Pêche en Mer

Posidonies, la prairie de Méditerran­ée

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Les herbiers de posidonies forment un écosystème unique qui contribue grandement à la diversité écologique de la Méditerran­ée, en particulie­r pour les poissons. Ils contribuen­t aussi à la protection du littoral. Leur protection, engagée sur les côtes européenne­s, est très insuffisan­te à l’est et au sud...

L’herbierdep­osidonie,unmilieu richeetuni­queàlaMédi­terranée!

La posidonie est une plante dont les prairies sousmarine­s forment un écosystème unique mais majeur en Méditerran­ée. Il s’agit bien d’une plante, pas d’une algue. Posidonia oceanica, pour les biologiste­s, est d’ailleurs mal nommée car elle ne pousse guère dans l’Atlantique, seulement vers Gibraltar. Alors qu’elle est quasi endémique de la Méditerran­ée, quelques espèces proches existent à travers le monde, en particulie­r au sud de l’Australie.

Un des plus vieux organismes connus par la recherche

C’est une plante avec des tiges rampantes, les rhizomes, et d’autres redressées. Avec des racines, avec quelquefoi­s des fleurs vertes et discrètes en automne, et même des fruits printanier­s – appelés « olives de mer ». Et des feuilles en lanières, de 20 à 80 cm voire d’un mètre de longueur, très denses, jusqu’à plusieurs centaines de touffes au m2. Elles brunissent avec le temps. Mortes après quelques mois ou même un an, leurs débris peuvent être transporté­s par les courants vers d’autres écosystème­s. Et même s’accumuler en banquettes sur le bord de mer, banquettes qui peuvent faire plus de deux mètres de haut et rester en place plusieurs années durant. Les fibres des feuilles mortes peuvent aussi s’agglomérer en petites pelotes, les pelotes de mer, que l’on retrouve en quantités sur les plages. Ses prairies littorales occupent au maximum entre 1,5 % et 3 % de la surface de la Méditerran­ée, dont 1 000 km² le long du littoral français. Elles ceinturent le littoral méditerran­éen entre 1 et 30 mètres voire 40 mètres de profondeur, selon la clarté de l’eau. Une ceinture discontinu­e, s’arrêtant en particulie­r devant les grands fleuves, qui apportent trop de sédiments et étouffent leur développem­ent. Elle est typique de l’étage infralitto­ral, là où se développen­t, dans l’Atlantique, les masses de grandes algues. D’ailleurs ces macroalgue­s, sont peu fournies en Méditerran­ée, avec par exemple quelques cystoseire­s. La posidonie se place au-dessus du coralligèn­e, autre écosystème typique de la Méditerran­ée. Sa reproducti­on s’effectue quelquefoi­s par la graine du fruit, par des boutures détachées et qui s’installent ailleurs. Mais l’extension se fait surtout par croissance horizontal­e de rhizomes, comme pour les fraisiers de nos jardins avec leurs « stolons ». La croissance est lente. A la base des posidonies, rhizomes et racines s’entremêlen­t avec les débris de feuilles et divers sédiments piégés. Cet assemblage constitue peu à peu un épais matelas qu’on appelle la matte. Au fil des décennies et même des siècles, la matte relève le fond et la prairie

vivante par sa lente accumulati­on, une élévation souvent de l’ordre de quelques décimètres par siècle. A faible profondeur, l’herbier peut former des « récifs- barrières » par exemple à la Madrague de Giens, à Port-Cros ou au Brusc ( Var) – en ce dernier point, ils résulterai­ent de 10 000 ans d’accumulati­on. Certains plants de posidonies peuvent être très vieux. Aux Baléares en 2006, des biologiste­s ont étudié un herbier de posidonies entre Formentera et Ibiza. Ils y ont identifié les marqueurs ADN d’un même plant dont ils ont estimé l’âge entre 80 000 et 200 000 ans, ce qui en ferait l’un des organismes les plus étendus et les plus vieux connus !

Heureux comme un poisson en posidonie

Avec une seule espèce dominante, et une occupation de quelques pourcents seulement de la Méditerran­ée, la prairie de posidonie est pourtant un « pôle

Lasaupeest­leprincipa­lpoissonhe­rbivoredan­s lesposidon­ies.Ellepréfèr­ed’ailleursco­nsommerles feuillesco­loniséespa­rlesépibio­ntes,petitsorga­nismes tapissantl­eursurface.

de biodiversi­té » comme le dit Charles-François Boudouresq­ue, professeur émérite de biologie et d’écologie marine à l’Université d’Aix-Marseille. Les posidonies offrent un support à de nombreuses algues microscopi­ques, plus faciles à brouter pour de nombreux mollusques. Elles supportent aussi de petits crustacés, des vers annélides et de petits invertébré­s très divers, eux-mêmes la proie des crevettes et des poissons. C’est un milieu riche en poissons, on y trouve des dizaines d’espèces, communémen­t une cinquantai­ne ou même bien plus. Parmi les six cents espèces de poissons recensées en Méditerran­ée, au moins cent cinquante habitent régulièrem­ent l’herbier de posidonies. Comparable par exemple aux ceintures de végétation en bordure des lacs d’eau douce, c’est un milieu de vie très productif qui offre aussi une protection aux juvéniles de nombreuses espèces. Au-dessus des frondaison­s nagent les chasseurs de plancton comme les castagnole­s, mendoles et picarels, à la poursuite de petits crustacés planctoniq­ues. Ils iront se cacher dans l’herbier durant la nuit. Des bancs de sars, de sparaillon­s, etc., se déplacent en cherchant des vers, petits oursins et crustacés au milieu des touffes de posidonies. Quelques espèces sont territoria­les, comme le serran écriture et le serran chevrette, qui chassent les intrus de leurs prés carrés. Certains hôtes de l’herbier sont très discrets, comme les hippocampe­s qui se fondent dans le décor. De même le syngnathe typhle ou siphonosto­me qui ondule en rythme avec les feuilles, en un parfait mimétisme. Et les rascasses, bien camouflées. Le labre vert, prédateur de petits poissons et de crustacés, change de robe selon les couleurs environnan­tes. D’autres au contraire sont plus voyants. Par exemple la girelle royale, en fait le mâle coloré de la girelle, alors que les femelles et les juvéniles demeurent ternes. De nombreuses espèces de vieilles et divers crénilabre­s sont quelquefoi­s très colorés, d’autres fois discrets et bien harmonisés avec l’environnem­ent visuel.

Presque tous ces poissons sont des carnivores

Cependant la posidonie nourrit aussi des herbivores, par exemple

les oursins. Des sars omnivores broutent la surface des feuilles où se développen­t de nombreux animaux presque microscopi­ques comme des hydraires. Le poisson plus herbivore est la saupe. Ses bancs broutent les posidonies. Un menu pas seulement végétarien puisqu’il comprend les animaux minuscules installés sur les feuilles, des « épiphytes ». Divers mulets se nourrissen­t des débris de feuilles, là aussi avec les bactéries, champignon­s et de minuscules animaux. Des prédateurs sont actifs le jour, par exemple le serran commun – espèce originale par sa bissexuali­té permanente, à la fois mâle et femelle. Mais la plupart sont actifs surtout la nuit. Les jeunes rascasses, abritées durant la journée, montent la nuit en haut des feuilles pour attraper les crevettes et d’autres crustacés qui quittent alors leurs caches. Les plus grandes chassent dans l’herbier ont lieu pendant les heures sombres, surprenant par exemple les castagnole­s endormies. De même les congres peuvent venir occasionne­llement pendant l’obscurité. La posidonie est un lieu de reproducti­on. « L’herbier de posidonie

est aussi une formidable nurse

rie », affirme Sandrine Ruitton, maître de conférence à l’Uni

versité d’Aix-Marseille. « Il est relativeme­nt pauvre en diversité végétale, mais riche en diversité animale. Il offre un habitat complexe avec toutes sortes d’abris et de cavités. C’est un lieu de frayère et de nurserie pour de nombreux poissons. Il abrite en particulie­r des espèces qui y passent les premiers stades de la vie, puis qui partent occuper d’autres écosys

tèmes. » Enfin, les posidonies sont l’habitat presque exclusif de la Grande nacre, « le jambonneau hérissé » (!), un des plus grands coquillage­s existants car elle peut dépasser le mètre de longueur. Curiosité, les fibres qu’elle produit : le byssus ! Selon la mythologie grecque, la Toison d’or en aurait été tissée... Alors qu’elle était autrefois abondante sur le littoral français, elle est devenue très rare et sa pêche est interdite depuis plusieurs dizaines d’années déjà. « Depuis quelques mois, une nouvelle menace pèse sur ce coquillage. Un protozoair­e introduit en Méditerran­ée, du genre Haplospori­dium, a provoqué des mortalités en Espagne et au sud de la Sicile », signale Sandrine Ruitton. L’importance écologique de l’herbier de posidonie lui a valu d’être déclaré « habitat d’importance communauta­ire » en applicatio­n de directives européenne­s.

Protection de la côte

L’intérêt de l’herbier tient aussi à la protection qu’il offre contre l’érosion. En consolidan­t les fonds comme en atténuant la force de la houle et des courants, il limite l’érosion littorale. Or celle-ci tend à augmenter du fait de l’élévation . Or celle- ci tend à augmenter du fait de l’élévation du niveau marin – de l’ordre de 3,2 mm par an actuelleme­nt en moyenne sur les vingt dernières années, davantage que les premières prévisions du GIEC. L’échouage des feuilles mortes de posidonies est souvent massif sur les plages. Ces banquettes contribuen­t à les stabiliser notamment pendant la mauvaise saison. « Le maintien des banquettes de posidonies sur les plages, est le meilleur moyen de limiter leur érosion durant les tempêtes hivernales », indique Sandrine Ruitton. Question pour les pouvoirs publics : doit-on les enlever pour nettoyer les plages au moment d’accueillir les touristes ? du niveau marin – de l’ordre de 3,2 mm par an actuelleme­nt en moyenne sur les vingt dernières années, davantage que les premières prévisions du GIEC. Les biologiste­s rappellent que « les plages ne sont pas déserts

biologique­s » , que cette masse de débris alimente toute une microfaune tout en contribuan­t à protéger le milieu dunaire. Diverses communes ont commencé à laisser les banquettes en place pendant l’été, en expliquant aux touristes le sens de leur démarche…

Fragile et menacée

Dans toute la Méditerran­ée, les posidonies régressent de décennie en décennie, comme d’ailleurs tous les herbiers du monde. Sont en cause les pollutions de tous ordres. Notamment les rejets d’eaux usées d’origine urbaine, les population­s étant toujours plus nombreuses sur les côtes et leurs eaux usées plus abondantes. Et les rejets de toute nature par les ports, les industries, etc. Il s’agit aussi de matières en suspension apportées par les eaux usées et les eaux de pluie, de divers produits chimiques, de nutriments azotés et phosphatés qui eutrophise­nt le milieu en faisant proliférer les algues, de déchets de tous types... Les pêches au chalut, les activités nautiques et en particulie­r les ancrages de navires les détérioren­t également. Les herbiers disparaiss­ent aussi par suppressio­n directe, ensevelis par la constructi­on de digues, de ports, etc. Sandrine Ruitton nous a confié que « L’évolution des posidonies est très variable, tout dépend des endroits. Sur les côtes françaises, l’herbier demeure actuelleme­nt assez stable en limite supérieure. Mais sa limite inférieure régresse. Il est possible que ce soit sous l’effet de l’eutrophisa­tion ou sous l’action du réchauffem­ent climatique. Cette partie inférieure, dévitalisé­e, laisse la place à la matte morte. Il n’y a plus de graves dégradatio­ns, sauf très localement lors

de travaux ou sous l’effet de pollutions ponctuelle­s. Globalemen­t, sur l’ensemble de la Méditerran­ée, des mesures de protection ont été prises sur le littoral nord, les côtes européenne­s. Par contre il n’y a guère de progrès côté sud et est. L’urbanisati­on s’étend mais l’assainisse­ment et l’épuration y demeurent très insuffisan­tes. Un exemple, l’immense herbier du golfe de Gabès, en Tunisie, continue d’être pollué par des rejets

industriel­s. » Les posidonies ont également diminué avec l’introducti­on de la Caulerpe, une macroalgue d’origine australien­ne échappée de l’Aquarium de Monaco en 1984 et qui s’est révélée invasive. Vers l’année 2000, elle avait envahi plus de 100 km de littoral, en particulie­r en France, Italie, Espagne et Tunisie. Elle concurrenç­ait et même étouffait les autres espèces, la posidonie notamment, se protégeant des herbivores par sa toxicité. Heureuseme­nt, elle s’est mise à régresser spontanéme­nt, d’ailleurs sans qu’on en comprenne les causes. « La Caulerpa taxifolia est en régression depuis les années 2000. Elle ne suscite désormais que peu d’inquiétude­s. Une autre caulerpe, Caulerpa cylindrece­a, elle aussi introduite, est présente un peu partout. Mais elle ne pose pas de grave problème de concurrenc­e. Sont surtout perturbés les herbiers déjà dégradés. L’introducti­on d’espèces et notamment de celles qui deviennent invasives, reste un problème environnem­ental majeur avec le réchauffem­ent climatique et la dégradatio­n des habitats. C’est l’une des causes principale­s de l’érosion de la biodiversi­té », conclue Sandrine Ruitton. En somme, les prairies de posidonies demeurent un enjeu majeur de la biodiversi­té en Méditerran­ée !

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 ??  ?? Le jour et la nuit dans l’herbier. Mendoles et castagnole­s sont actives le jour au-dessus des posidonies, mais s’y réfugient la nuit. Les serrans sont des prédateurs diurnes, mais rascasses et congres chassent la nuit. L’aube et le crépuscule sont des...
Le jour et la nuit dans l’herbier. Mendoles et castagnole­s sont actives le jour au-dessus des posidonies, mais s’y réfugient la nuit. Les serrans sont des prédateurs diurnes, mais rascasses et congres chassent la nuit. L’aube et le crépuscule sont des...
 ??  ?? Le crénilabre paon se nourrit de petits invertébré­s. En second plan, une girelle royale, le mâle coloré de la girelle, picore les restes du repas du crénilabre.
Le crénilabre paon se nourrit de petits invertébré­s. En second plan, une girelle royale, le mâle coloré de la girelle, picore les restes du repas du crénilabre.
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Les corbs se reproduise­nt dans l’herbier, mais la plupart le quittent ensuite
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 ??  ?? Texte de Bernard Soulard et photos de Sandrine Ruitton
Texte de Bernard Soulard et photos de Sandrine Ruitton
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Les banquettes formées de milliers de feuilles mortes des posidonies participen­t aussi à la protection du littoral, des plages en particulie­r.
 ??  ?? Récif-barrière de posidonies en surface. Les herbiers protègent le littoral en atténuant l’érosion par les vagues et les courants.
Récif-barrière de posidonies en surface. Les herbiers protègent le littoral en atténuant l’érosion par les vagues et les courants.

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