Mon regard sur la pêche du bar
Pêcher le bar n’est plus pour moi la même chose aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Les choses ont radicalement changé depuis des années. Qu’on le veuille ou non, les choses évoluent. C’est irrémédiable. De ces changements émergent de nouvelles façons de pêcher
Voilà près de 30 ans, je prenais mon premier vrai bar. Vous penserez peut-être qu’il est venu à moi sur une ligne de surfcasting, mais c’est bel et bien avec un leurre qu’il m’a fait cet honneur. Depuis, bien des choses ont changé. Où va-t-on et comment ? Là est le questionnement… Ce premier bar, ou loup pour être plus exact, je l’ai pris avec un leurre. Je me rappelle son nom, et il trône toujours dans les placards de mon paternel. Je l’avais surnommé « jeannot lapin ». Allez donc savoir pourquoi... Ce leurre, je l’avais fabriqué, en bois, et il disposait d’une magnifique bavette en plastique découpée dans un couvercle de seau de colle industrielle. Il nageait mal, il remontait à la surface tous les trois tours de manivelle. Il se lançait mal. Il était rouge et blanc, et non content de m’avoir gratifié de mon
tout premier poisson, il m’en a aussi rapporté bien d’autres. Jamais je ne l’ai perdu. Je n’étais pas encore pêcheur en surfcasting, bien des choses ont changé depuis. Dans ce hors série, je m’adresse à tous ceux qui me lisent depuis des années. Je m’adresse aussi à ceux qui étaient trop jeunes pour pouvoir le faire à mes débuts. Je le fais avec mon coeur et mon espoir de voir notre passion survivre, et nous savons tous qu’aucune cause n’est jamais perdue.
Un bilan de 30 ans
Trente ans après ce premier poisson, j’ai vécu une vie de rêve dans le passionnant monde de la pêche. J’ai vécu l’explosion des pêches du bar, non pas celles des pêches aux appâts, mais celles des pêches aux leurres. Une véritable révolution que ce stickbait qui portait le ridicule nom de Banana boat. Que le créateur me pardonne le ridicule, mais à l’époque une banane bateau était pour le moins ridicule... A l’époque le bar se pêchait au poisson à hélice, au Raglou, encore à la plume ou à la cuiller. Oh non, je ne sors pas la poussière accumulée depuis des siècles, je parle des années 1995/2000. Il s’agit bien d’une époque pas si éloignée que cela puisse paraître, surtout pour les jeunes générations. Alors depuis 30 ans, qu’est-ce qui a changé ? Si j’osais, je dirais tout. Mais je n’oserais pas, car en réalité peu de choses ont changé, dans la globalité des choses. Vous me comprendrez. Il y a moins de bars, il y a moins de pêcheurs, il y a plus de leurres dans les magasins, moins de magasins, bien plus de distributeurs pour vendre des leurres, moins de magazines pour apprendre à ceux qui ont besoin d’apprendre. Ces petites choses, ce sont celles qui ont changé. Ce qui n’a pas changé, c’est notre façon d’aborder l’avenir. Alors certes, la nature n’aime pas le vide, et encore moins l’immobilité imparfaite.Alors les choses bougent, doucement. Un pas en avant, deux pas en arrière. On avance, et cela est un bien. Tout compte fait, restons-en aux faits : prendre un bar du bord aujourd’hui est toujours possible, et chaque effort qui est fait par la collectivité nationale a un effet rapide sur la sensation que l’on
a au bord de l’eau. C’est toujours possible de prendre un bar oui, mais parfois... parfois c’est difficile. Des mesures ont été prises pour améliorer la situation de l’espèce bar, mais est-on en droit de penser que cela sera durable ? Est-ce que toutes les mesures ont été prises de tous les côtés, amateurs et professionnels ? Je laisse à chacun poser les réponses à ces questions pour aborder de mon côté le constat sur la situation.
Un constat sur la situation
Ce constat ne peut que m’engager moi-même, et s’il est posé ici, ce n’est que pour déboucher sur une vision positive. Que chacun se rassure donc, je ne ferais ici aucun prosélytisme. La dernière décennie a été marquée par une chose tout à fait intéressante : la notion de pêche durable. Nombreux sont ceux à s’être engagés vers la prise de conscience d’une réalité criante : à trop tirer sur la corde, celle-ci finira tôt ou tard par rompre. Le stock de bars a souffert, et ce pour de nombreuses raisons. C’est un heureux constat qu’il faut reconnaître : de plus en plus de pêcheurs relâchent leurs poissons, et se réjouissent de ceux qu’ils peuvent conserver dans le cadre de la raison. Mais il en est un autre qu’il ne faut pas nier : certains ne le font pas encore, partant de ceux qui ne le font jamais jusqu’à ceux qui ne le font pas assez, ou pour des raisons qui ne sont pas raisonnables. J’en arrive à ce moment qui est tout aussi gênant pour moi qu’il le sera pour certains d’entre vous. Relâcher un poisson ne peut qu’avoir des conséquences bénéfiques pour l’environnement, et cela est une attitude que l’on ne peut que remercier. Pourtant, au-delà du simple geste, il y a également sa signification. Comme mon humble envie ici présente est d’offrir un regard sur l’avenir d’une passion, je ne peux faire autrement qu’aller plus loin que la simple illusion du paraître.
De dérives en naufrage
Il y a le geste, celui du poisson que l’on remet à l’eau. Il y a le discours, que l’on prononce parfois à grand renfort de promotions diverses. Puis il y a le fond, le fond du coeur qui est la véritable raison du geste. Pour que le geste puisse changer autre chose que soimême, c’est-à-dire changer tout ce qui touche à la problématique de la disparition des espèces, il lui faut être inspirant. C’est là que j’en arrive aux dérives d’un monde qui comprend qu’un poisson vivant est meilleur qu’un poisson mort pour le business, mais aussi pour l’image de soi. Je voudrais apporter mon humble témoignage de pêcheur, journaliste et auteur. Dans mon métier j’ai été amené à prendre en photo de très nombreux pêcheurs, et de très nombreux poissons. Des poissons qui ne sont que des animaux pour certains, de véritables idoles pour d’autres, ou des animaux qui servent des idoles, aussi... J’ai été un prédateur dans ma vie, et je l’écris. En un temps où je n’avais pas toutes mes consciences, car possédé par mon inconscience. Depuis j’ai vécu, beaucoup tué, et beaucoup sauvé également,
de mes propres mains. Alors j’ai vu d’autres pêcheurs tuer beaucoup, et certains sauver d’autant plus. Les années passent et c’est avec un recul maximum que je tente d’observer la situation. A-t-elle véritablement changé ? Oui. Auparavant on tuait par instinct de prédation et parfois par besoin, aujourd’hui on ne tue plus l’animal, mais celui qui en prend plus que nous, et ce même s’il remet tous ses poissons à l’eau. Alors que bien des gens rendent la vie à la vie, l’instinct de prédation a dérivé. L’animal fut un simple morceau de viande pour certains, puis une source de revenu pour d’autres. Aujourd’hui, il tend à devenir un moyen d’être mis en lumière, avec derrière la surveillance d’une industrie. Donc le poisson n’est plus valorisé par le poids, mais par le nombre. Celui qui prend plus serait meilleur que l’autre, et cela vaut pour le leurre, pour la canne, mais aussi pour le pêcheur. En devenant consommateur acharné d’un marché, dans le seul but de prendre plus de poissons, est-ce mieux que de tuer trop ? Car en finalité, ceux par qui le courroux s’installe, à savoir certains pélagiques qui se moquent de tout, ont quand à eux l’inconscience active. Il me semble que le problème de l’espèce bar est un problème bien plus vaste que la seule espèce concernée. Cette espèce n’est sensible que par la rentabilité commerciale qu’elle représente, à bien y réfléchir... Alors que les ressources naturelles s’épuisent aussi vite que se perfectionne la technologie, n’est- ce pas toute la façon de penser le rapport de l’homme à l’animal qui est actuellement en jeu ? La pêche peut- elle survivre à l’ego des hommes ? Le soi est-il associé à une quantité de poissons pris ou à une beauté intérieure ? Tout est pourtant juste dans le fait qu’une industrie se développe, au coeur de règles établies pour tous, par tous.
De l’espoir en l’avenir
Je fais voeux de placer en ce numéro spécial tout ce qui nourrit mon espoir désormais. Je devrais plutôt corriger par « mes » espoirs, l’espoir de voir le pêcheur être valorisé par son rapport sain avec la nature, un rapport d’échange, ou celui qui prend donne aussi à part égale. L’espoir de voir le pêcheur se valoriser par son rapport sain avec l’autre, un rapport d’échange ou celui qui prend donne aussi à part égale. L’espoir de voir le monde de la pêche valorisé par un rapport sain entre le monde des hommes et les cycles de la nature, un rapport d’échange et de respect, ou celui qui donne ne prend pas toujours, et ou celui qui prend donne toujours. J’ai espoir en ce jour que mes écrits n’offusquent personne, car ils ne sont que ceux d’un homme imparfait et qui tente d’être conscient autant qu’il le peut : conscient d’un marché qui a peur de ne plus pouvoir exister faute de spectateurs. Conscient qu’une évolution ne peut se concevoir par la seule
interdiction, pas plus qu’elle ne le peut sans un minimum de compréhension des besoins de tous. Le pêcheur amateur a besoin de prendre des poissons, tout comme le pêcheur professionnel. Conscient que l’humanité ne cesse de croître, et qu’en même temps qu’il faut nourrir de plus en plus d’humains sur cette planète, nous n’entendons pas les alertes et continuons à vider les mers et stériliser les terres. La pêche peut se pratiquer « autrement », et elle se pratiquera autrement, que nous le voulions ou pas. Si le monde des politiques peut beaucoup, il ne peut pas tout, et nous le voyons. Le monde dépend de nous tous, et des efforts que nous saurons déployer en imaginant ensemble les solutions qui peuvent avoir une chance de fonctionner, pour tous et pas uniquement pour nous même. Cela commence donc par notre capacité à nous raisonner nous mêmes, ce qui évitera à d’autres de se sentir obligés de nous raisonner pour eux mêmes. Dans ce hors série je vous proposerais une approche de la pêche qui, si elle n’a pas prétention à être meilleure qu’une autre, sera peut-être au moins un peu différente. Nous explorerons ensemble des notions qui pourront paraître étranges parce que différentes, mais en aucun cas nouvelles….