Poissons sauteurs et réglages de frein
Tous les poissons ne supportent pas les mêmes réglages de frein. La taille des prises ainsi que la rapidité naturelle de certaines espèces entrent en compte. Mais par dessus tout, ceux qui demandent le plus d’exigence et de méfiance sont les poissons saut
Un réglage de frein ne peut se comprendre que de manière globale par rapport à la puissance de la ligne utilisée. Ainsi, dans notre classement, il pourra être très fort, normal et plutôt léger. A titre d’exemple, sur une tresse de 80 lb, un réglage léger donnera 8 kg, la position normale sera plus ou moins à 10 kg et le réglage fort atteindra les 14 kg. Cela donne cependant une idée générale qui ne tient pas compte du poisson qui va mordre. Car pour parler de performance et surtout d’évi- ter les casses impardonnables, il est nécessaire de se pencher sur les spécificités des poissons recherchés. Les carnassiers à la nage lente et puissante comme la carpe rouge ou l’ignobilis peuvent encaisser des réglages très forts. Les poissons rapides, ceux qui possèdent des démarrages foudroyants demandent plus de retenue et un réglage dit « normal » passe bien. Reste la catégorie la plus exigeante, celle qui regroupe les poissons sauteurs, surtout lorsque le facteur poids est en plus à retenir, le réglage du frein devient alors la clé de la réussite. La position « réglage léger » est un critère de sécurité évident. Un test explicatif est simple à exécute : prenons une tresse d’environ 15 kg de résistance annoncée suivie d’un bas de ligne, et donc d’un noeud de raccord. En gardant ce fil dans l’eau, nous allons tirer progressivement. Cette ligne risque de casser aux alentours de 10 kg. Toujours en gardant la ligne immergée, nous allons cette fois tirer violemment, la casse va intervenir vers 7 ou 8 kg. Enfin, nous allons tirer énergiquement, en basculant le poids du corps en opposition, mais avec
le fil en dehors de l’eau. La rupture peut intervenir dès que les 5 ou 6 kg de résistance sont atteints. Avec les poissons, c’est identique. Pour un réglage sécuritaire il faut connaître tous ces possibles désagréments. Et quand le poisson saute souvent, très haut et qu’il est lourd, la prudence est de mise.
Le tarpon est le parfait représentant des poissons acrobates !
Le tarpon est un poisson que nous pouvons rencontrer dans l’Atlan- tique ouest comme aux Bijagos, au Gabon ou en Côte d’Ivoire, mais également dans l’Atlantique est comme au Mexique, au Nicaragua ou au Costa Rica. Sa densité n’est pas rare, mais sa prise reste un moment que nous n’oublions pas. Et quand la technique est la pêche au lancer et au leurre, il faut s’attendre à des moments de joie et de déception. Ce n’est pas une espèce facile à ferrer, les ratés font partie intégrante de sa quête. Ce n’est pas comme l’espadon voilier, un poisson ultrarapide. Il peut démarrer vite, mais cela reste raisonnable. La difficulté vient de ses multiples sauts qu’il exécute dès qu’il sent la piqûre de l’hameçon. Un tarpon qui saute, c’est un bond hors du commun. La bête se propulse entièrement au-dessus de la surface et donne en même temps un violent coup de tête, gueule grande ouverte, pour arracher les hameçons gênants. La même séquence filmée et repassée au ralenti montre la puissance de ces sauts et les monstres coups de tête qu’il donne tout au long de ce saut. En détaillant de telles images, nous comprenons qu’un tarpon puisse exploser aisément
une ligne. Très rarement, un tarpon peut ne pas sauter. Dans ce cas, il est amusant alors de voir que la bagarre est plutôt facile ! Le problème vient donc bien de ses bonds hors de l’eau. Parfois, un tarpon attaque un leurre à quelques petits mètres du bateau. Le danger physique d’une telle situation est un autre sujet. Je me contenterai de souligner que dans cet exemple assez commun, le fil va subir une pression incroyable avec un saut trop proche du pêcheur. Il n’y a pas la longueur nécessaire pour amortir le choc. Par le passé, les lignes utilisées étaient des Nylons, avec leurs défauts mais avec aussi la qualité d’être extensible. Le côté élastique peut jouer en notre faveur en atténuant les brusques changements de rythme. La tresse qui reste un fil rigide, indéformable, est nettement plus exposée à une casse. Nous retiendrons cependant que l’ensemble des qualités de la tresse surclasse largement celles du Nylon. Lorsqu’un tarpon va sauter, nous voyons l’angle du fil diminuer. C’est l’occasion d’accompagner ce saut en baissant le scion au niveau de l’eau afin de ne pas rajouter une pression inutile. Il ne faut surtout pas tenter de tirer en opposition avec le poisson au moment d’un saut. Cela ne sert à rien et la ligne peut casser plus facilement.
Pourquoi un poisson qui saute casse plus facilement une ligne ?
L’espadon voilier et le tarpon représentent bien cette catégorie d’adversaire à risque. Et la capture d’un tarpon sur une canne à lancer est un challenge excitant et accessible. J’entends souvent des pêcheurs s’exclamer : je viens de casser, le tarpon a dû retomber sur la ligne lors d’un saut. En fait, c’est possible mais rarissime. La vérité est que le réglage du frein était probablement trop fort par rapport à la réelle résistance de la ligne. Car avec un réglage doux, ce type de mésaventure ne se produit quasiment jamais ! En fin de combat, il est fréquent de constater que les derniers mètres de tresse sont couverts de mucus. Le poisson a donc bien touché la ligne sans pour autant la casser. Du moment que dans mes pêches j’ai la possibilité de ferrer un beau tarpon, je règle le frein de mon Stella plus léger qu’à la normale. Ce que je redoute, c’est une série de cabrioles qui va entraîner des changements de pression sur la ligne. Ces coups brusques et nerveux sont un piège. Et quand l’action éclate, il est trop tard pour tenter de modifier un réglage. La prudence est donc de mise. Il faut aussi imaginer que lorsqu’un fil est déjà usagé, ce qui est classique en action de pêche, le danger d’une casse est encore plus élevé. Au moment d’une bagarre tout le monde s’exclame sur un saut de tarpon. Mais l’oeil ne peut détailler l’ensemble de l’action. En revanche, un film ou des photos en série montrent bien la puissance de ces bonds. Le corps du poisson se cambre, se tord, la gueule est secouée violemment, bref, notre ligne doit encaisser une rude épreuve. Un poisson d’une taille identique, mais qui ne saute pas sera nettement plus facile à prendre qu’un tarpon. Car la tresse n’aura pas à subir ces multiples tensions.
Avant de toucher au frein, il faut soigner les noeuds…
Pour parler d’un réglage performant, il est obligatoire de pêcher avec un montage soigné. Car ce sont bien les noeuds qui font la résistance d’une ligne. Un noeud
de qualité médiocre ou un noeud normalement excellent, mais bâclé dans sa finition aura des conséquences identiques, à savoir déboucher à un moment donné sur une casse. Avec le tarpon, il ne faut pas hésiter à faire et refaire en cas de doute. Lors de mon dernier voyage, j’étais le préposé à la confection des bas de ligne. Deux types de noeuds sont en cause. Le raccord tresse/ Nylon et le noeud qui va fixer l’émerillon. Je commence toujours par le noeud d’émerillon. Ainsi, si je me rate, la longueur du bas de ligne ne sera pas diminuée. Je réalise pour cette opération un noeud de « pendu ». Avec seulement trois spires dans la boucle, c’est suffisant. Ma technique est de pré-serrer le noeud le long du Nylon puis de le faire coulisser en le poussant avec mes doigts. Quand il vient en butée sur l’émerillon, seulement à cet instant je le serre fortement. Ainsi le Nylon arrive droit sur l’émerillon, sans aucun coude. Un bas de ligne qui se termine en queue de cochon ne vaut rien du tout ! Une fois l’émerillon fixé, je demande au pêcheur la longueur de bas de ligne souhaitée. Je coupe et je m’attaque au noeud de raccord. C’est le plus important. Il existe un appareil qui délivre d’excellents résultats, mais je conseille à ceux qui choisissent cette solution de s’entraîner avant pour ne pas galérer au bord de l’eau. Personnellement, je réalise le noeud « japonais », une manière de faire qui m’avait été enseignée par Anthony Malgorn il y a bien longtemps. Un noeud qui ne diminue pas la résistance de la ligne. Ce noeud est totalement détaillé en 50 photos dans le n° Hors Série de la Pêche En Mer d’octobre 2017. Je n’ai jamais trouvé mieux depuis... Encore une fois, si ma confection ne me plaît pas, je donne un coup de ciseaux et je recommence. Avec le tarpon, pas de compromis !
Faire et refaire inlassablement les montages
La pêche des gros poissons demande plus de soin que de coutume. Même si une grosse bagarre se passe bien, il n’en reste pas moins que les noeuds vont travailler fermement. Surtout si en cours de combat, vous resserrez le frein. Le noeud de raccord va être sous tension extrême pendant un long moment. Une fois le poisson relâché, un coup d’oeil sur le montage ne va pas forcément montrer une dégradation. Nous pouvons même en déduire que s’il a tenu, c’est qu’il est bon ! Mais la réalité est différente. Ce noeud de raccord a beaucoup travaillé et la prudence veut qu’il soit refait. C’est au pêcheur de juger si le combat précédent a pu diminuer la résistance du montage. Parfois, un tarpon se rend sans trop de difficulté, dans ce cas, après un coup d’oeil sérieux au noeud de raccord, je reprends la pêche. Si la bagarre a été très aérienne et mouvementée, je préfère refaire cette connexion. Ce sont quelques minutes de perdues, mais au final bien des soucis d’épargnés. Il ne faut pas oublier également que la relâche du poisson peut avoir des conséquences. Le marin, aussi doué soit-il, va empoigner le bas de ligne. Le poisson ne va pas se laisser faire et forcément à un moment donné, le gant du marin va glisser jusqu’au noeud. La main va même profiter de cette minuscule protubérance pour bloquer ou tenter de bloquer le tarpon. Que le gant soit en néoprène ou de n’importe quelle autre matière, il va abîmer le noeud et parfois la tresse juste au-dessus du noeud. A la bagarre suivante, au moment de remettre un peu de frein, une rupture de la ligne risque de vous surprendre car elle ne paraîtra pas logique. Pour tous ces détails d’importance, je refais très régulièrement mon montage. Il m’est arrivé sur des matinées fastes de reconstruire intégralement trois ou quatre fois mon bas de ligne. Quant au noeud d’émerillon, il est très exposé à un autre problème : la gueule râpeuse du tarpon anéantit les plus gros Nylons. Même si je ne pêche qu’avec du 220 lb, la base de mon bas de ligne est constamment détériorée. Et une série de touches sans suite peut avoir également ce type de conséquence. Plus tard, au moment où le marin a le bas de ligne en main, le noeud va se resserrer terriblement. Et la résistance du Nylon va se retrouver affaiblie. Le réglage du frein ne provoquera pas la rupture de ce bas de ligne mais il faut voir ce point faible comme une excuse positive pour faire et refaire constamment son montage et soigner les noeuds concernés !