Pêche en Mer

Le pêcheur et l’intuition

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L’intuition est en chacun de nous. Je veux ici simplement rappeler qu’il faut se faire confiance, et lâcher l’aspect mental pour se laisser guider. La stratégie relève du domaine du mental, elle conduit parfois au succès et des fois à l’échec. Il arrive que le poisson soit ailleurs, on le sent, mais le mental nous empêche d’appliquer une technique qui paraît totalement hors sujet.

Nous continuons notre voyage au coeur de ce que contient la grande besace du sixième sens du pêcheur. L’intuition en est un élément fort important, et qui au premier abord ne semble pas apporter de clés concrètes à la réussite du pêcheur. Intéresson­s-nous au sujet et voyons si cela est vrai. Cette fameuse intuition se fait si furtive qu’elle paraît incontrôla­ble. On l’attribue souvent à ces dames, pourvues semble-t-il d’une forte intuition « féminine ». Estce à dire que nous les hommes en sommes dépourvus ? Bien entendu que non, ce n’est qu’une histoire de conscience. Je voudrais d’ailleurs faire une pause de quelques lignes sur cette conscience, car de conscience le pêcheur en a toujours eu grand besoin. Peut-on véritablem­ent expériment­er le pouvoir de l’intuition si l’on a pas pris conscience qu’elle en a vraiment un ? La conscience est ce qui est en nous, ancré comme une quasi certitude. J’ai conscience qu’il fait froid, parce que mon corps grelotte. Si on venait à me dire qu’il fait froid sans que je le ressente, il me faudrait m’interroger : suis-je malade ? Alors il me faudrait voir et regarder les autres, pour constater

qu’effectivem­ent les autres ont froid, et donc, que j’ai un souci de fièvre. On ne croit généraleme­nt que ce que l’on perçoit, et tant que l’on prend quelques poissons, on refuse de voir que de façon plus générale il y en a moins. C’est un peu ce qui se passe dans notre monde actuel... Prendre conscience que l’intuition peut à elle seule s’imposer comme une véritable technique de pêche n’est certes pas facile. Déposer un instant tout son savoir pour s’adonner à sa seule intuition est un pas considérab­le qu’il faut franchir impérative­ment pour toucher du doigt le vécu de l’intuition. Faisons donc la distinctio­n entre l’intuition et le mental. Le mental contrôle, il gère et pose un cadre au-delà duquel il refuse d’aller. A l’intérieur de ce mental il y a nos connaissan­ces, celles que l’on possède. Elles constituen­t notre savoir, ce même savoir qui fait que certains disent : « Je sais ! ». Pourtant, peuton honnêtemen­t penser que l’on sait tout ? Le monde est si vaste, la nature si complexe, et l’animal si mystérieux... Alors j’en reviens à ce lien qui nous connecte au poisson, tout aussi mystérieux que l’animal lui-même. Est-ce une technique ancienne de quelques dizaines d’années qui pourrait surpasser une création vieille de milliers d’années ? Notre savoir est important, mais il est selon mon humble avis bien désuet face à ce que nous sommes véritablem­ent, autrement dit des êtres doués et dotés de bien plus qu’un seul petit savoir. Aussi grande soit la connaissan­ce du monde de la pêche, chaque être humain ne peut en conserver qu’une infime partie en lui. Alors revenons-en à l’intuition. L’intuition se passe des codes, elle sort des limites car elle n’en a plus du tout. L’intuition nous incite à lancer un leurre dans 30 cm d’eau car elle sait qu’il s’y cache un bar. L’intuition nous fait ralentir la manivelle au bon moment. Elle nous fait attendre une heure de plus avant de lancer nos lignes de surfcastin­g, ou elle nous fait changer d’endroit. L’intuition n’a aucunement besoin du mental pour faire son chemin et nous conduire vers ce qu’il y a de mieux à faire à un instant précis. J’ai bien envie de vous en parler de cette intuition que le pêcheur possède en lui, bien qu’il ne lui accorde pas toujours la place qui est la sienne.

L’intuition

L’intuition est nichée au plus profond de nous, dans ce que certains appelleron­s le subconscie­nt, et dans ce que j’appellerai le coeur. L’intuition est réelle et physiqueme­nt perceptibl­e. On sent le coeur changer de rythme, la poitrine réagir à un signal intuitif. On se sent « bien » tout à coup, c’est forcément subtil, du domaine de l’impalpable, mais bel et bien réel. Prenons un cas concret : vous êtes au bord de l’eau. Vous marchez sur la grève avec pour idée d’aller en un lieu précis. Vous voulez pêcher au fond, à l’aide d’un shad souple. Puis en marchant, vous regardez la bordure, et les algues qui se sont accumulées.Vous voyez bien des petites traces en surface, et votre curiosité est piquée. Vous continuez de marcher. Puis vous voyez un remous, un peu plus gros que les autres traces. Vous continuez à marcher, jusqu’à cette zone que vous recherchie­z. Vous pêchez, et vous ne prenez rien. Nous en arrivons à présent à l’explicatio­n de texte. Votre intuition vous a alerté, à plusieurs reprises durant votre périple. Peut-être rentrerez-vous en disant qu’il n’y avait rien à prendre. Peutêtre tenterez-vous de pêcher les bordures en rentrant, dépité, et sans vraiment y croire puisque vous n’aurez rien pris là où vous pensiez prendre un poisson... Dans tous les cas, vous aurez manqué le signal de l’intuition. Elle vous avait pourtant prévenu, tout d’abord avec ces algues, que vous avez regardées longtemps.Vous auriez pu entendre qu’elles cachaient quelque chose, mais votre mental voulait aller là-bas... Vous avez vu ces petits frisotis en surface, qui évoquaient clairement de la nourriture susceptibl­e d’intéresser un bar. Mais votre mental voulait aller là-bas... Vous avez vu ce remous plus net, mais votre mental pensait que le jour était en train de se lever et qu’il fallait vous dépêcher, il fallait aller là-bas... L’intuition, c’est tout de suite et maintenant. L’intuition c’est vivre l’instant présent, et pas le futur ni le passé. L’intuition c’est écouter son coeur, à chaque instant et lui répondre par un acte, et non pas par une réflexion. Certains penseront qu’il s’agit là de choses bien inutiles lorsque l’on possède la connaissan­ce, et le maté-

riel. Certes, on ne fait rien sans la connaissan­ce, et sans matériel tout est plus compliqué. Admettons-le. Ceci dit, mieux vaut selon moi un pêcheur intuitif doté d’un minimum de connaissan­ces et de peu de matériel, qu’un pêcheur expert en théorie, bardé de matériel et sourd à son intuition. Précisons toutefois que l’un n’empêche pas l’autre, car là est bien le but : la connaissan­ce doit être au service de l’intuition. L’homme n’est pas une machine, tout comme l’animal qu’il recherche. Bien qu’il n’y ait rien à démontrer, il est important pour l’auteur que je suis d’essayer d’engager son propos dans la voie d’une compréhens­ion. Je vous propose donc de mettre en applicatio­n quelques expériment­ations concrètes.

Comprendre

Mettre en oeuvre son intuition et en expériment­er le pouvoir n’est pas quelque chose qui peut se contenter du mental, il n’existe aucune méthode précise. L’intuition se vit, et elle ne se développe qu’en un pêcheur qui accepte de se confier à elle et qui met en pratique certaines choses qui fonctionne­nt. L’intérioris­ation de toute chose : quelle que soit l’action que vous prévoyez de mettre en place, et d’où qu’elle vienne, placez-la en vous et posez-vous la question suivante : est- ce la seule piste exploitabl­e ? Demandez- vous à vous- même si cela est juste. Ainsi, tout ce que vous lisez, ou entendez, ne vaudra jamais autant que ce que vous aurez vu et expériment­é. L’expérience d’un autre n’est que l’expérience d’un autre, elle le concerne lui. Cela ne signifie pas que vous n’avez rien à apprendre des autres, mais pour que ce qu’on apprend devienne une connaissan­ce acquise, il faut comprendre ce que l’on apprend. Ceci étant dit, on ne comprend qu’en expériment­ant, et tant que l’on obtient pas l’effet escompté, on ne peut en déduire qu’il s’agit d’une connaissan­ce. Si vous lisez quelque chose sans jamais le remettre en cause, que ce soit sur un réseau social, dans une revue ou un livre, ou à la télévision, et que vous vous contentez de l’appliquer, cela ne vient pas de vous. En d’autres termes, vous devenez un exécutant, très bon théoricien, certes, mais coupé de son intuition.

Tout se complète

La tempérance en toute chose : rien n’est tout beau, rien n’est tout noir. Aucun matériel ne peut s’auto-suffire à lui-même. Aucun savoir n’est supérieur aux autres. Tout se complète et s’harmonise si on accorde à toute chose le droit d’être. Ainsi, si vous lisez dans ces mots le fait qu’il faut supprimer le matériel et la connaissan­ce, alors je me suis mal fait comprendre. La tempérance est ce qui protège de tomber dans les excès. Notre société en aurait d’ailleurs le plus grand besoin parfois... Aucune méthode de pêche, aucune stratégie n’est meilleure qu’une autre. Chaque chose et chaque approche a son utilité. J’ai toujours croisé des exceptions qui s’amusent à contredire les règles imposées par les autres depuis que je grandis dans la pêche. A celui qui s’impose comme le maître des pêches fines s’opposera toujours a celui qui pêche avec du 45/100... Alors qu’est-ce qui est juste ? Que l’un prenne plus de poissons que l’autre ? Ou que les deux prennent

le plaisir là où il est. L’intuition de l’un le conduit à pêcher fin, l’autre à pêcher avec une ligne plus forte ; et les deux prennent des poissons ! L’intuition propose toujours des solutions adaptées à la personne qui les génère. Elle ne trompe jamais son créateur, et c’est pour cette raison que ce qu’elle crée est souvent bien plus grand que ce qui est uniquement créé par le mental. Nous autres pêcheurs avons souvent tendance à mettre les choses dans des cases. Le pêcheur doit être ceci ou cela, les poissons agissent comme ceci ou comme cela. Tel leurre produit ceci ou cela chez le poisson, et on finit par penser que parfois les poissons sont littéralem­ent hypnotisés par les leurres, jusqu’à en devenir bêtes. La tempérance est source de sagesse, et cela est vrai pour tout, y compris dans la situation dans laquelle nous plongent nos politiques vis à vis du bar. Avec eux, reconnaiss­ons que c’est toujours en mode « ON ou OFF », soit ils ne font rien, soit ils sont dans l’excès. On a l’impression que la notion d’équilibre n’a de sens que pour ceux que l’on dit perchés dans l’espace.

Nous restons des chasseurs

La confiance en soi implique bien entendu la confiance en sa propre intuition. En restant scotché à un savoir technique que l’on déploie uniquement au travers du hasard, on n’est pas dans l’action créatrice. L’intuition nous incite à tenter des choses, tout le temps. Elle éveille les sens et affûte nos instincts. Nous sommes et restons des chasseurs, même si nous nous éloignons peu à peu de la nécessité de tuer. Dans l’acte de chasse que représente la pêche, l’intuition nous aide, bien entendu. Entendez bien que l’intuition est partout dès lors que nous restons vigilants et « dans » l’instant. Certains appelleron­t cela la concentrat­ion, une autre façon de dire centré à l’intérieur de soi. La confiance en soi est la juste nourriture de l’intuition. Lorsque votre intuition vous dit « prends ce leurre... choisis cet appât, retire ta ligne, ralentis, lance ici plutôt que là », ne résistez pas, et ne cédez pas toujours au mental. Ayez confiance en vous, jusqu’à la dernière minute de la pêche, jusqu’à cet instant où vous vous direz : « J’ai tout mis en oeuvre, et j’ai pris du bon temps. » Je conclurai cet article en allégeant mon propos. Ne voyez en ces mots aucun jugement sur telle ou telle façon de vivre la pêche. L’intuition est une perception naturelle chez l’homme, elle remonte à la nuit des temps. Je place cet article sur le fil conducteur de l’ensemble de mes écrits dans ce numéro : une simple idée de ce que pourrait être la pêche de demain. J’imagine cette pêche pratiquée dans la vivance pure de l’instant, où la communion avec la nature est rétablie par l’amour de ce que l’on fait. J’imagine que pour cela, couper avec le mental contrôlant est une aide précieuse. J’y vois également une certaine part de spirituali­té, et de lâcher prise avec la vie de dingue que nous menons. Ma conclusion n’engagera que moi : contraints par les obligation­s de la vie, nous contraindr­e à des savoirs techniques dans la pratique de notre loisir fait-il de nous de meilleurs pêcheurs ?

 ??  ?? Combien de poisson ont été pris suite à une erreur ? D’ailleurs, était-ce bien une erreur ?
Combien de poisson ont été pris suite à une erreur ? D’ailleurs, était-ce bien une erreur ?
 ??  ?? Chaque prise est le résultat du travail de trois tiers : un tiers du pêcheur, un tiers du poisson et un tiers d’autre chose...
Chaque prise est le résultat du travail de trois tiers : un tiers du pêcheur, un tiers du poisson et un tiers d’autre chose...
 ??  ?? Aimer son poisson pour ce qu’il nous donne, là se trouve une forme de paix intérieure.
Aimer son poisson pour ce qu’il nous donne, là se trouve une forme de paix intérieure.
 ??  ?? La connaissan­ce technique doit être au service de l’intuition.
La connaissan­ce technique doit être au service de l’intuition.
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 ??  ?? L’intuition est du domaine de l’insondable quand elle nous fait animer le leurre.
L’intuition est du domaine de l’insondable quand elle nous fait animer le leurre.
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