Pedale!

Sylvain Chavanel.

- PANORAMIC, PHOTOS: SPORTS COLOMBIERS / PRESSE POURPÉDALE!ET À RIOU, VINCENT PAR BOUCHEZ RENAUD

Dix-neuf ans à s’échapper, montrer le maillot et, régulièrem­ent, lever les bras à la fin. Le tout à la pire époque du cyclisme pour le faire. Et si la carrière de Sylvain Chavanel avait été un exploit permanent?

Sylvain C havane le st monté sur un vélo profession­nel juste après l’ affaire Festin a, et il en est descendu 19 ans plus tarda lorsque laSky écrasait le peloton. Des années noires qu’ il a traversé es à l’ attaque, avec son visage impassible et ses airs de statue grecque. Résultat? “Dites C havane là quelqu’ un qui connaît pas trop le vélo, çainterpel­le.”

Le vélo, pour les Chavanel, comme souvent quand on parle de cyclisme, c’est une histoire de famille?

Mon père a couru en première catégorie dans les années 70. Il a arrêté quand il a connu ma mère, mais quand on était gamins, il a repris à petit niveau. Il ne s’entraînait pas, il allait aux courses comme ça, pour se faire plaisir, et il nous emmenait. À la buvette, on récupérait des capsules de bouteille. À l’intérieur, on mettait un numéro, un nom, on traçait dans le sable un parcours, des tunnels et tout, et on faisait la course, chacun avec son champion: Chiappucci, Rominger, Bugno, LeMond, Fignon. C’était génial.

Et avec les frangins, vous vous mettez aussi à pédaler pour de vrai.

Oui, et on se tire la bourre. On sortait les vélos quasi tous les jours, on mettait des plots dans la rue, on traçait une ligne à la craie, et on faisait des courses… On utilisait même le jet d’eau pour faire des arrivées sous la pluie, façon Paris-Roubaix. Mon père était pas content, ça faisait monter la facture. On mettait l’autoradio sur le mur, pour faire car-podium, avec un frangin qui faisait le speaker. Des trucs d’enfants, quoi. Et puis le mercredi et le dimanche, mon père nous emmenait au Vélo Club Châtellera­udais, le VCC. Mes parents m’ont payé un vélo de course quand j’étais en minimes, 500 francs à l’époque.

C’est un budget, le vélo, quand on a six gamins à la maison.

C’est sûr, c’est pas le foot où le club fournit l’équipement! On a eu des épisodes difficiles, à avoir du mal à finir les fins de mois, devoir se faire aider par des assos pour manger, comme toutes les familles modestes… Ça fait partie de ma constructi­on, je connais la valeur des choses. Et bon, avec le bouche-à-oreille, on arrivait toujours à trouver du matos, ou à s’en faire prêter. Il restait l’essence à mettre pour aller sur les courses. On partait avec quatre vélos sur le toit de la R20. Frédéric, Sylvain, Sébastien, Bertrand, on a tous fait du vélo, et ensuite Cyril et Céline aussi, les derniers. Le meilleur souvenir, c’est quand mon père a réussi à trouver un boulot en CDI, après avoir fait plein de boulots, chauffeur routier, tourneur fraiseur, pas mal d’intérim. Là, grâce au comité d’entreprise, on a pu partir en vacances pour la première fois. À Orcières-Merlette, dans les Alpes. C’était en 1996, j’étais en cadets 2. On était huit dans la R20, les vélos sur la galerie, et les bavettes qui touchaient dans chaque virage. On était tombés en panne d’essence, à chercher une station en roue libre. Mon petit frère Bertrand, il a fait tout le voyage dans le coffre, calé entre les valises. Sept heures sans pouvoir bouger, le Trand-ber! Mais c’est des bons souvenirs. Famille nombreuse, famille heureuse, quoi.

Tu prends ta première licence en minimes. Tu es fort dès le début?

En première année, je prenais des branlées tous les week-ends.

Il y avait trois, quatre filles par course et c’est elles qui me ramenaient, me protégeaie­nt du vent. Moi je pétais dès le départ, je prenais un, deux tours par les premiers. À cet âge, la différence entre les gamins, c’est uniquement le physique: celui qui fait 1,80 m à 13 ans, fatalement, il sera devant. Frédéric, l’aîné, il gagnait 14-15 courses par an parce qu’il était déjà grand, balèze, fort au sprint.

Avec le recul, je suis content d’avoir connu la difficulté en débutant, ça m’a forgé un caractère. Et puis quand je pédalais, les gens disaient: ‘Il a un truc le gamin, il bouge pas sur son vélo.’ C’est pas pour me jeter des fleurs, mais j’ai toujours dégagé quelque chose dans l’attitude, la gestuelle, une fluidité, une certaine prestance. Même à cette époque, où on m’appelait ‘rase motte’. Ça, c’est inné.

À quel moment tu te dis que faire carrière dans le vélo est une ambition réaliste?

Direct, j’ai aimé l’odeur de la pommade, se masser les jambes, l’ambiance, je suis devenu accro. Mon père m’encouragea­it, il m’emmenait rouler, me conseillai­t. À 14-15 ans, je savais que j’allais être pro, mais je ne sais pas pourquoi. C’était en moi. Je n’avais aucun doute là-dessus. En juniors 1, je gagne SainteMaur­e-Joué, la Châtaigner­aie. Deux gros numéros à taper dedans comme un bourrin, à laisser tout le monde sur place. Tu marques les esprits, et c’est parti: premières sélections France, je performe un peu, troisième d’un Tour de Lorraine notamment, en brillant sur le chrono.

Tu vas finir ta formation au Vendée U, pour ta première année espoir, en 1999. C’était l’endroit idéal?

À cette époque, c’était l’équipe phare, qui écrasait tout. Ma première course, c’est les Plages Vendéennes, bordure, le Vendée U fait tout péter. On finissait souvent à plusieurs de l’équipe en tête, donc il fallait désigner un vainqueur, et moi, je passais après les mecs qui étaient là depuis longtemps, je faisais 4, 5, 6, ‘le jeunot il ne va pas nous casser les couilles!’ Mais j’étais pas le dernier à rouler alors à un moment donné, ça m’a cassé les pieds. Un jour, à Saint-Jeande-Monts, le capitaine de route me dit: ‘Tu vas faire 3 aujourd’hui.’ Je me suis mis derrière en pensant: ‘Ils vont pas me faire chier longtemps’. J’ai attaqué tout seul, et j’ai gagné. Ils étaient dégoûtés. Il s’en souvient encore, JR (JeanRené Bernaudeau, ndlr). Il voyait que j’avais les dents longues, j’étais à l’attaque tout le temps, un fonceur. À la ville, réservé, timide, discret, mais sur le vélo, tout le contraire. J’étais foncièreme­nt libre, à foutre le bordel. C’était mon moyen d’expression.

Tu passes pro l’année suivante, en même temps qu’un autre grand espoir du vélo français, Fabrice Salanson. Et vous devenez inséparabl­es.

En juniors 1, quand j’avais gagné en solitaire à la Châtaigner­aie, il avait cherché à revenir, sans succès. On a sympathisé sur le podium. À Vendée U, on est devenus hyperproch­es. Quand on a construit cette maison (vers Châtellera­ult, où il vit toujours, ndlr), il est venu m’aider, c’est lui qui a creusé cette terrasse à la pelle. On se voyait faire équipe ensemble toute notre carrière. Fabrice, je suis persuadé que c’était un coureur de classique: un grand gaillard, mais affûté un truc de fou, taillé un peu comme Van Aert –je pense à Salanson dès que je le vois. Du caractère, gros fonceur. Malheureus­ement, le pauvre est décédé en 2003, arrêt du coeur. Mon frangin Sébastien partageait sa chambre sur le tour d’Allemagne. Il est parti au petit-déjeuner, et quand il est remonté Fabrice était par terre, entre les deux lits… C’est la vie. On a tous perdu des êtres chers.

Mais tu as eu du mal à digérer la façon dont sa mort a été traitée par les médias.

Au lieu de rendre hommage au champion, à l’espoir qu’il était, ils ont insisté sans preuve sur les travers du vélo, à faire un rapprochem­ent avec le dopage. Alors OK, c’étaient les années noires, et mourir à 24 ans d’un arrêt du coeur, c’est pas commun… Mais ça arrive, et pas que dans le sport, malheureus­ement.

Ta première course en pro, c’est la Marseillai­se, et tu te retrouves à côté de Richard Virenque. Tu te dis quoi quand tu le vois?

C’est son grand retour chez Polti, après l’affaire Festina. Il avait été hypermédia­tisé, avec les Guignols et tout. ‘Oh putain, c’est lui.’ Tu regardes comment il est fait, ‘tiens, il a un tatouage sur le mollet’. Je suis impression­né mais j’idolâtre pas, je regarde ça avec les yeux de celui qui était spectateur et qui se retrouve acteur.

Toi qui rentres dans le métier, tu le vois un peu comme le diable, comme le responsabl­e de la mauvaise image du vélo?

Je suis tout jeunot, ça me passe au-dessus de la tête, franchemen­t. Après, j’ai conscience qu’il y a eu de sérieux débordemen­ts. En amateur, il y avait déjà eu des mecs dans mes catégories dont on disait qu’ils étaient chargés. Mais s’il n’y a pas les preuves, tu vas pas te pointer devant un mec et dire: ‘tu te fous pas de ma gueule?’ Festina, c’était bien que ça explose. Après, que Virenque soit le bouc émissaire… Si le système était généralisé, que tout le monde faisait la même chose… Quand je suis à côté de lui, je pense pas à ça en tout cas ; je suis dans ma course, prêt à dégainer, à attaquer. Et Virenque aussi, je crois. Derrière, il a fait quelques belles années.

Il va même claquer en 2001 la course qui te révèle en 2000, justement: Paris-Tours. Sauf que lui, il n’a pas fait une fringale!

Avec l’expérience, je n’aurais pas fait cette erreur non plus! J’avais fait 217 bornes en échappée avec un temps pourri. Je mangeais régulièrem­ent –toutes les 20-30 minutes– mais avec le froid et la pluie, je dépensais deux fois plus d’énergie. Faut quand même avouer que j’en ai fait un paquet, des fringales, jeune surtout. C’était ma hantise. Je me rappelle un Grand Prix de Zurich où je fais exploser la course, je peux faire podium facile, mais les 5 derniers kilomètres, j’étais à 20 km/h. Le directeur sportif derrière m’encouragea­it, et moi: ‘ferme ta goule, j’avance plus!’ Quand t’es pris par une fringale, t’as plus de son, plus d’image, c’est terrible.

Comment t’expliques que tu y aies été autant sujet?

Déjà, j’ai un corps qui transpire beaucoup. Aux premières chaleurs, par exemple, je suis cuit. Et puis au niveau cardiaque, je tape très haut –encore aujourd’hui, à 42 ans, je monte à 193 pulsations, et en juniors, je montais à 212. Donc tu tapes plus dans le sucre que dans les graisses, et tu es plus sujet aux fringales.

Reste que ce Paris-Tour 2000 te fait connaître du grand public. Vu ton avance, les moyens techniques ne permettent pas de montrer la tête de course et le peloton…

Donc pendant deux-trois heures, c’était que du Chavanel à la télé, sans casque et sans lunettes à l’époque! Il y a eu un avant et un après, d’un point de vue de la notoriété. J’étais monté jusqu’à 33 minutes d’avance. J’ai connu dans ma carrière quelques échappées historique­s. En 2006 sur le Tour, j’étais de celle qui avait pris jusqu’à 27 minutes au peloton, je crois

(29 minutes 57 secondes même, ndlr) avec Quinziato, Jens Voigt et Pereiro qui gagne le Tour grâce à ça. Ça, c’est inimaginab­le, aujourd’hui. Le peloton ne laisserait jamais autant d’avance aux échappés. Baroudeur, c’est devenu un métier précaire, qui se perd.

Quand tu fais ton premier Tour en 2001, c’est Christophe Moreau, un ancien de Festina lui aussi, qui gagne le prologue. Tu te dis quoi, à l’époque? Que le mec est bien le plus fort, sans prendre de produits?

Comme je suis le benjamin du Tour, au départ à Dunkerque, c’est moi qui lis devant tout le monde la charte de l’éthique, au micro… Avec le recul, quand on sait ce qui s’est passé dans la décennie 2000, je me dis que certains ont dû se marrer, qu’on s’est bien foutu de ma gueule. On s’est servi de moi, de mon image ‘propre’, et je le dis franchemen­t, j’en ai profité aussi. Chez Cofidis, avant que je signe, ils avaient eu leur affaire de dopage, donc ils prennent le petit jeune, populaire et sans casseroles. Chez Quick Step, ils me signent après l’affaire Tom Boonen, avec la cocaïne…

Lefevere, de la Mapei à aujourd’hui, il n’a pas toujours eu la meilleure réputation…

Je sais bien… À un moment donné, c’était la norme, puis les choses ont évolué dans le bon sens, heureuseme­nt. Même si dans le milieu, il y a encore des gens qui me dérangent par rapport à leur passé, des anciens coureurs devenus directeurs sportifs, qui veulent donner des leçons. Vinokourov… ou Bjarne Riis, tiens. Peut-être qu’il a des qualités dans la transmissi­on, dans la stratégie, peut-être qu’il a tourné la page, mais tout le monde n’a pas non plus eu une ligne de conduite exemplaire…

Tu en as souffert, concrèteme­nt, de la mauvaise image des cyclistes dans le grand public?

Sur les premiers Tours de France, combien de fois on s’est pris dans la gueule des ‘tricheurs!’ Même à l’entraîneme­nt, les voitures qui te rasent, ‘bande de dopés!’

Mon père nous avait prévenu des dangers, inculqué des valeurs: ‘gagner si l’on triche ça ne vaut rien, tu te bats tout seul.’ En première catégorie, il avait connu les mafias et ça ne lui plaisait vraiment pas. Se partager à l’avance les primes en jeu, ça fausse complèteme­nt la course, c’est prendre le public pour des gogos. Moi, j’ai la chance d’être tombé au bon endroit, avec Bernaudeau, des gens sains. C’est compliqué de jouer les censeurs ou les donneurs de leçon, chacun a son histoire.

Et si tu tombes dans une équipe avec des

pratiques limites, où l’on triche, ce n’est pas évident de savoir comment réagir, si tu n’es pas bien entouré… Un Pantani, c’était pas un mauvais type, mais il a croisé les mauvais, des gens pas fréquentab­les, qui ont profité de lui, et il est tombé dans un engrenage.

Mais toi qui as couru pendant les années Armstrong, tu avais bien des doutes, dans ton for intérieur?

Tu évites d’y penser, mais ça finit par revenir, toujours, parce que les performanc­es, tu te les prends dans la gueule. Armstrong dans les Pyrénées, comment il m’a déposé (lors de la 15e étape vers Luz-Ardiden, lors de laquelle Chavanel s’était échappé, ndlr), on voit bien que c’est pas le même coup de pédale. Ce jour-là, Vinokourov, Basso, Iban Mayo, ils étaient tous à vouloir faire péter Armstrong, qui en plus tombe. Ça l’a rendu encore plus agressif. Quand il est revenu sur moi, s’il avait eu une mitraillet­te à la place des yeux, j’étais mort.

À Cofidis, sur le Tour 2007, tu as vécu l’humiliatio­n d’une ‘affaire’.

Col d’Aubisque, je passe la ligne et le manager de l’équipe

Eric Boyer me dit: ‘Il y a un problème’. Au bus, tout le monde fait la gueule. ‘Y a Moreni, positif à la testostéro­ne, on va à la gendarmeri­e de Pau.’ On part avec l’escorte des gendarmes,

“C’est pas pour me jeter des fleurs, mais j’ai toujours dégagé quelque chose dans l’attitude, la gestuelle, une fluidité, une certaine prestance”

on voit les voitures et les camions Cofidis, tous désossés. On rentre ensuite à l’hôtel dans les bagnoles des gendarmes, gyrophares à fond. J’étais avec Bradley Wiggins, on rigolait à moitié. Il y avait des flics partout.

Ils cherchaien­t un dopage généralisé. Ils ont ouvert tous mes boîtiers DVD, vidé les tubes de dentifrice, les parfums, pour voir si y avait pas des ampoules, on était dans un film… Finalement, Cofidis n’a pas été expulsé mais le mal était fait, on avait été ciblés, donc ils ont décidé d’abandonner. J’étais dégoûté, je me revois encore dans mon Alfa de location, rentrer chez moi. J’ai écouté à la radio l’étape d’Angoulême où Casar tape un chien qui traverse la route (et gagne, ndlr). C’était ma région, je l’avais cochée, celle-là. C’était l’avant-veille de Paris, je crois, j’étais 21 ou 22 au général.

Tu as souffert de la dimension intrusive et contraigna­nte des contrôles?

“J’allais m’entraîner l’hiver à poil, je mettais les gants que s’il faisait moins de trois degrés. Je m’endurcissa­is exprès, j’avais des crevasses sur les mains”

Il faut être tous les jours à un endroit donné pendant un créneau d’une heure, jamais à moins d’une heure en cas de visite inopinée. Si c’est numéro inconnu, t’es pas obligé de répondre, mais je me suis fait avoir deux, trois fois: ‘C’est le contrôleur.’ Une fois, j’étais sur un cyclocross à Tours, on était en camping-car, je suis arrivé tout juste… Et puis bon, quand t’es en vacances, que tu dors dans ton campingcar chez des amis, et que ça frappe à 8h…

Si tu comptes les tests en course, à domicile, le suivi fédéral… pour moi c’était entre

15 et 20 contrôles par an, quoi. Mais c’est nécessaire. Sinon, tu auras toujours des tricheurs.

Armstrong, tu as des souvenirs personnels avec lui?

Non, il arrivait au dernier moment sur la ligne de départ, personne ne l’approchait. Et moi, j’allais pas rouler à côté de l’US Postal. Soit j’étais dans l’échappée, soit j’étais au cul du peloton. Mais il m’a toujours salué, dit bonjour, Lance, le marcheur de la Lune. Le film sur lui, je n’ai même pas voulu le voir, c’est des coups à vivre dans le passé, je veux pas remuer ces choses, à me dire ‘j’aurais pu ou du gagner une course de plus’. Si tu commences à refaire les classement­s, en sachant ce que l’on sait, c’est les dominos, c’est sans fin. J’ai fait 5e et meilleur jeune d’un Paris-Nice que Vinokourov gagne, en 2003. Je leur mettais des sacs dans le col d’Èze, j’étais content. Je préfère me souvenir que j’ai animé la course et que je leur ai fait mal à la gueule.

Tu racontes dans ton livre que pour essayer de rivaliser avec les meilleurs dans les grands Tours, tu t’étais infligé des régimes alimentair­es drastiques, qui se sont avérés contre productifs…

Quand tu cherches à t’améliorer, tu te compares aux gars qui sont vraiment maigres et tu fais comme eux, c’est un peu du mimétisme. Je faisais les sacrifices pour gagner dans le rapport poids/puissance

et briller en haut des cols, quand ça monte fort et longtemps. Et en réalité, tu peux même mettre ton corps en danger parce que t’es pas en bonne santé! J’ai toujours été lourd par rapport à ce que je dégage visuelleme­nt. Quand je suis passé pro, je faisais 71,5 kilos. Et pour mon dernier tour de France, j’étais affûté, mais je faisais 74 kilos –j’ai pris de la masse musculaire, deux centimètre­s de tour de cuisse, de la cage thoracique aussi à force d’être en hyperventi­lation. Alors je descendais à 72,5 en faisant beaucoup de sacrifices, à ne plus manger ou presque, des carottes râpées et des tomates, c’est tout, à s’entraîner à jeun, des trucs à la con.

Tu estimes que ces sacrifices n’ont pas eu la reconnaiss­ance qu’ils méritaient?

Quand je finis cinquième au Ventoux (sur le Dauphiné 2006, ndlr), j’attaque dès le pied, avec des mecs comme Leipheimer, qui était à l’US Postal. J’étais dans une forme excellente mais on s’en fout du cinquième. Un mec qui vise le top 10 d’un général, tu n’imagines même pas les sacrifices qu’il fait, et qui s’en souvient, finalement? Moi, on m’a mis une étiquette ‘Tour de France’ dès le début de ma carrière, mais en réalité, j’ai jamais voulu faire le général à tout prix. Ou disons qu’à un moment donné, tu baisses les bras, parce que tu réalises que c’est impossible, t’as l’impression de ne pas jouer dans la même cour… On était la génération soi-disant ‘plus blanc que blanc’, mais j’ai été barré par beaucoup de mecs qui trichaient. Alors tu laisses les autres te taper dessus. Heureuseme­nt, j’ai ensuite carrément changé de profil, je me suis concentré sur les courses d’un jour qui correspond­aient plus à mes capacités, à mon gabarit, où c’était plus facile pour moi. On m’a mis assez vite cette étiquette de baroudeur, j’étais tranquille…

Pourquoi tu aimais autant barouder?

Dès les amateurs, j’ai compris que si je voulais gagner, il fallait que je m’échappe. Donc parfois dès le kilomètre zéro, poum, et je faisais toute la course devant, je faisais des numéros, quoi. J’ai toujours été élevé dans cette idée de l’effort solitaire. Et puis j’étais capable de briller sur des montées pas trop exigeantes et de régler des sprints en petit comité. Ni pur sprinteur, ni pur grimpeur: un baroudeur, quoi. En vélo, ce n’est pas la meilleure des qualités, la polyvalenc­e. Mais dans la génération que j’ai connue, ça m’a permis de ne jamais connaître le fond du trou, de sortir la tête de l’eau et de lever les bras parfois, malgré le contexte.

Il y a un petit côté maso à partir comme ça, non? À se faire mal en ayant si peu de chances de lever les bras à la fin. Ouais,

faut pas s’aimer. (rires) Mais faut bien aller chercher la baguette, hein! Dans le peloton, tu te fais chier aussi, c’est un peu monotone, je ne suis pas un fonctionna­ire du vélo. Je préférais partir au suicide sous un temps de merde avec vent de face que de passer une journée tranquille au chaud. Je revendique une certaine forme de romantisme dans mon rapport au vélo: ‘laissez moi respirer’, quoi, c’est tout… Si tu cours pour t’accrocher et faire des placettes, je vois pas l’intérêt.

Certains coureurs disaient aussi que t’étais un bon bluffeur.

C’est à cause de ma prestance sur le vélo: quand je souffrais, ça ne se voyait jamais sur mon visage ou dans ma manière de pédaler, je ne me déhanchais pas. Il y a des directeurs sportifs qui se faisaient avoir comme ça, ils pensaient que j’étais bien alors que j’étais à la rupture. Et à l’inverse, avec les caméras, les mecs disaient aux adversaire­s ‘attention à Chavanel, il est bien’, et je pouvais pas bouger. À chaque fois, je me suis fait baiser: j’étais beau sur le vélo, mais ils accéléraie­nt et je passais par la fenêtre. C’était pas du bluff. Pour gagner des courses, ou faire un résultat, il fallait que je sois dans une forme excellente, parce que j’avais la pancarte. Quinziato par exemple, il en avait que pour Chavanel. Combien de fois j’ai eu les Liquigas sur le cul, ils m’ont fait chier! On jouait beaucoup avec moi, mais c’est ce que j’adore sur le vélo. Perdre, ou ne pas gagner disons, ça reste juste un résultat sportif, t’es avant tout là pour t’éclater ; le lendemain quoi qu’il arrive, c’est une page blanche. Si j’ai un regret, c’est de ne jamais avoir fait le doublé chrono-course en ligne aux France. En 2010 (13, en fait, ndlr) je passe très près. Le chrono, je l’avais écrasé, et j’ai perdu sur route à cause de Gallopin.

Comment ça?

C’est Vichot qui gagne, alors qu’il était échappé toute la journée. Normalemen­t, on aurait dû le battre. On est tous les trois devant, je passe mon relais, Gallopin dans ma roue, je m’écarte, et il veut pas relancer. Vichot attaque là, sous la flamme rouge. Je dis à Galopin, ‘Vas y, je peux plus’, je venais de rouler –bon, je jouais un peu avec lui, j’en avais encore un peu–, et il a pas lâché le morceau, il n’y est pas allé. Faut pas jouer avec moi. J’ai pas peur de perdre. Donc j’arrête de pédaler, je le regarde, et j’ai pas baissé mon pantalon. Il y va, je suis, il me demande le relais, ‘Je peux pas’. T’as joué, t’as perdu. Au final, je le bats aisément au sprint, Gallopin, et j’arrive au cul de Vichot qui lève les bras.

Quand tu fais le choix de la Quick Step, en 2008, c’est aussi parce que la pression du leadership dans une équipe française te fatigue?

En gros, oui. Être leader à 100%, c’est dur, et vues les suspicions que j’ai vis-àvis de certains, je me dis que je ne suis pas en capacité de rivaliser. Avant la propositio­n de Lefevere, Alain Deloeuil, responsabl­e du groupe classiques chez Cofidis, disait déjà depuis quelques années: ‘Chavanel, faut le mettre sur les courses belges, avec Nick Nuyens.’ Nuyens était avec moi chez Cofidis, et c’est lui qui me baise en 2011 sur le Tour des Flandres, quand je suis chez Quick Step!

Ce qui est fou, c’est qu’un monument t’échappes de peu, et t’as l’air d’avoir aucun regret. Tu n’exprimes aucun dépit?

Peutêtre que je prends tout ça trop à la légère… Au fond de moi, j’étais content de faire deuxième, mais je ne pouvais pas le montrer

“Je préférais partir au suicide que de passer une journée tranquille au chaud”

non plus, parce que chez Quick Step les places de 2, de 3, de 4, on s’en fout.

Y a quand même un petit déficit d’ambition personnell­e, non?

Peut-être, oui, après toutes ces années à voir la différence avec les meilleurs et à devoir l’accepter…

Mais un monument au palmarès, ça te fait changer de statut pour la postérité. Tu t’en fous, de ça?

Je ne sais pas, je n’étais pas trop attaché à ça à l’époque… C’est mon caractère, c’est comme ça. T’en as qui n’aiment tellement pas perdre qu’ils sont prêts à tout pour gagner, moi non. Depuis que j’ai commencé le vélo, à 12 ans, j’ai couru en tout 650 000 bornes, dont 1 600, 1 700 jours de course en pro. Et j’en ai claqué une cinquantai­ne. Donc tu apprends plus à perdre qu’à gagner.

Lors de ta dernière année chez Cofidis, tu remportes en quatre jours, en solitaire, À Travers les Flandres et la Flèche Brabançonn­e.

Là, je fais deux numéros sous la pluie, un froid glacial, deux ou trois degrés, gelé sur le vélo. J’ai battu Quick Step sur son territoire, je pense que c’est là que Lefevere se dit ‘bah, celui là’. En 2004, déjà, j’avais gagné les 4 jours de Dunkerque et dans la foulée le Tour de Belgique, le général et une étape à chaque fois. Entre les deux, je m’étais marié! Le Nord et la Belgique m’ont toujours réussi: je suis champion de France sur route à Boulogne-sur-Mer, je gagne à Spa sur le Tour de France. C’est bizarre, non?

Tu aimais particuliè­rement les conditions météo dantesques.

C’est devenu quasi systématiq­ue de s’entraîner dans des endroits où il fait toujours beau et doux. Du coup les coureurs ne savent plus gérer les conditions un peu extrêmes. Moi, quand j’allais m’entraîner l’hiver, les voisins se disaient ‘c’est un taré, lui’ ; j’y allais à poil, je ne mettais les gants que s’il faisait moins de trois degrés. Sinon, jamais, je m’endurcissa­is exprès, j’avais des crevasses sur les mains. Je faisais des trucs de baisé. Sur Paris-Nice, on a souvent croisé la neige, eh bah le seul blaireau dans le peloton qui n’avait pas froid, c’était moi. À Milan-San Remo, en 2013, tout le monde était content quand il a d’abord été annoncé que la course serait annulée à cause de la neige, mais moi, j’étais dépité, ‘Oh non, c’est trop bien ces conditions, on va se faire mal, quoi’. Bon, la course a finalement été réduite de 50 kilomètres, et c’était vraiment épique, l’apocalypse. On s’était échappés à trois dans la descente de la Cipressa, puis ensuite, on a passé le Poggio en tête avec Stannard, mais on s’est fait reprendre… et je suis tombé sur plus fort que moi au sprint (Ciolek l’emporte devant Sagan et Cancellara, ndlr). Mais bon, sur un malentendu, ça aurait pu sourire… Et grâce à cette place, j’ai quand même eu la satisfacti­on d’être numéro un mondial.

Lefevere, il t’approche comment? Par Johan Molly, un masseur à Quick Step, qui lui servait de ‘scout’. Il savait que Lefevere aimait bien les Français –Vasseur, Virenque–, il avait vu à Cofidis que j’étais capable de faire des numéros sur des classiques. On s’est retrouvé avec Patrick dans un café pendant une journée de récupérati­on sur le Tour de France. Je lui raconte que j’avais le cuissard à carreaux colorés Mapei pendant mes années juniors. Ça l’a fait marrer. Patrick, je l’adore, jamais vu un manager aussi bon et aussi proche de ses coureurs. Il y a eu un article sur

lui dans L’Équipe où il me cite comme ‘atout coeur’. Ça m’a touché.

Assez rapidement, tu prouves ta valeur en participan­t activement aux victoires de Boonen…

J’étais bien dans ce rôle. J’ai jamais été égoïste, j’étais loyal. Moi, je suis fidèle, en amitié, en amour, en famille. Les premières années, il y avait des petites polémiques, ‘Chavanel est pris pour un larbin’, laissant entendre que je n’avais plus d’ambition, qu’on se servait de moi. J’ai pas eu cette impression. J’étais équipier de luxe, ou disons deuxième ou troisième leader: il y avait des courses où je jouais la gagne, des classiques, et même Paris-Nice, où j’ai fait 3e (en 2009, ndlr).

À Quick Step, dans le scénario de certaines courses, notamment ce Tour des Flandres 2011, on se dit qu’ils n’ont pas toujours été loyaux, si? Ou peut-être qu’ils préféraien­t voir un Belge gagner…

Au Tour des Flandres, je fais l’éclaireur, j’attaque pour faire une première sélection, et ça explose. Je fais un numéro, je suis devant, forme excellente.

Sauf que Boonen attaque derrière moi dans un mont, donc il excite les adversaire­s, ça c’était pas très loyal. À trois bornes de l’arrivée, on est groupés. Je me retourne, je vois que Cancellara prend son élan, donc j’anticipe, il met un sac et je chope sa roue au millimètre, je m’assois sur le cadre, et Nuyens aussi s’accroche. On sort à trois. Juste avant l’arrivée, tu as un virage à droite, j’entends à la radio que ça gueule, que Boonen attaque pour rentrer sur nous, je me retourne pour voir où il se situe, s’il est loin, si je l’attends. J’avais fait 80 kilomètres seul, dans la voiture, pour eux, j’avais perdu. Mais je vois pas Boonen, donc je me reconcentr­e sur le sprint. Cancellara met un petit coup de coude à Nuyens, qui dévie vers la droite, me pousse dans les barrières, je mets un coup de frein, et je perds de rien. Un sprinteur habitué à frotter n’aurait probableme­nt jamais freiné et aurait gagné. C’était rageant.

T’avais déjà fait la course devant sur les Flandres lors de ta première année chez Quick Step, et là, c’était un coéquipier qui était revenu sur toi…

Je m’étais fait arranger par Devolder, pas très fair-play. Il avait joué sa carte perso, il était en fin de contrat. Il voulait pas que ça parte, il relançait tout le temps derrière en s’en foutant d’en ramener d’autres avec lui. Finalement, je me fais avoir. Je finis 17 ou 18e avec le groupe. Moi, si c’était pas pour le podium, je sprintais pas. Le sponsor était désolé pour moi, il m’a pris entre quatre yeux, ‘je suis déçu, j’aurais préféré que ce soit toi’. Et ça, c’est beau…

Le sprint, c’était la spécialité de ton frère Sébastien.

Il a fait une belle petite carrière –à battre Cavendish à sa grande époque, ou faire gagner Nacer Bouhanni sur le Giro– mais en gérant différemme­nt, il aurait pu faire encore mieux. Disons qu’on n’est plus à l’époque de Sean Kelly, quand t’avais une brochette de cinq ou six qui s’expliquaie­nt sans avoir besoin d’un train. Aujourd’hui, t’as 15, 20 mecs capables de jouer du coude à 70 à l’heure, c’est à celui qui frotte le plus et qui tient sur son vélo. Un vrai truc de casse-cou, un métier de folie. J’ai vu Cavendish se louper une fois, il fait 2 ou 3, il jette son vélo assez fort sur le bus ; à l’intérieur, il a tout balancé, limite à péter le casque. Dans la vie sinon, l’opposé complet, un truc de fou: adorable, calme. À l’approche d’un sprint, les mecs, tu ne les reconnais pas, c’est des pitbulls. Pour être un bon sprinteur, il faut avoir le couteau entre les dents, sinon…

En 2010, tu as connu une chute particuliè­rement violente dans le final de Liège-Bastogne-Liège, en te prenant une voiture de plein fouet dans le final…

Quand j’appelais ma femme Natacha après les courses, je faisais souvent des blagues, à raconter que j’étais tombé. Mais là, je lui dis la vérité, que j’ai cassé ‘un morceau de ma tête’. Elle me demande d’envoyer une photo. Quand elle l’a vue… J’étais dans un sale état. Fracture de l’occiput, à deux millimètre­s de la moelle... Ça tient à rien de finir paralysé. Au début, je faisais le tour de la maison au ralenti, et j’allais dormir trois heures pour me reposer. J’étais cramé. Mais dès que je suis rentré, j’ai dit à Natacha: ‘Je ferai le Tour de France.’ C’était huit semaines après.

C’était pas très raisonnabl­e. J’avais pas le droit, médicaleme­nt, de m’entraîner. À l’époque j’avais une Harley, une Fatboy, et j’avais démonté la grosse selle en cuir pour la mettre sur mon guidon de home trainer pour me rehausser, comme j’avais la minerve…. Je faisais une heure et demie le matin et encore une heure et demie l’après-midi devant le Giro. Trois heures par jour. Le Tour de France, c’est un moteur, quand tu y as goûté une fois, tu ne veux plus en louper un. Il y a l’excitation avant, et quand tu es dans ton train de retour, c’est le vide complet, un mélange de déprime et de soulagemen­t, de satisfacti­on à retrouver une vie tranquille. En 2010, je claque deux étapes sur le Tour, je prends deux fois le jaune, alors que c’est un miracle d’être au départ!

Pas pour rien que les Belges t’ont surnommé ‘La Machine’.

Oui, une machine, c’est inépuisabl­e, et c’est vrai que quand je me mettais devant le peloton, je mettais du temps à fatiguer, je tenais la barre. Dans la bouche d’un Belge, c’est un sacré compliment. Du coup, j’ai transformé le dragon que j’avais tatoué sur le mollet en machine. (Il soulève son pantalon et détaille) Ça représente des pièces de vélo, un mécanisme, la roue libre, une partie du cadre, des gaines, etc. Là, j’ai envie d’en faire un autre, un ours, pour la rage, la puissance, la résistance. Et incorporer aussi une montre, pour représente­r le temps après lequel on court, la vie qui passe si vite, le chrono…

“Si tu commences à refaire les classement­s, en sachant ce que l’on sait, c’est sans fin. Je préfère me souvenir que j’ai animé la course et que je leur ai fait mal à la gueule”

Pourquoi tu pars de Quick Step? La saison 2013, c’est une de mes plus belles. Avec mon vélo orange, j’ai brillé partout: je gagne la Panne pour la deuxième année d’affilée, je fais 5e sur Paris-Nice, la bordure pour la victoire de Cavendish à Saint-AmandMontr­ond sur le Tour, c’est moi avec Jens Voigt. Mais le sponsor demandait à Patrick un coureur à étapes, capable de briller sur les grands Tours. Donc ils ont préféré mettre leur budget sur Uran, et qu’est-ce qu’il a apporté à l’équipe, avec le recul? Je suis désolé, ça a baissé d’un cran par rapport à moi, en termes de visibilité sur le Tour. J’aurais bien fait deux ans de plus à Quick Step, voire plus. La Belgique, quand j’y montais en train, dès qu’on passait la frontière, j’avais les poils, tout excité, j’étais trop heureux, je me sentais chez moi. Quand t’es apprivoisé (sic) par les gens, que t’es dans l’équipe phare, c’est génial. J’étais prêt à rester sans augmentati­on, mais eux voulaient me baisser. Quand tu es arrivé à un niveau de contrat, le but, c’est pas de redescendr­e… OK, tu prends de l’âge, mais un contrat, c’est ton image, ta notoriété, et ça, je ne l’avais pas perdue, mes performanc­es étaient satisfaisa­ntes. Encore aujourd’hui, si tu dis Chavanel à quelqu’un qui connaît pas trop le vélo, ça lui dit quelque chose, ça interpelle,

c’est connu quand même. Mais c’est vrai, avec le recul, je me dis ‘putain j’aurais pu rester au lieu d’aller chez IAM’. L’accueil suisse, c’est pas l’accueil belge, niveau chaleur. Ils sont très fermés… C’est leur idée, et point barre.

À cette époque, tu reviens aussi sur piste, et t’es champion de France de poursuite individuel­le deux années de suite!

J’avais couru les trois grands Tours avec IAM. Et comme j’avais pas fait de piste depuis les jeunes, les mecs m’ont pris pour un touriste, un ‘pinpin’. La piste c’est un effort particulie­r, le braquet, tout est super minutieux, millimétré, dans la préparatio­n, l’approche, le timing, faut être au dixième près dans le tableau de marche. Mais quand je fais quelque chose, je le fais bien, je suis appliqué. Donc avec mes propres moyens, avec mon camping-car, je me posais au vélodrome de Poitiers, y avait le scooter ou le Derny qui étaient prêt, je retrouvais Éric Samoyeault avec qui j’étais en juniors et mon copain d’enfance Hervé Chargros, le mécano. Bonne franquette, le champagne dans le camping-car, on dormait au camping à côté. Plus tard, je suis revenu en équipe de France, j’avais quinze ans de plus que les autres. Et je gagne ma première coupe du monde de poursuite en Écosse. À 39 ans! La dernière année, quoi. J’ai été champion de France d’américaine aussi, avec Thomas Boudat ; là, j’avais les chocottes! Moi, j’appartiens à toutes les familles du vélo, et je suis allé chercher toutes les émotions possibles au plus haut niveau. Il n’y a que le BMX que je n’ai jamais pratiqué. Dans mes années Quick Step, je faisais tous les dimanches des randos VTT dans le secteur. On partait à 8h à bloc, au ravito, un petit verre de vin chaud, et c’était reparti. Des fois, deux, trois verres. Eh, je suis pas un curé, hein.

Ça fait plusieurs fois que t’en parles: t’es très branché camping-car?

Ah oui. Ce que j’adorais, c’est aller en famille sur les critériums d’après Tour, super ambiance. On court avec les meilleurs amateurs, qui sont à bloc, donc c’est une fête, pour eux et pour le public qui voit les coureurs qu’ils ont vus à la télé. Dun-le-Palestel dans la Creuse, je ne le ratais jamais, c’est magnifique! Tout le monde est en vacances, tu retrouves le vélo à l’ancienne, une ambiance foraine, champêtre, les barbecues, les buvettes, on se change au cul des voitures, les gens viennent discuter.

Pourquoi tu décides de finir ta carrière avec Bernaudeau, avec qui tu avais commencé?

En 2005 (quand il quitte Brioches la Boulangère, ndlr), j’ai saisi une opportunit­é avec Cofidis.

Je devenais leader dans une équipe qui avait une histoire, j’ai voulu tenter ma chance, en me disant aussi qu’on ne sera pas deux ou trois dans la même équipe pour le leadership. Et puis on me proposait quatre fois plus que chez Bernaudeau, ce n’est pas rien, quand ça te tombe sur le coin de la goule, tu réfléchis, non? Une carrière en moyenne, c’est dix ans, hein –comment pouvais-je imaginer en faire 19? Il l’a mal vécu, JeanRené. Il me faisait la gueule, on ne se disait pas forcément bonjour, il y avait une part d’échec au fond de lui de ne pas avoir réussi à me garder, et je le comprends, avec le recul. C’est moi qui suis revenu vers lui. J’en pouvais plus d’IAM, l’ambiance, la mentalité suisse, c’est un peu spé. Un jour, je suis au lit, en stage, et je dis à ma femme: ‘J’ai envie de revenir boucler la boucle avec Bernaudeau.’

Je lui envoie un texto pour lui dire que si mon nom pouvait l’aider à trouver un sponsor… Ça l’a touché en plein coeur, je crois. Je ne sais pas si ça a joué pour trouver Direct Énergie, est-ce qu’il a vendu Voeckler-Chavanel? Peut-être. En tout cas, j’ai tendu la perche. Financière­ment, je n’ai rien exigé, j’avais pas de problèmes à faire des efforts. J’ai juste dit: ‘C’est toi qui proposes, mais je veux que tu me respectes un minimum.’

Aujourd’hui, tu roules toujours? J’ai roulé 6 000 kilomètres depuis le 1er janvier, par plaisir. Pourquoi? Parce que j’ai toujours bien dosé, que j’étais pris par la passion, à aucun moment je n’ai roulé pour l’argent. J’ai connu les années noires du vélo, traversé des difficulté­s comme tout le monde, mais j’ai toujours gardé une fraîcheur mentale. Il y a la Titan du Désert aussi, une course marocaine de VTT, je suis payé par un sponsor espagnol pour bien figurer au classement général. Là, c’est reporté en octobre. Ce sera ma troisième. C’est entre 100 et 120 kilomètres par jour, 100% navigation au GPS, t’es avec ton duvet, sans mécano, sans assistance. C’est génial. La première année, au Maroc, j’avais claqué l’étape reine, dans le désert, les dunes, au sud de Ouarzazate. Et pourtant, j’avais la cheville en vrac à cause d’une chute en rando à la montagne. Il y avait Abraham Olano, aussi!

“Le Tour de France, quand tu y as goûté une fois, tu ne veux plus en louper un. Il y a l’excitation avant, et quand tu es dans ton train de retour, c’est le vide complet, un mélange de déprime et de soulagemen­t”

Il a toujours la caisse? Olano, pour moi, c’était le même que Miguel Indurain, des bêtes à rouler, des carcasses. Et à plus de 50 ans, ça dépote toujours. Miguel, il l’a fait l’année dernière, la course. Mon idole de jeunesse. La dernière étape, je me suis dit: ‘Je vais faire toute la journée avec Miguel

Indurain.’ Donc on est restés ensemble, à passer des relais, bam, à bourriner, eh ben il roule, hein! On n’est pas champion par hasard. Ah, le Roi Miguel de Pampelune!

C’est un gars simple, un gentil, tu le vois sur sa tête. Mais quand t’es à côté, il a une aura, il dégage une prestance… Il a fait rêver tant de gamins de ma génération dans son maillot jaune. Je me rappelle son dernier Tour, quand il pète, qu’il ne peut pas gagner son sixième Tour de France, j’étais tellement triste! Il était dans un col, il n’avançait plus. Et moi, j’ai du sang espagnol, mon nom complet, c’est Chavanel Albira, du nom de mon arrièregra­nd-père. Ils ont fui le franquisme, et ils avaient atterri aux Sables-d’Olonne, avant de s’installer dans le Poitou. Tu vois l’histoire, un peu.

Tu fais des courses de trot attelé… et tu t’es aussi mis au saxo?

Mon père est un grand turfiste, il nous a transmis la passion. Courir à Vincennes, ce serait un rêve. Au tout début en vélo, j’étais pas terrible, hein, mais j’ai fait un parcours, donc là, il parait que je suis pas si dégueulass­e sur un sulky, alors je ne m’interdis rien. J’ai mon aîné, Baptiste, qui fait du cheval aussi, Galop 7 au saut d’obstacles. Le cadet, Maxence, lui, il veut battre mon record de participat­ions au Tour de France! Alors comme ils font tous les deux de la musique, je me dis que je peux les accompagne­r au saxo. Mon grand-oncle Albert en faisait, j’ai toujours été attiré. Dans le temps, j’avais un autre grand-oncle qui avait un groupe qui animait les bals de la région, Tony Chavanel. Il en a fait danser, des gens. 1. Toute une histoire, toute mon histoire, de Sylvain Chavanel, avec la contributi­on de Eric Richard, Mareuil Édition.

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 ??  ?? Sylvain-le-rouge avec le vélo utilisé par Poulidor sur le Tour 1966.
Sylvain-le-rouge avec le vélo utilisé par Poulidor sur le Tour 1966.
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 ??  ?? Les pellicules, ce fléau.
Les pellicules, ce fléau.
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Libre-penseur.
 ??  ?? Va faire la poussière là-dedans, toi.
Va faire la poussière là-dedans, toi.
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 ??  ?? En 2010, sur la route d’Avoriaz.
En 2010, sur la route d’Avoriaz.
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