Plus qu’un poisson, un prédateur
Comprendre le poisson est une base sans laquelle le pêcheur ne peut se construire lui- même. Lorsque le pêcheur quitte son rôle de prédateur, il doit en même temps comprendre que le poisson qu’il pêche n’est pas un prédateur irréfléchi. Ouvrir la gueule est un acte qui n’a pas pour seul but que tuer. Cela peut être un signe de défense, de domination, ou tout simplement pour se nourrir.
Auparavant la pêche était une affaire de prédation. En des temps très reculés elle était essentielle pour nourrir les populations, puis les temps évoluant ont ajouté la notion de jeu à cette activité. Peu à peu le pêcheur apprend à comprendre, essayant d’intégrer des règles à ce jeu qu’est la pêche. Il n’y pourtant d’autre règle que les deux piliers sans lesquels rien n’est possible : observer et contempler le poisson dans son environnement. Le bar est un prédateur, mais pas de l’espèce de ceux que l’on peut voir dans les films. Il n’est pas une bête sauvage qui déchiquète tout sur son passage, comme d’ailleurs peuvent l’être d’autres espèces de poissons. Le bar est un prédateur de circonstances, car la plupart du temps il est placide, voire amorphe.
Je voudrais aborder différents plans du comportement de notre poisson afin, non pas d’apporter une technique de pêche particulière, mais plutôt pour créer des liens applicables à toutes les pêches possibles de ce poisson.
Le bar est un prédateur
En premier lieu, abordons la plus pure essence du prédateur : tuer. On parle souvent dans notre monde des « chasses » de bar, sorte d’image impliquant la présence de plusieurs prédateurs qui oeuvrent en groupe. On s’imagine alors peut-être que comme les loups sur terre, les bars sous la mer agissent pour finalement se déchaîner dans un bain de sang sur la proie qu’ils convoitent. On entretient aussi l’image du poisson qui referme la gueule sur sa proie, ou sur le leurre. Dans la gueule d’un barracuda, la proie serait inévitablement lacérée, sanglante, voire coupée en morceaux. La nature a bien entendu créé cette réalité, qui ne s’applique pourtant pas au bar. Le bar est un prédateur, certes. Cela est vrai dans le sens que pour survivre il doit se nourrir, et pour se nourrir il doit tuer. D’ailleurs, il ne tue pas toujours lui-même... Si nous reprenons le cas des chasses de bars et qu’on les étudie un peu plus en détail, on remarque que les bars ne sont pas toujours en surface. Souvent ceux que l’on voit en surface sont les bars jeunes, ou les espèces adjacentes qui oeuvrent en finalité pour les bars expérimentés. Les bars font à minima, ils ne s’épuisent jamais pour s’alimenter. Ils préfèreront toujours abandonner que mettre leur vie en danger. Or, un poisson fatigué est un poisson en danger... La plupart du temps, les gros poissons se contentent de cueillir les proies blessées par les autres. Si l’on passe à présent à l’image du bar qui referme la gueule sur sa proie, on peut aussi creuser un peu la question.Bien évidemment que la gueule doit se refermer pour éviter que la proie ne s’échappe, mais est-ce produit avec l’agressivité d’un tueur ? Personnellement je ne le pense pas, et cela a son importance dans ce qui va suivre. Techniquement, le bar aspire ses proies. Cela n’a pas du tout les mêmes conséquences sur la pêche, car que ce soit pour présenter un appât ou un leurre, la façon dont le poisson perçoit sa proie n’est pas la même s’il aspire ou s’il mord. Il me semble important de poser ici cette nuance importante, car le bar est bel et bien un prédateur, mais en tant que tel il a aussi ses spécificités et ses nuances. Il existe des danseurs de rock et des danseurs classiques...
Des mutations sérieuses
Au temps qui est celui que nous vivons, nous assistons à des mutations sérieuses dans le monde. Le domaine de la pêche vit aussi sa mutation. En d’autres termes, le pêcheur intègre de plus en plus les notions d’équilibre entre l’homme et la nature. Nous sommes donc en droit de penser que la façon d’aborder la pêche, et plus précisément la façon dont on va la pratiquer concrètement doit changer. En considérant qu’un bar (en tant qu’espèce) est un simple prédateur identique à tous les autres, on commet déjà une erreur d’estimation pesante, mais on se prive également d’une voie d’évolution pour demain. Je m’explique : toutes les mesures qui sont prises aujourd’hui pour favoriser la stabilisation et le repeuplement de l’espèce sont-elles prises pour permettre à tout un chacun de prendre plus de poissons demain ? Si tel était le cas, cela serait à mon sens une grossière erreur. A l’heure actuelle, de nombreuses espèces sont touchées par des risques de déséquilibre pouvant les conduire à l’extinction. Agir pour améliorer les populations n’aurait de sens si tout le monde voulait profiter de l’aubaine. C’est donc une refonte totale des façons de faire qui sont à revoir. En considérant le bar comme un prédateur basique et en agissant comme lui, nous savons pertinemment que la cause est perdue d’avance. Un jour il n’y aura plus de bars et la fête sera finie. Quel est donc le lien avec l’article présent ? C’est en changeant les raisons pour lesquelles nous allons à la pêche que nous changerons notre façon de pêcher. Bien que le contenu puisse paraître étrange à certains, je vais expliquer ce qui m’habite depuis fort longtemps déjà. En considérant le bar comme un prédateur brutal et basique, on peut être tenté de le pêcher comme tel. Cela se traduit alors de deux façons : d’une part dans le droit que l’on s’octroie de le tuer, mais également dans la façon dont on travaille les leurres ou présentons nos appâts.
Le bar n’est pas un prédateur brutal. C’est un prédateur réfléchi, doté d’une extrême sensibilité. Certes elle n’est pas comparable à la nôtre, mais elle est bien réelle. Il n’y a qu’à nous rendre compte de la facilité avec laquelle il refuse un leurre, une présentation, une animation ou un appât pour le comprendre. En intégrant en nous la nécessité de nous intéresser un peu plus près au caractère de l’animal, on peut comprendre qu’il n’est pas uniquement motivé par le besoin de tuer. D’ailleurs, peu d’animaux le sont réellement. La plupart des croyances actuelles sont le fruit de légendes non fondées. Dans la nature, un animal tue pour se nourrir, pour protéger sa progéniture ou lui-même, ou son territoire de chasse. Cela n’est jamais gratuit, ni pour le plaisir, contrairement à l’être humain. En comprenant cela, c’est-à-dire en acceptant d’être nous-même ce que nous reconnaissons à la nature, nous pouvons sortir de nos faux semblants et revenir à un semblant d’équilibre en nous-même. Le bar est un magnifique prédateur. Il nous apprend des milliers de choses au cours d’une vie de pêcheur. Il n’est jamais identique au précédent. Il change, évolue avec les saisons et les années. Preuve en est que d’une année sur l’autre on ne le prend plus avec forcément les mêmes leurres, les mêmes couleurs, ou les mêmes appâts. On ne le pêche plus sur les mêmes endroits, ni aux mêmes périodes. Ce poisson est intelligent, à sa façon, et sans jamais se préoccuper de nous autres, pêcheurs. Alors serait-ce à dire qu’il ne nous faut plus tuer ?
Le droit d’ôter une vie
Que l’on tue certains animaux qui sont dangereux pour nous, soit. Que l’on tue pour se nourrir aussi. Tuer pour le plaisir, je crois qu’il n’est nullement besoin que je m’accorde le droit d’écrire mon humble avis... Bien évidemment que le pêcheur peut légitimement s’accorder le droit d’ôter une vie. La nature nous donnera ces vies, si nous savons l’aider à le faire. L’objet de cet article n’est donc pas de sermonner, mais bel et bien de faire une relation entre la nature même de
ce poisson mythique (et non mystique) et notre façon de le pêcher. Car concrètement, le pêcheur grandit toujours à développer en lui des facultés plus poussées. Comprendre que le poisson que l’on peine à prendre a ses raisons qui sont généralement autres que sa pure agressivité de prédateur aide manifestement à dénouer certaines situations complexes. Adoucir une animation au moment opportun, c’est aussi intégrer le fait que l’animal a besoin de douceur et de réalisme à cet instant. Appliquer de la douceur dans son geste, c’est aussi faire preuve d’humilité face à cette nature qui, quoi que nous décidions, aura toujours le dernier mot. Lorsque nous positionnons un appât sous l’eau, au bout d’un montage de surfcasting, si nous ne tenons pas compte de la réalité morphologique d’un poisson brassé par la vague, on s’expose au risque de le manquer. Si on le prend pour une machine programmée uniquement pour tuer, on s’évertue à le maintenir dans un faux costume. Ainsi, on peut exagérer dans tous les sens sans véritablement trouver l’ouverture adéquate. Je prendrais l’exemple de celui qui voudrait affiner ses montages à l’extrême avec l’idée précise de tromper le poisson. A vouloir accorder plus de liberté à son appât que de raison, le pêcheur peut se mettre dans l’erreur, car ce que peut vouloir le poisson c’est uniquement un comportement cohérent de son appât. D’ailleurs, l’expérience qui est la mienne me permet d’écrire ici qu’un bar qui mange des appâts n’attaque quasiment jamais les leurres dans le même moment.
Une prise de conscience
Il y a bien des différences de comportement chez ce poisson, qui sont généralement motivées par l’environnement, la période, la température de l’eau ou les conditions de pêche. La pêche de demain pourrait être résolument tournée vers la compréhension de la nature et des éléments. Elle pourrait s’extraire un peu de l’idée selon laquelle le matériel et la théorie font la grande partie du travail. On pourrait peut- être aussi revenir à des connaissances qu’avaient les anciens, sur leur côte, leur mer et les oiseaux, sur leurs poissons, leurs appâts ou les leurres. Il ne s’agit pas d’un retour au passé, mais seulement de prendre conscience qu’il nous reste encore bien des choses à apprendre, et notamment tout ce qui concerne la pratique d’une pêche équilibrée et responsable, entre tous et pour tous, poissons comme pêcheur. Les savoirs anciens ont été oubliés en raison d’une technologie galopante, qui va si vite que la nature n’arrive plus à suivre. Je connais personnellement des pêcheurs qui aiment à rendre la pêche plus exigeante, car plus minimaliste. Les Japonais aiment cela et les pêcheurs à la mouche également. Rendre à la nature ce qu’elle nous donne peut aussi nous apprendre à nous rendre mutuellement ce que nous recevons des autres, le savoir y compris.