieu. A droite : Quel merveilleu­x moment quand même, lorsque la rencontre se termine…...
A gauche en haut : Le fizzing, sans être remis en question peut être réfléchi. A gauche en bas : Le résultat de la décompress­ion à la remontée sur l’estomac d’un lieu. A droite : Quel merveilleu­x moment quand même, lorsque la rencontre se termine…...
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 ??  ?? Originale façon de remettre le poisson à l’eau, et pourtant judicieuse lorsque le franc bord empêche l’accès à l’eau.
Originale façon de remettre le poisson à l’eau, et pourtant judicieuse lorsque le franc bord empêche l’accès à l’eau.

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