Vive la pêche du bord !
En ces temps où l’on ne parle que de sondeurs, de bateaux surmotorisés, de techniques de pêche sur les plateaux rocheux du large ou les épaves, il me semble judicieux de rappeler que l’on prend aussi du bar depuis le bord. On en prend beaucoup et du gros
Nous sommes tous heureux de constater les progrès techniques dans le monde halieutique, et aussi satisfaits d’en profiter. Effectivement, avec un bon bateau et un bon sondeur, le pêcheur peut aller au large, repérer les rochers en profondeur, observer les poissons dans chaque décrochement, et pratiquer avec une efficacité optimale. Mais dans le même temps, toute cette technologie, tous ces ustensiles, ne nous éloignent-ils pas de la nature dans notre pratique de la pêche ? Certes, nous prenons davantage de poissons, mais est-ce la quantité de prises qui compte ou bien estce la qualité de la relation avec le poisson, et plus généralement avec la nature ? Je serais tenté de répondre à cette question en privilégiant la relation avec la nature. Ainsi, même si j’aime pêcher en bateau de temps à autres pour profiter de l’abondance des prises lors d’une sortie au large, je préfère, dans ma pratique régulière de la pêche, capturer des poissons dans le cadre d’une relation plus intime,
plus directe, avec la nature. Je parle évidemment de la pêche depuis le bord, en particulier le bar au leurre, et je vais défendre cette approche dans le présent article. C’est d’autant plus nécessaire que l’on oublie souvent la valeur halieutique d’une pêche depuis le bord. Certes, on trouve plus facilement le poisson en bateau, et on en trouve souvent davantage. Mais enfin, on prend toujours quantité de poissons depuis les rochers et les plages, dès lors que l’on sait comment procéder. La pêche du bord est plus stratégique, elle demande une meilleure connaissance de l’environnement. Car les poissons ne sont pas en bordure en permanence : il faut tenir compte d’une multitude de facteurs, comme la saison, le cycle lunaire et le moment de la marée, pour réussir sa pêche. Du bord, il faut être beaucoup plus précis dans le choix de ses créneaux horaires que lorsqu’on part en bateau. Du coup, cette pêche très précise peut décourager le débutant, surtout à notre époque où le poisson est devenu plus rare. Après quelques bredouilles, et autant de sorties à crapahuter au hasard, le débutant risque de se dire que la seule façon de prendre un gros pois- son, c’est d’acheter un bateau. Au passage, il risque d’abandonner pour toujours la traque depuis le bord, délaissant alors l’activité qui lui offre le plus beau contact avec la nature. C’est quand même dommage. Car rien ne remplace ces moments privilégiés que le pêcheur du bord vit au quotidien. Je peux vous l’assurer, moi qui pêche du bord 90 % du temps, que ce soit pour le bar en France, le brochet en Espagne, ou diverses espèces de poissons au Portugal. Quel que soit le pays, je descends les falaises, je longe les lacs, je traverse les rias, j’arpente les plages au rythme de la marée, et je vis des expériences naturalistes inoubliables. C’est parce que je connais la valeur inestimable de ces moments que j’invite le lecteur à pêcher du bord. Depuis le bord, rien ne parasite la relation entre le pêcheur et la nature qu’il aime tant. Pas de bruit de moteur, pas
d’odeur d’essence, pas de préparatifs de plusieurs heures, pas de matériel à laver en rentrant, non, rien de tout ça. Seulement le pêcheur, la canne à la main, et la nature. Il y a dans cette simplicité l’essence même de la pêche : le pêcheur, soudain, fait partie de la nature. Il peut retrouver la place que l’évolution des espèces lui a donnée, celle d’un prédateur qui participe à la vie sur Terre. Et c’est ce sentiment d’harmonie qui rend la prise encore plus belle.
Une histoire de connaissances
La pêche du bord est aussi une fantastique façon d’améliorer ses connaissances halieutiques comme naturalistes. Car en marchant le long de l’estran, on peut observer la nature avec précision. On soulève les pierres, on regarde dans les mares, on fouille le sable, et on trouve des crabes, des bouquets, des lançons, et une multitude d’animaux adaptés à la vie dans la zone de balancement des marées. Au rythme des rencontres animales, le pêcheur comprend son environnement, qui est aussi l’environnement du bar. Il devient alors possible de créer des liens logiques, en fonction des connaissances que l’on acquiert. Par exemple, en se promenant sur une plage à marée basse, et en raclant le sable avec le talon de sa botte, si l’on découvre des lançons, on peut se douter que les bars vont passer par là, à un moment ou un autre. Le pêcheur peut alors élaborer une stratégie de pêche, par exemple en choisissant de venir sur cette plage lorsque le baissant coïncide avec le crépuscule, avec à la clé un possible moment de frénésie alimentaire. Ainsi, sortie après sorte, information après information, le pêcheur construit une grande connaissance de l’environnement et devient le maître de sa pêche. Il sait ce qu’il fait, il ne pêche pas au hasard. Seule une pratique régulière de la pêche depuis le bord peut amener cette maîtrise. Et il y a aussi tous ces moments d’émotions intenses. Le lever de soleil sur la ria, lorsqu’on est le seul humain sur place. Cette arrivée sur la plage, alors que les bars chassent et poussent les sprats jusque sur le sable. Ces oiseaux marins, qui cherchent la même chose que vous, et qui pour un temps vous semblent si identiques à l’humain. Ce splendide coucher de soleil, qui provoque l’apparition des chasses crépusculaires, avec des petits poissons qui sautent en tous sens. La descente de la falaise, le vent dans les cheveux, et l’arrivée devant les vagues prometteuses. La lune qui se reflète sur l’eau, alors que le bar va attaquer votre leurre, dans l’obscurité. Autant de moments à part qu’un vrai pêcheur, un vrai naturaliste, ne peut qu’adorer. Car je place la pratique de la pêche dans le cadre d’une philosophie plus vaste, une philosophie naturaliste, dont le but est de comprendre l’humain par la connaissance scientifique de la nature, et par la vie dans la nature. C’est aussi cette philosophie naturaliste, cette philosophie du réel, que je défends dans mes articles. Il y a, dans la pêche du bord, une relation privilégiée avec la nature qui permet d’aller plus loin dans la connaissance de soi. Lorsque le pêcheur, debout sur les rochers, tient un bar qui se débat dans la mer, 60 mètres plus loin, la ligne devient un lien entre le monde terrestre et le monde aquatique, et le pêcheur fait partie d’un tout. C’est ce rapport à la nature que je vous invite à vivre.
Comment prendre du poisson ?
A ce moment de l’article, la plupart des lecteurs doivent être d’accord avec ce qui est écrit, mais certains doivent se poser une question : « oui, c’est vrai, mais comment prendre du poison ? » Eh bien, voyons cela maintenant. Il faut, pour réussir, considérer les postes et les moments importants pour le pêcheur. Nous allons considérer successivement le cas des pointes, des anses rocheuses, des plages et des passes. Nous verrons également comment asso-
cier ces postes avec les meilleurs moments pour la pêche. Commençons par les pointes. Ce sont des postes parfaits pour le débutant : elles sont faciles à repérer et on y prend du poisson avec régularité. En revanche, ce ne sont pas forcément les meilleurs endroits pour faire du nombre. Les chasses qui se produisent le long des pointes sont extrêmement mobiles, car le poisson fourrage n’est pas bloqué par les prédateurs. Les chasses vont longer la pointe rocheuse, souvent rapidement. Il est donc rare de pouvoir capturer des prédateurs pendant un long moment. Toutefois, la pointe rocheuse est idéale pour capturer les bars de passage. En effet, elle s’avance profondément dans la mer, et les bars qui se déplacent avec le flot et le jusant sont obligés de la contourner. Un bar utilise les courants de marée dans ses déplacements quotidiens. Le pêcheur qui se tient à l’extrémité de la pointe va donc forcément rencontrer des bars en déplacement. C’est donc une façon simple de commencer la pêche du bord et de collecter des informations sur le comportement du bar. Le pêcheur pourra constater, notamment, que les bars ne passent pas à n’importe quelle heure, mais qu’on les retrouve très souvent sur les mêmes postes au même moment de la marée. Le pêcheur constatera aussi que la marée n’est pas le seul paramètre à considérer : la luminosité est aussi extrêmement importante. Au lever et au coucher du soleil, l’activité des prédateurs est maximale. Cela est dû à l’effet silhouette, un phénomène que j’ai déjà présenté dans les pages de PEM. Dans la lumière rasante du crépuscule, les proies sont beaucoup plus visibles pour les prédateurs, ce qui crée un pic alimentaire. Le pêcheur devra en profiter. Et j’insiste d’emblée sur ce point : le pêcheur du bord se doit d’être précis dans sa pêche, il sera en action au meilleur moment, particulièrement tôt le matin et tard le soir. N’espérez pas prendre du poisson sans vous adapter au rythme de la nature. En ce qui concerne les leurres, il peut être utile de lancer loin pour croiser la route des bars de passage. Je conseille donc des leurres lourds et denses, qui se lancent très bien, comme certains poissons nageurs et stickbaits. Soignez vos hameçons ! Les bars de passage mordent souvent du bout du museau : il vous faudra des hameçons haut de gamme et neufs. Il faudra aussi ferrer amplement et sèchement au moindre contact sur la ligne. Du bord, dans les rochers, une tête de ligne en gros monofilament est indispensable pour se protéger des arêtes coupantes. On placera donc 4 mètres de 50 centièmes au bout de la tresse, que l’on reliera par le noeud japonais (le GT knot), un noeud qui n’implique aucune torsion du monofilament et qui passe donc aisément dans les anneaux, même pour les gros diamètres. Avec ça, vous êtes parés pour prendre des gros bars du bord.
Les chasses sont mobiles
Les plages sont également des environnements magiques pour la pêche du bar au leurre mais, curieusement, les meilleures sont souvent ignorées par les pêcheurs. Effectivement, nombreux sont les pratiquants qui vont choisir les longues plages pour lancer un leurre. C’est une erreur, car lorsque la plage est longue, les chasses sont mobiles, un peu comme le long des pointes rocheuses. Le bar ne peut pas coincer les bancs de petits poissons, et il les poursuit tout le long de la plage, ce qui rend la pêche très difficile. Le pêcheur voit une chasse, il lance sa ligne, mais à peine le leurre est-il tombé à l’eau que la chasse réapparaît 30 mètres plus loin. Ce petit manège peut être très agaçant et, au final, assez peu rentable pour le pêcheur. Je
conseille de délaisser ces grandes plages pour se focaliser sur les petites plages encaissées, que l’on pêchera au crépuscule, à la belle saison. Lorsque les sprats sont présents il peut y avoir des chasses tous les jours sur ces petites plages, et elles seront, cette fois, très faciles à pêcher : la zone de chasse restera localisée devant le pêcheur. Par ailleurs, s’il s’agit d’une plage à lançon, on peut vivre des moments d’exception lors des grandes marées. Car si l’on arrive à faire coïncider la fin du baissant – le moment où les lançons s’ensablent – avec le début de la nuit, on peut tomber sur ce timing parfait qui m’a valu nombre de superbes pêches. Ainsi, avec l’arrivée du crépuscule, les prédateurs vont d’abord se focaliser sur les sprats, comme chaque jour. Mais alors que les chasses sur les sprats s’arrêtent le plus souvent avec la nuit, la présence de lançons en nombre va maintenir les bars sur le poste. On peut alors vivre ces moments incroyables durant lesquels le pêcheur pourra capturer bar après bar pendant 3 ou 4 heures. Je dois à ces moments particuliers mes plus beaux scores. Et enfin, je voudrais parler du cas des passes, qui permettent le passage entre la mer et un environnement côtier plus isolé, comme une ria ou une lagune. Je dois la plupart de mes gros bars des dernières années à la pratique de la pêche au leurre dans les passes. Je me rends chaque hiver, pour plusieurs mois, au sud du Portugal, où je traque les bars dans la ria Formosa. Le spécimen de 4 kilos qui illustre cet article a été pris récemment dans cet environnement. Là encore, il faut considérer le comportement des bars pour comprendre où pêcher. Le bar se déplace avec le flot et le jusant, et il entre fréquemment dans les écosystèmes côtiers partiellement isolés de la mer. Le bar est une espèce euryhaline et eurytherme, ce qui signifie qu’il est tolérant aux variations de salinité et de température. Cela lui permet de rentrer avec aisance dans certains écosystèmes que d’autres poissons évitent. Il peut ainsi remonter profondément dans les estuaires, explorer les lagunes et parcourir les rias pour y dévorer les crabes, les mollusques et les poissons qui y vivent en nombre. Evidemment, le pêcheur sera là pour croiser la route de ces bars. La passe reste l’endroit-clé pour pêcher ces écosystèmes, car les bars sont obligés de l’employer. Autrement dit, le pêcheur qui lancera son stickbait aux alentours de la passe sera certain de croiser la route des bars. Mais une fois de plus, cela ne se fait pas n’importe comment. Il faut d’abord savoir que les bars entrent d’autant plus que le courant est fort, il faut donc privilégier les fortes marées, et se rendre au bord de l’eau à la pleine lune ou à la nouvelle lune. Et comme pour les autres spots, il est bon d’associer ces fortes marées avec le pic alimentaire crépusculaire en étant au bord de l’eau quand le soleil se couche. Je conseille l’utilisation de stickbaits pour ces endroits souvent assez peu profonds, les bars y sont très réactifs.
Pour un combat parfait
Je terminerai par ce conseil : prenez soin de chaque élément de votre équipement, depuis le moulinet jusqu’aux hameçons. La pêche du bord demande une stratégie précise, mais elle demande aussi un combat parfait. Car c’est un autre avantage de cette approche: un bar pris depuis le bord est encore plus combatif, car il n’y a pas l’effet amortisseur du bateau. Les départs sont plus violents, et les dangers sont partout, notamment les arêtes rocheuses. Les combats sont souvent épiques ! N’hésitez pas à employer du matériel solide, de fortes têtes de ligne, et pensez à changer les anneaux brisés et les hameçons de tous vos leurres pour des modèles haut de gamme. Vous serez très content d’avoir suivi ces conseils lorsque vous tiendrez le bar de votre vie au milieu des rochers. Voilà, vous en savez maintenant suffisamment pour vous rendre au bord de l’eau, pour prendre des bars, et pour construire votre relation avec la nature.