Pêche en Mer

Sparidés : A malin, malin et demi

- Texte et photos de Denis Mourizard

La saison des pêches de fond bat son plein. Daurades, sars, rayés sont à la côte et probableme­nt toujours aussi affûtés. Le pêcheur est très vite soumis aux exigences et aux manipulati­ons de ces poissons futés. Entrons ensemble dans le monde des fines gueules.

La particular­ité première des Sparidés est cette extrême sensibilit­é buccale dont ils disposent. Leur mâchoire dentée leur offre non seulement la capacité de saisir, de broyer ou d’arracher, mais également de ressentir absolument tout problème potentiel. Je crois qu’il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour faire le lien avec quelque chose que vous connaissez bien : vos propres dents. Vous pouvez facilement comprendre ce que des poissons ressentent lorsqu’un fil résiste ou lorsqu’un morceau de métal vient crisser entre les dents... N’oublions pas au passage que les Sparidés disposent d’une vision accrue, et s’alimentent bien souvent lorsque les eaux sont claires ( à l’exception des sars qui se moquent de la clarté de l’eau). Je ne fais cependant pas une généralité absolue quant à cette histoire d’eau claire, car il est tout à fait possible de prendre des Sparidés dans des conditions de visibilité plus douteuses... Les problémati­ques que nous avons donc à gérer avec de tels poissons sont nombreuses, et nous allons comprendre pourquoi.

Les erreurs à ne pas commettre

Avec les Sparidés le problème est très simple : soit tu me pièges, soit je te piège. Avec d’autres poissons, et notamment les prédateurs, la chose est rendue plus facile par l’instinct de prédation de l’animal. Une daurade sera contrairem­ent à cela, bien plus ancrée dans le contrôle d’elle-même et de ses perception­s de l’environnem­ent et de ses actes. Il en va de même pour tous les Sparidés, et d’autant plus si les conditions de pêche sont clémentes, ce qui nous intéresse ici. Nous n’avons donc droit qu’à un minimum d’erreurs, et je déclare ouverte la longue liste d’erreurs à ne pas commettre :

1. Être pressé : on peut toujours être pressé à la pêche, mais les Sparidés, plus que tout autre poisson, sauront nous rappeler que la nature prend son temps. La touche est le moment où l’homme pressé perd le plus de temps, à manquer 8 poissons sur 10. 2. Être incohérent : quand on veut pêcher des grosses daurades avec du 20/100, on est cohérent avec le fait que prendre une daurade de 500 grammes est réaliste. Pour celle de deux kilos, le choix manque brutalemen­t de cohérence... Dans la même veine, quand on pêche avec un couteau entier et un hameçon numéro 8, on est plus cohérent avec le fait de nourrir la daurade qu’avec celui de la piquer.

3. Être vaniteux : la vanité est un péché pour certains, mais un simple défaut pour le pêcheur. Se croire plus fort que le poisson quand ce qui nous relie à lui est un simple fil plus fin qu’une aiguille à coudre, ça a ses limites, vite atteintes. Cela peut fonctionne­r chez les novices, et étrangemen­t ça fonctionne beaucoup moins pour les spécialist­es.

4. Être fragile : j’entends émotionnel­lement... Quand un gros poisson est pendu au bout de la ligne, il faut être fort dans sa tête. Ne pas craquer, rester systématiq­uement au milieu, entre l’autorité et la diplomatie. On rend au poisson la ligne qu’il exige, mais uniquement celle qui nous semble raisonnabl­e. On règle le frein plutôt dur, parce que finalement nous sommes aux commandes ! Le but est bien de faire entrer le poisson dans l’épuisette.

Les zones de passage et de transit sont les principale­s qu'il faut cibler.

5. Être tête en l’air : quand on regarde le ciel, difficile de gérer ce qui est dans l’eau, et quand il s’agit d’une daurade, c’est bien de gérer une intelligen­ce dont nous parlons... Exit les moments d’inattentio­n, être concentré sur ce que l’on fait (nous et la daurade) est primordial. 6. Être trop confiant en la chance : disons le tout de suite, il n’y a aucune place pour la chance à la pêche, pas plus avec les Sparidés qu’avec d’autres poissons. Quand on est à la pêche, si le poisson a mordu, c’est qu’on a fait ce qu’il fallait, même si ce n’était pas prémédité. Aucune chance là- dedans, si on veut prendre des daurades, des marbrés, ou des sars, il vaut mieux se faire confiance.

7. Être lève tard ou couche tôt : arriver à 10 heures du matin sur le quai bondé et revendique­r une place c’est bien. Pousser les cannes des autres pour s’y installer, c’est bien aussi. Reconnaiss­ons néanmoins que cela conduit à certaines manifestat­ions extérieure­s qui nous détournent du vrai plaisir de la pêche. Ce vrai plaisir, c’est se lever avant l’aurore et se coucher après la lune, parce que les Sparidés aiment bien les premières et les dernières lueurs du jour. La daurade sera plutôt du matin, les marbrés seront plutôt de la nuit. Dans les deux cas, le lève tôt et le couche tard sont gagnants ! Nous en arrivons maintenant aux situations les plus courantes qu’il nous faudra gérer pour sortir vainqueurs des combats. Je les classe en trois catégories : avant le combat, pendant le combat et après le combat.

Avant le combat

Avant de sentir le poids du poisson dans la canne, il y a toute la phase d’installati­on et d’attente. Le choix du poste n’est pas le moindre des problèmes, car sur certains secteurs les poissons se touchent à quelques mètres près. Résumons la chose ainsi : sur une zone de nourrissag­e, autrement dit une zone où le poisson va stationner un temps pour se nourrir, on peut le trouver un peu partout. Si le fond est tapissé de moules, vous trouverez des daurades sur toute la zone. Sur une zone de transit, donc toutes celles qui séparent les zones de nourrissag­e, les poissons sont concentrés, ils avancent en ordre de marche, en banc compact. Si votre appât est dix mètres avant le couloir de passage, ou dix mètres au-delà, c’est fichu. Par contre, si l’appât est sur le couloir,

il sera pris, c’est quasiment certain. Je vous invite donc à repérer les fonds pour chercher les lignes de fond. Toutes les dépression­s du fond sont suivies par les Sparidés pour aller d’un point à un autre. Les sars sont un peu différents dans la mesure où ils vivent au contact de la roche, on devra donc s’en approcher si on veut les toucher. La pose de la ligne est aussi très importante. Tenez toujours compte qu’au moment même où le poisson va saisir votre appât, la quasi totalité de vos chances de le prendre est mise en jeu. Si le poisson sent la ligne, il recrache. S’il sent le plomb, il s’enfuit.Autant dire qu’il faut faire preuve d’engagement pour qu’à aucun moment le poisson ne sente de résistance. En même temps, il faut être capable de voir que la touche se produit... Il existe bien des solutions, que je ne développer­ais pas dans cet article. Les écureuils fonctionne­nt à merveille sur les marbrés. Pour les daurades, le fil coincé sous un élastique avec le pick up ouvert est aussi redoutable, s’il n’y a pas de courant. En cas de courant, veillez à plaquer la ligne au sol, à l’aide d’une contre plombée. Cela évite que la longueur de ligne soit sous la pression du courant, pression qui serait immédiatem­ent ressentie comme un poids par le poisson. Une fois que tout est en place, attendez, et restez attentifs.

De la touche au combat

A la première touche, on se rappelle que la patience est mère de toutes les vertus. La plupart du temps, le poisson qui a saisi l’appât s’en est emparé pour l’extraire de la convoitise de ses congénères. Il est fort probable qu’il l’ait croqué que très sommaireme­nt, et donc il peut le perdre ou le relâcher un instant. Si on ferre trop vite, on lui arrache de la gueule, c’est souvent ce qu’il se passe. Alors on attend patiemment la deuxième touche, celle qui sera durable. On peut éventuelle­ment ouvrir le pick up et regarder le fil se dérouler. C’est bon signe, surtout quand il se déroule à nouveau après s’être arrêté... Puis on referme le pick up, on laisse la ligne se tendre et à l’instant même où on sent le poisson, on ferre. Je précise qu’on ferre, on n’opère pas une extraction dentaire... On remarque très vite si le poisson est gros, au poids, mais aussi aux coups de tête. Alors le combat s’engage. On évite les positions de canne trop hautes, qui mettent le poisson sous une trop forte pression. On abaisse la canne, et on la fait travailler sur la flexibilit­é. C’est le flex de la canne qui combat, pas nous. C’est le bien fondé du pompage, faire travailler le nerf de la canne. Le pompage consiste à tracter le poisson, et on le fait len-te-ment. On est pas pressé, à condition de toujours maintenir la ligne sous tension. Si le poisson accélère, on laisse partir jusqu’à ce que le frein commence à ralentir. A ce moment, on resserre progressiv­ement le frein pour augmenter progressiv­ement la résistance, et ainsi fatiguer le poisson en douceur. Sauf à pêcher avec du crin d’acier, on arrête pas une grosse daurade avec les techniques et le matériel habituelle­ment employé sur nos côtes... mieux vaut rester humble, et stratège, pour qu’enfin le poisson arrive jusqu’à l’épuisette.

Après le combat

Le combat s’arrête une fois le poisson dans l’épuisette, et pas avant, surtout avec une daurade. Là seront les derniers conseils précieux, car croyez-le, les dernières secondes sont parmi les plus périlleuse­s. Si les poissons pris en plage s’échouent tranquille­ment sur le sable, ceux combattus à partir d’une digue ou d’un quai sont nettement moins enclins à quitter leur élément. Il faut une épuisette pour les sortir de l’eau, et l’épuisette, ils n’aiment pas ça ! Disons plutôt que plus que l’épuisette, ce sont les mouvements de l’épuisette qui les effraient. Ce conseil s’adresse donc à ceux qui auront l’insigne honneur d’honorer leur collègue d’une prise bien méritée, ou d’un choux blanc... Ce n’est jamais l’épuisette qui va au poisson, mais le poisson qui est amené dans l’épuisette. Après tout, c’est bien le pêcheur qui doit faire le travail, et il ne faudrait pas qu’il compte sur quiconque d’autre que lui même pour conclure ce boulot. Alors tranquille­ment le poisson est amené au-dessus du filet, et une fois ceci réalisé, l’épuisette est relevée. Ainsi le poisson est au sec et les yeux du pêcheur peuvent pleurer, mais de joie !

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 ??  ?? Les gros sars sont surtout de plage, mais la présence de roches ou de galets est conseillée.
Les gros sars sont surtout de plage, mais la présence de roches ou de galets est conseillée.
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L’oeil du poisson en dit long sur sa capacité à piéger le piégeur, mais parfois ça ne suffit pas.
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Pick up ouvert, la garantie d'imposer aucune résistance au poisson.

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