Focus région
Algarve, l’Eldorado du pêcheur français ?
Dans un article publié dans le Pêche en Mer n° 380, je présentais mon premier voyage hivernal en Algarve, en montrant les bars francs et mouchetés que j’avais capturés dans la ria Formosa, et en insistant sur la douceur exceptionnelle du climat de cette région, située à la pointe sud-ouest de l’Europe. Suite à cette première visite, j’ai eu un tel coup de foudre pour l’Algarve et pour l’écosystème incroyablement riche de la ria, que je suis revenu plusieurs fois pour des séjours s’étalant sur l’automne et l’hiver. Ainsi, entre 2015 et 2018, j’ai passé un an, en temps cumulé, à pêcher dans cet environnement de rêve, au milieu des spatules et des flamants roses. Maintenant que je connais bien la région, je pense que la question se pose : l’Algarve est-il le futur Eldorado des pêcheurs français, en particulier des retraités ? Eh bien, voyons cela… Commençons par un petit rappel, pour situer géographiquement l’Algarve et pour comprendre la biodiversité du site. C’est la région la plus au sud du Portugal, ouverte sur l’Atlantique, et frontalière de l’Andalousie. L’Algarve et l’Andalousie sont séparées par la fin du tracé du Guadiana, qui fait donc également office de frontière entre le Portugal et l’Espagne. Ainsi, d’est en ouest, l’Algarve montre un profil très varié, qui commence avec l’estuaire du Guadiana, se poursuit avec la ria Formosa, puis une multitude de plages connues pour leurs superbes rochers découpées, et enfin, à l’Ouest, les falaises de Sagres et du cap SaintVincent. C’est une région d’une fantastique richesse, tant pour le naturaliste que pour le passionné d’Histoire. Et, très important, il y fait toujours beau, même l’hiver, qui n’existe d’ailleurs pas vraiment ici. On compte 300 jours de soleil par an dans cette région et
durant l’hiver, la température ne descend guère en dessous de 15°C en journée. Du coup, on pêche les pieds dans l’eau toute l’année ! Il aurait été impossible de prospecter sérieusement l’intégralité de la côte pendant mes séjours sur place et je me suis focalisé sur ce que je considère être la perle de l’Algarve : la ria Formosa.
La ria, un joyau de la biodiversité
J’aime explorer totalement les environnements que je pêche, en ajoutant à l’expérience halieutique de nombreuses activités naturalistes, comme la pêche à pied, l’observation d’oiseaux, la recherche de fossiles dans les roches sédimentaires, l’inventaire faunistique, etc. C’est ce que j’ai fait dans cette ria qui est un joyau de la biodiversité. Je rappelle qu’une ria n’est pas un lagon (ce dernier est constitué par des coraux) ni une simple lagune. C’est une zone marine partiellement isolée de l’océan par des dépôts sédimentaires venant des fleuves. Ici, sur 60 kilomètres, une bande de sable sépare l’océan de la ria, avec cependant des ouvertures régulières, permettant aux poissons de rentrer avec le flot et d’en sortir avec le jusant. Cela évoque une rivière d’eau de mer, qui longe la côte, et dont le courant s’inverse avec les marées. Cet environnement est un écosystème à part, influencé par l’apport d’eau douce, et présentant des zones vaseuses qui permettent une forte augmentation du nombre d’espèces y vivant. Car dans le sud du Portugal, on rencontre surtout d’immenses plages sableuses, avec une certaine homogénéité. La ria permet de créer de nouvelles conditions de vie, notamment grâce à l’estran sablo-vaseux qui s’est formé. Les coques, palourdes, et couteaux y abondent, tout comme les crabes et divers crustacés. Notons que les crabes se retrouvent presque systématiquement dans les contenus stomacaux des bars que je capture. Les gastéropodes ne sont pas en reste avec des espèces comme le murex épineux ( Bolinus brandaris), le cymbium ( Cymbium olla) et le triton à bosses ( Charonia lampas), ce dernier étant un énorme escargot de mer à la coquille recherchée par les collectionneurs. Notez également que vous trouverez ici toutes les espèces qui, dans l’Antiquité, servaient à fabriquer la pourpre (Cf. encadré p.77). Bien entendu, une multitude d’autres animaux profitent de cette ria et de la nourriture qui s’y trouve. Les limicoles abondent, et vous verrez des courlis, des échasses et des avocettes fouiller la vase juste à côté de vous. La distance de fuite des oiseaux est très réduite, car la chasse est interdite dans la ria Formosa, qui est aussi un parc naturel. Du coup, vous pouvez facilement observer des oiseaux qui ne se sentent aucunement menacés. Les plus beaux oiseaux du site sont la spatule blanche, le flamant rose, et le balbuzardpêcheur. Les vols de spatules et de flamants roses, dans la lumière du matin, juste au-dessus de la tête du pêcheur, créent
un environnement paradisiaque. Et le spectacle d’un balbuzardpêcheur venant saisir un mulet juste devant les yeux du pêcheur est inoubliable.
Des gros bars souvent présents toute l’année
Mais bien entendu, les poissons et les céphalopodes ne sont pas en reste. A la belle saison, la ria regorge de daurades royales, de sars communs, et de sars à tête noire mais aussi d’autres Sparidés, comme les oblades, les saupes et les marbrés. Les mulets forment des bancs gigantesques, notamment au niveau de la passe de Tavira. On rencontre essentiellement le mulet doré, le mulet lippu et le mulet cabot. Les bars francs et les bars mouchetés rentrent toute l’année. Très important : la taille moyenne des bars est spectaculaire, j’en parlerai plus loin. On trouve également des poissons plats, des raies et des congres. Enfin, en ce qui concerne les céphalopodes, les seiches et les pieuvres
Recherche du bar dans l’ environnement somptueux de la passe de Ca cela Vel ha.
sont nombreuses et viennent fréquemment, et souvent par hasard, compléter le repas du pêcheur. Bref, c’est l’abondance, mais attention, toutes les espèces de poissons ne se laissent pas capturer si facilement. Voyons donc les aspects stratégiques et techniques de la pêche sur place. D’abord, comme beaucoup d’écosystèmes côtiers, la ria Formosa est une zone de croissance pour les petits Sparidés. Durant l’été, lorsqu’on pêche en surfcasting dans la ria, on capture des poissons sans interruption, et c’est à mon avis aussi un problème, car ces petits spécimens engament souvent l’hameçon. La pêche reste excellente jusqu’en octobre, puis l’activité diminue durant le mois de novembre, et le plus souvent, les Sparidés sortent de la ria en décembre. Personnellement, je suis un peu étonné du comportement des locaux, qui n’hésitent pas à ramener des seaux entiers de daurades royales qui tiennent dans la main ! Ici, tout se mange, il faut le savoir. Ne faites pas comme eux, ne participez pas au massacre, et remettez soigneusement les petits poissons à l’eau. Néanmoins, la ria est un lieu fantastique pour initier ses enfants à la pêche, car avec ce rythme de touches, ils s’amusent vraiment. Je vous décris donc rapidement le montage-type : plomb-poire placé sur un petit coulisseau, émerillon, bas de ligne d’une soixantaine de centimètres en 25 centièmes, terminé par un hameçon de taille adaptée à la gueule d’un sar, donc pas trop gros. Pour le reste, on peut mettre n’importe quoi sur l’hameçon, tout appât carné fonctionne lorsque les Sparidés sont en masse dans la ria. Pour sélectionner les plus gros spécimens, on peut utiliser le bibi, et éviter ainsi de ferrer les juvéniles.
Pêcher dans cet environnement est un plaisir de chaque instant.
Mais le gros intérêt de la ria, c’est la présence de bars, souvent énormes, toute l’année. On pourra pêcher au leurre l’intégralité des mois d’hiver. Là encore, on ne fera pas comme les locaux, qui se fichent pas mal de la taille légale du bar, et on s’imposera une taille de remise à l’eau supérieure à la taille légale du Portugal, qui n’est que de 36 centimètres. Par ailleurs, à l’approche de la fraie, il est préférable de remettre l’intégralité des poissons à l’eau. En pratiquant ainsi, vous pouvez pêcher l’esprit libre et profiter de l’abondance des bars durant l’hiver. Du coup, c’est comme un deuxième été pour le pêcheur.
Définir une stratégie précise pour tromper leur méfiance
J’ai ainsi passé les trois derniers hivers, les pieds dans l’eau, à traquer les bars au leurre de subsurface. Vraiment sympa ! En revanche, et j’insiste sur ce point, les bars sont très difficiles. Dans les eaux limpides et calmes de la ria, ils voient tout, remarquent le pêcheur en bordure et suivent le leurre avec méfiance. Ils chassent finalement assez rarement dans les bancs de mulets, préférant se nourrir de crabes et de gros gastéropodes. Il faut développer une stratégie de pêche très précise, comme je l’avais exposée dans un article de Pêche en mer intitulé « Le bon timing ». Je rappelle le principe : il faut essayer de trouver des conditions plus agitées pour tromper la méfiance des bars et faire coïncider ces conditions avec le pic alimentaire crépusculaire. L’idéal est de pêcher durant les grandes marées, au niveau des goulots, près des passes, au crépuscule. J’ai pris de nombreux bars pesant entre 3 et 4 kilos près de la passe de Tavira, en pêchant le soir, en fin de baissant, au leurre de subsurface. Mais j’ai eu également de très bons résultats en pêchant au leurre souple, dans une autre passe, celle de Cacela Velha, qui est par ailleurs naturelle et de toute beauté.
Pour vous donner une idée de la densité de gros bars dans la ria, sachez que, pour partir pêcher plus au large, j’en ai parcouru une petite portion en bateau (800 mètres), à l’étale de basse mer, lorsqu’il ne reste que 2 mètres d’eau. Dans ces conditions parfaites, j’ai pu voir une dizaine de gros bars, espacés régulièrement, qui attendaient tranquillement le retour du flot. Dans ces eaux immobiles et limpides, ils n’étaient pas du tout mordeurs, mais cela m’a permis d’estimer leur poids : 3 kilos pour le plus petit et au moins 7 kilos pour le plus gros ! Il y a vraiment beaucoup de gros spécimens ici, et cela s’explique par deux raisons : une croissance très rapide dans ces eaux et un prélèvement rendu difficile par les caractéristiques de la ria. De toute façon, vous vous en rendrez compte très vite, car il n’est pas rare d’avoir 4 ou 5 suivis de gros spécimens durant la même partie de pêche. En revanche, déclencher la touche est beaucoup plus dur, et je vous invite vraiment à suivre les conseils donnés plus haut. Les bars mouchetés sont très nombreux également et souvent de très belle taille. Ainsi, j’ai capturé l’hiver dernier un bar moucheté pesant 1,6 kilo pour 54 centimètres, soit un magnifique spécimen pour cette espèce, qui ne grandit pas autant que le bar franc. Notez, d’ailleurs, que pour le bar franc, le record de la ria est un spécimen de 11 kilos, capturé avec un maquereau entier comme appât. Je pense d’ailleurs que je reviendrai avec mon matériel de surfcasting, pour pêcher ainsi. Les trois premières visites, je me suis focalisé sur la pêche au leurre, car j’ai trouvé que c’était une merveilleuse chose de pouvoir pêcher ainsi en hiver. Mais maintenant que je connais l’incroyable potentiel de cette ria, je reviendrai probablement pour déposer un maquereau entier sur les plages de la bordure externe de la ria, juste à la sortie de la passe. Certains pêcheurs locaux pratiquent uniquement de la sorte, et comme le feraient des carpistes, ils viennent trois jours et trois nuits, dormant en tente à côté de leurs cannes. Le succès est souvent à ce prix et le bar record est probablement tout près. Gardez en tête cette option si vous venez sur place, en sachant que cela demande du temps et de l’organisation, puisqu’il faut transporter le matériel, à l’aide d’une barque, sur la bande sableuse qui délimite la ria.
Fort potentiel pour la pêche en bateau
Enfin, il faut aussi parler de la pêche en bateau. J’ai pêché en bateau lors du troisième hiver sur place et c’était simplement incroyable : gros sars à tête noire en nombre ( Cf. Pêche en mer n° 393, « Le discret sar à tête noire » ) , pagres, nombreuses espèces de Sparidés, serrans, maquereaux en quantité, il faut
le voir pour le croire. En revanche, c’est une pêche extrêmement précise, car il n’y a ici aucun rocher affleurant, aucune île. Il faut repérer au sondeur les rochers immergés, et celui qui se positionnerait sur le mauvais poste ferait une pêche très médiocre. Ici, c’est tout ou rien, tout dépend du poste. Il est évident que le fait de com- mencer avec des locaux qui vous donnent quelques points GPS change radicalement la pêche. C’est très facile, il vous suffit d’aller voir Guilherme (Cf. encadré), qui tient le magasin de pêche de Cabanas de Tavira. Il est très compétent, commerçant, sympa, et il m’a permis d’aller très vite. On gagne du temps lorsqu’on rencontre des gens comme ça. Donc, pour la pêche à soutenir, cette région du Portugal est simplement géniale. Je tiens à préciser que je n’ai pas encore exploité toutes les possibilités de pêche en bateau, puisque, chaque année, je quitte l’Algarve à la fin de l’hiver, juste avant le début de la saison de pêche. Oui, vous avez bien lu, tout ce que je vous ai décrit correspond au creux de la saison, la pêche devient encore meilleure au printemps ! En avril, vous pouvez pêchez des maigres de plusieurs dizaines de kilos devant l’estuaire du Guadiana, au leurre. Les locaux utilisent de gros modèles de Black minnow pour les rechercher. A la fin du printemps, quand les eaux deviennent vraiment chaudes, les bonites arrivent, puis c’est le tour des thons et des coryphènes. Et en septembre, en partant au large, c’est le moment de pêcher le marlin blanc et le marlin bleu à la traîne. Eh oui, on pêche le marlin en Europe ! Et c’est ici que ça se passe. Vous aurez compris que, d’un point de vue halieutique, on est proche de la perfection, et c’est pour cela que je vais maintenant parler de deux sujets importants : les retraités qui s’installent au Portugal et les possibilités pour les guides de pêche.
Pêcheurs retraités et opportunités pour les guides
En ce qui concerne les retraités de France, c’est un véritable
Seul dans cet environnement sauvage, le pêcheur vit des moments d’ exception.
exode. On entend maintenant parler français un peu partout le long des côtes de l’Algarve, et ce n’est pas près de s’arrêter. Les mauvaises langues diront que c’est à cause (ou grâce) aux avantages fiscaux offerts par le Portugal, mais pas du tout. Lorsqu’on interroge les retraités sur place, ils vous disent tous qu’ils sont tombés amoureux de la région, de sa qualité de vie et du climat exceptionnel. Ici, on vit un peu comme dans la « France d’avant », une ambiance décontracté, sans stress, sans conflit, et en plus sous le soleil. Les retraités sont très sensibles à ce point. Et pour le pêcheur c’est l’idéal. Donc, n’hésitez pas à considérer cette option si vous êtes sur le point de partir en retraite, ou si vous l’êtes déjà. J’ajoute que je suis particulièrement sensibilisé à cette tendance puisque mon père, jeune retraité, vient de s’installer au Portugal, suite à mes conseils. Autre fait intéressant : un lecteur du présent magazine, récemment retraité, m’a contacté après mon premier article sur l’Algarve, et il est venu y pêcher cet hiver. Il a tellement aimé qu’il s’est promis d’y revenir chaque année ! Je trouve cela très bien car je suis un défenseur de l’Europe et de sa culture (souvenez-vous de mon billet d’humeur, Vive l’Europe !) et je considère qu’un Français doit se sentir chez lui partout en Europe. Et au Portugal, c’est vraiment facile, car le décalage culturel est finalement très limité. C’est d’autant plus vrai que de nombreux Portugais ont passé leur vie en France, et que beaucoup parlent le français comme vous et moi. Et cela m’invite à terminer cet article par le sujet du guidage. Je sais, parce qu’ils me l’ont sou- vent dit, que les guides de France suivent mes articles avec attention. A la lecture de ces pages, ils doivent se demander s’il y a des possibilités de guidage sur place. Je réponds tout de suite : il y a de la place pour 50 guides français le long des côtes de l’Algarve ! Quand on connaît la densité de poissons, et qu’on ajoute à cela le fait que de nombreux retraités, souvent assez faciles à satisfaire en guidage, sont déjà sur place, on se dit qu’il y a quelque chose à faire. Guilherme, dont je parlais plus haut, guide les touristes pour des sorties en tout genre, depuis la pêche du tout- venant à soutenir jusqu’à la pêche du marlin. Et cela semble marcher très bien, alors même qu’il est parfaitement inconnu du monde halieutique français. Je pense que si des guides s’intéressaient au sujet, en sachant que l’afflux de Français ne peut qu’augmenter, il y aurait largement de quoi travailler. D’autant que, sous ce climat exceptionnel, on peut travailler 365 jours par an… Maintenant, je préfère quand même vous prévenir : au niveau de la pêche, c’est un autre monde, et il vous faudra probablement une année de prospection avant d’être opérationnel pour le guidage. Et deuxièmement, il faut un investissement important si vous souhaitez exploiter l’intégralité des possibilités de pêche, car on ne recherche pas les maigres, les thons et les marlins dans une petite barque. Je tenais à faire ces mises en garde, mais je pense qu’il y a vraiment de quoi faire un guidage exceptionnel. Voilà, vous savez tout. Alors, la région de l’Algarve sera- t- elle votre Eldorado ? Je suis sûr que certains y pensent déjà…