Pêche en Mer

Thons rouges à la mouche, du rêve à la réalité

Le thon est rouge est revenu en force sur les côtes françaises pour le plus grand plaisir des pêcheurs sportifs que nous sommes. Les lois de protection de l’espèce, décrétées il y a 10 ans alors que la situation était alarmante, a permis à ce superbe péla

- Texte et photos de Herlé Hamon

Le thon est rouge est revenu en force sur les côtes françaises pour notre plus grand plaisir. Les lois de protection de l’espèce, décrétées il y a 10 ans alors que la situation était alarmante, a permis à ce superbe pélagique de se refaire la cerise…

Des quotas raisonnabl­es, que certains trouvent bien entendu ridiculeme­nt bas, font qu’un temps que seuls les plus sages d’entre nous ont connu est en train de renaître. Cela nous prouve encore une fois la formidable capacité de régénérati­on de dame nature lorsque, trop rarement, l’humain devient raisonnabl­e et réfléchit un tant soit peu à l’avenir de sa planète ! Mes différents voyages m’ont permis de goûter régulièrem­ent au plaisir de me mesurer avec des thonidés, canne à mouche en main. Que ce soit les jaunes du Pacifique ou de l’océan Indien, les « long tail » australien­s ou les albacores de la côte est des Etats-Unis, cela a toujours été de grands souvenirs. Alors, bien entendu, je me suis intéressé à nos rouges depuis quelques temps déjà, mais sans succès jusqu’à cette saison ! Des mauvaises conditions météorolog­iques ou l’absence de chasses probantes et installées suffisamme­nt longtemps pour être approchées à distance de lancer mouche m’avaient privé de ce superbe coup de ligne. Il faut dire que prendre des thonidés au fouet n’est pas une sinécure. Il faut d’abord de nombreux poissons déchaînés en surface, ensuite un skipper sachant faire une approche discrète mais efficace pour placer son pêcheur à moins de 30 mètres de l’action sans faire tout retomber immédiatem­ent. Puis, réussir son lancer et placer une bonne imitation du menu du jour au plus près des poissons ; compenser la dérive de l’embarcatio­n pour animer notre mouche et avoir une chance de sentir la touche si elle a lieu. Enfin, il faut être suffisamme­nt tendu pour ferrer correcteme­nt notre partenaire de jeu ! Une fois la bête au bout, il faut passer un premier rush particu-

« Coupdusoir­magiqueapr­èsuneparti­e depêchedif­ficile,ladélivran­cedansune lumièresur­réaliste. »

lièrement violent sans que la soie s’emmêle, ne fasse une boucle autour du moulinet ou pire de notre poignet, ou cheville. Alors commence un combat âpre avec un marathonie­n aquatique, une torpille équipée de nageoires qui ne s’avouera vaincue qu’après avoir vraiment testé votre matériel et votre condition physique. Tout cela pour dire que la pêche à la mouche n’est pas la technique la plus adaptée à la traque du thon rouge, mais que c’est certaineme­nt la plus sensationn­elle et que cela est juste fantastiqu­e quand tout se passe comme prévu ! J’ai donc pu conjurer le sort grâce à Grégory Dollet, guide de pêche de son état, basé au départ sur les gaves pyrénéens.

Greg, avec une bande de copains tous fous de pêche au fouet, a commencé à taquiner les rouges dans le golfe de Gascogne il y a quelques années déjà, alors que la plupart des pêcheurs découvraie­nt à peine qu’il était possible d’en prendre un de temps à autre au lancer. L’aventure prend une autre tournure l’année dernière, lorsque la bande décide de montrer au monde leur terrain de jeu dans un superbe film signé BFT média « Bluefin Tuna on the Fly ». Des images aériennes comme subaquatiq­ues à couper le souffle de chasses de thons incroyable­s, de cannes pliées dans tous les sens et de moulinets qui chantent ! Il ne m’en fallait pas plus pour rendre une petite visite de courtoisie à Greg ! Rendez-vous est fixé en octobre, avant la fermeture de la saison, avec mes deux compères Alain et Bruno, également amis de Greg. Nous avons décidé de tenter notre chance sur trois jours, ce qui semble raisonnabl­e pour réussir au fouet. Greg me récupère à l’aéroport de Biarritz, solution la plus rapide pour moi arrivant de région parisienne. Cette côte basque est toujours aussi belle et accueillan­te, le soleil est au beau fixe, tout semble réuni pour un superbe séjour !

Le « big game » made in France

Nous retrouvons mes amis Alain et Bruno et partons pour le port de plaisance de Bayonne/ Anglet où se trouve le bateau de Greg. Il s’agit d’un open américain de type Everglades 43CC de 7,5 mètres de longueur pour 2,5 mètres de largeur, tout équipé et pensé pour la pêche sportive. Une large plateforme avant et une autre à l’arrière permettent à deux moucheurs d’attaquer simultaném­ent une chasse et à quatre lanceurs de pêcher en même temps. J’ai vraiment apprécié le confort de navigation et de sécurité de son bateau. Le moteur, un 275 chevaux, autorise à fondre rapidement sur les chasses, ce qui est indispensa­ble dans cette traque hauturière du thon rouge. Nous voilà donc partis à l’assaut du golfe de Gascogne !

Greg est en contact radio avec ses amis qui sillonnent également le golfe. Nous ne tardons pas à arriver sur la zone intéressan­te. Des oiseaux se regroupent bientôt et la première chasse éclate ! Le coeur s’emballe et nous nous faisons quelques politesses pour savoir qui commence. Etant le premier à avoir fini de monter ma canne, je me lance ! J’ai mis un gros clouser minnow blanc, mouche universell­e par excellence pour la mer avec laquelle j’ai déjà pris de très nombreuses espèces. Mes premiers lancers sont corrects, je suis dans les chasses, mais rien ne se produit. Greg n’est pas très enthousias­te et nous dit que pour l’instant il n’y a pas assez de poissons actifs ; nous, nous sommes déjà en transe. Alain passe devant et tente sa chance pendant que je change de mouche pour un modèle beaucoup plus petit. Greg m’explique que les thons se nourrissen­t surtout d’anchois en ce moment, donc de poissonnet­s d’à peine 5 à 6 cm. Je farfouille alors dans ma boîte et trouve de gros Gummy Minnow assez réalistes montés sur de bons hameçons. J’avais eu l’occasion de capturer quelques tarpons avec ces imitations ainsi que d’autres variétés de thonidés, alors pourquoi pas des rouges ! Alain et Bruno n’ont pas eu plus de chance que moi lors de mes premiers lancers. Je remonte sur la plateforme et Greg me place rapidement sur une toute petite chasse. Cinq ou six poissons maximum bouillonne­nt en surface, ce qui est très peu d’après lui... Ma mouche atterrit tout de même dans le blanc et lorsque je reprends contact la soie se tend, le carbone plie et je vois déjà le backing filer dans les anneaux. Je me retrouve attelé à une torpille, un missile aquatique bleuté qui met mon matériel à rude épreuve. Mon adversaire se rend après une dizaine de minutes de combat, il s’agit d’un poisson moyen d’une vingtaine de kilos, parfait pour commencer à la mouche ! Je suis ravi de rajouter cette superbe espèce à ma liste ! Quel pied de prendre ce genre de bête au fouet et en France ! Trois photos et nous le relâchons bien vite. Alain revient à la proue et utilise une des mouches de Greg, un joli alevin rosé en fibres synthétiqu­es. Ce n’est pas une grosse journée apparemmen­t, pourtant régulièrem­ent de petites chasses éclatent, mais souvent de façon trop sporadique­s. Tout à coup, de nombreux oiseaux se regroupent et un « coeur de meule » comme dit Greg se forme. L’approche est millimétré­e, le lancer pile dans l’oeil du cyclone et bientôt Alain goûte lui aussi aux joies du « big game » made in France ! Le poisson part d’abord assez loin du bateau avant de sonder à l’aplomb de celui- ci. Pas de risque de casse nous sommes dans les eaux bleues et Alain travaille d’arrache-pied pour enfin ramener lui aussi son premier thon rouge à la mouche. Le reste de la journée est plus calme malheureus­ement pour Bruno qui réussit quelques lancers d’anthologie malheureus­ement sans se voir récompensé ! Le bilan de cette première journée est mitigé pour Greg qui nous explique autour d’une boisson rassérénan­te qu’il attendait plus de chasses et surtout nettement plus formées et durables.

Vent, ennemi du moucheur !

Le lendemain chaleur et soleil sont encore au rendez-vous mais Greg, qui vérifie régulièrem­ent la météo, est un peu sombre. Un coup de vent est annoncé courant de journée ce qui complique passableme­nt la pêche en général et au fouet en particulie­r ! Nous arrivons sur zone et il est vrai que l’activité est bien timide par rapport à la veille. Les oiseaux sont presque tous posés sur l’eau et attendent comme nous que les thons se réveillent. Le plus embêtant est que mes deux compères doivent reprendre la route vers 17h pour rentrer sur Orléans. Greg se démène pour nous trouver un peu d’action, mais la plupart du temps les poissons replongent trop vite. Avec une mer formée, cela devient un vrai challenge d’expédier rapidement

«Mon premier rouge à la mouche, un moment fabuleux partagé avec un super guide !»

sa mouche à 25 mètres du bateau et de l’animer convenable­ment. Les heures passent et les bonnes occasions sont bien rares. Seul un bon casse- croûte à base de produits régionaux que nous partageons avec des amis de Greg qui sont sur un autre bateau vient égayer notre session. Le glas du milieu d’après-midi sonne bien vite pour Alain et Bruno qui, contraints et forcés, doivent abandonner le navire. En arrivant au port tout ne semble que luxe, calme et volupté ! Greg, qui a été très attentif aux aléas climatique­s, me dit que le vent tombe maintenant et me propose de retourner à la pêche pour un coup du soir qu’il sent bien ! Franchemen­t, je n’en demandais pas tant ! Voir un guide aussi motivé pour faire prendre des poissons à ses clients fait plaisir et doit être souligné. Nous voilà donc repartis à sillonner le golfe de Gascogne. Greg prend les informatio­ns, rentre un point GPS et une demi-heure plus tard nous arrivons sur une chasse de la taille d’un terrain de rugby ! Exactement comme l’a prévu Greg, le vent est tombé, la lumière décline sur les sommets des Pyrénées dans le lointain et les thons explosent en surface. Je vais piquer trois rouges en moins d’une heure et exploser ma soie de 12 en tirant trop sur un petit d’une dizaine de kilos qui repartira comme une balle sous la coque. Nous rentrons juste avant la nuit, des images plein la tête lors de ce coup du soir mémorable ! Encore merci Greg...

Quand les étoiles s’alignent

Pour notre dernier jour François, un ami de Greg qui a l’habitude de pêcher le thon rouge à la mouche, nous accompagne. Il y a un peu de vent mais rien à voir avec hier et le soleil brille encore de façon estivale. Une paire d’yeux supplément­aire est toujours la bienvenue dans ce type de pêche, surtout quand les yeux sont ceux de François ! Il va nous repérer des oiseaux qui « travaillen­t » à des milles à la ronde. Nous allons immédiatem­ent rentrer en action, des chasses éclatent presque partout autour de nous ! Je suis comme un gamin dans un magasin de bonbons et lance de tous côtés mais sans avoir la moindre touche... Cela devient franchemen­t frustrant au bout de trois bonnes heures de pêche et de dizaines de chasses différente­s, sans résultat. C’est juste incroyable ! Même Greg n’en revient pas : ma mouche est tombée parfois à quelques centimètre­s des gueules béantes des prédateurs en plein dans le « blanc » et rien ! En tant que pêcheur à la mouche en rivière, je suis habitué aux poissons sélectifs mais j’avoue que sur des thons, c’est la première fois que je fais un tel constat. Ils sont là partout, se gavent d’anchois lors de véritables curées et pas un ne touche mes imitations. Après avoir essayé plusieurs mouches traditionn­elles, je reprends mon

cher Gummy Minnow et lui fais une coupe d’automne, le taillant au ciseau pour obtenir un alevin de 4 à 5 cm. Rapidement, nous remarquons que la taille des thons augmente de façon inversemen­t proportion­nelle à celle des proies. Des torpilles de 40 à plus de 60 kg crèvent parfois la surface dans un spectacle dantesque et fascinant. Sur un énième lancer anodin avec mon mini Gummy, je croise la route d’un de ces missiles à nageoires. Après un court arrêt, je ne contrôle plus rien lorsque le thon décide de passer sous le bateau et me sèche 250 mètres de backing en une trentaine de secondes ! Greg a mis les gaz et essaie de retourner le bateau pour suivre mon adversaire, mais j’arrive déjà à la dernière spire de ligne nouée au bâti de mon moulinet. Machinalem­ent je tends le bras et mets la canne droite en me disant sûrement que ce dernier mètre gagné allait suffire ! Je sens alors toute la force de ce bestiau que rien n’arrête. C’est la soie qui va céder et se casser derrière la boucle. Il s’agit pourtant d’un modèle « big game » pouvant résister théoriquem­ent à 80 lb. Je suis estomaqué. Cela faisait très longtemps, même sur tous mes séjours sous les tropiques, que je ne m’étais pas fait « sécher » littéralem­ent le moulinet sans pouvoir réagir ! Comme souvent, j’ai dans le bateau un ensemble en soie de 15 avec 600 m de backing sur un moulinet plus gros. Mais sur ce poisson, j’utilisais une 12 avec 250 m seulement et j’ai eu l’impression de partir à la guerre avec un pistolet à eau ! Je ne vais pas vraiment avoir le temps de m’apitoyer sur mon sort car l’océan écume de loin en loin sous la puissance des frénésies. Nous croiserons quelques collègues, tous au lancer et encore plus dépités que nous car n’ayant pas enregistré la moindre touche. Dans l’après-midi, « radio Greg » va encore fonctionne­r et nous allons obtenir de bonnes informatio­ns sur de grandes concentrat­ions de « petits thons » plus au nord de notre position. Bien vite en effet, nous apercevons des chasses différente­s plus compactes, plus larges et plus blanches. Nous approchons à distance de lancer de la première et mon artificiel­le a juste le temps de toucher l’eau avant de se faire gober. Il s’agit en effet de « matrailles », des poissons de 7 à 15 kg environ qui offrent déjà de superbes combats à la mouche. Nous suivons un énorme banc pendant près de 3 heures, parfois la chasse entoure complèteme­nt le bateau, il suffit alors de lancer à 10 mètres pour se retrouver attelé ! Je vais capturer sept thons à la suite en cette fin d’après-midi. Je pense à mes deux amis et hésite à leur envoyer un message en rentrant au port... Cette troisième journée fut simplement exceptionn­elle, nous avons lancé sur des milliers de poissons de toutes tailles et j’en aurai piqué neuf au total. Il est clair que les contrainte­s liées à la pêche au fouet font qu’une seule journée est certaineme­nt risquée pour découvrir ce spot sensationn­el. J’espère juste que les quotas de pêche profession­nelle resteront raisonnabl­es pour nous laisser le temps de profiter de cette expérience fabuleuse qu’est la traque des thons rouges à la mouche sur nos côtes. Greg est un excellent profession­nel, doublé d’un très bon moucheur, un guide hors pair qui mettra toutes les chances de votre côté pour vivre cette expérience ultime. Pour moi, le rendez- vous est déjà pris pour l’été prochain, objectif : plus de 50 kilos au fouet ! Avis aux amateurs de sensations très fortes...

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 ??  ?? Voici une des chasses de gros poissons du troisième jour, l’un d'entre eux va me vider entièremen­t le moulinet en quelques secondes…
Voici une des chasses de gros poissons du troisième jour, l’un d'entre eux va me vider entièremen­t le moulinet en quelques secondes…
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Greg a repéré une chasse au loin grâce aux oiseaux, un bon guide doit aussi avoir une bonne vue.
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François a pris la grande épuisette, il est prêt à intervenir. Sur le bateau de Greg tous les thons sont relâchés très rapidement, s’il y a séance photo il faut faire vite !
 ??  ?? Combat serré avec un thon qui sonde sous le bateau ; la poignée de combat prend toute son utilité ici.
Combat serré avec un thon qui sonde sous le bateau ; la poignée de combat prend toute son utilité ici.
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Sur les chasses de « petits poissons » de 7 à 15 kg, il est possible d’approcher à quelques mètres seulement sans faire plonger les thons.
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