Pedale!

Comment bien choisir son favori du Tour?

La 108e édition du Tour de France se profile et il s’agirait de vous trouver un poulain. Attention à ne pas commettre d’erreur: vous allez passer trois semaines avec lui à l’aimer, l’encourager et, plus certaineme­nt, l’insulter.

- PAR SYLVAIN GOUVERNEUR ET ALEXANDRE PEDRO / ILLUSTRATI­ON: MAXIME MOUYSSET POUR PÉDALE!

1. Si vous êtes patriote

23 juillet 1989. Le bitume des Champs-Elysées ploie sous les coups de boutoir d’un soleil implacable. Laurent Fignon joue son Tour sur la dernière ligne droite et Patrick Chêne s’époumone. “Top maintenant, 50 secondes! Si dans 50… 40 secondes, 43 secondes maintenant, Laurent Fignon n’a pas… Il a le casque, Greg. Il faut que Laurent arrive avant 27’47. Il n’en peut plus là, il enlève le casque et il a raison.” Et 50 secondes plus tard, Laurent Fignon se bat toujours avec sa selle douloureus­e. Il a perdu le Tour. Dans le calme retrouvé de votre pavillon, la pression retombe et la tristesse s’invite. L’impression que le soleil s’est définitive­ment couché sur votre été. Comme à Séville en 1982, comme à Roland-Garros en 1988, le constat est implacable: soutenir un Français, c’est d’abord prendre le risque de goûter au nectar amer de la défaite. Le tunnel dans lequel vous vous lancez sera interminab­le. Leblanc payera sa maudite jambe plus courte que l’autre. Virenque vous décevra. Jalabert n’aura pas sa chance. Moreau passera tout prêt. Bardet encore un peu plus. Pinot vous arrachera le coeur et Gaudu finira bien par se satisfaire d’un accessit. Mais qui donc va décevoir votre coeur de patriote cette année?

La réponse: Julian Alaphilipp­e. En 2019, vous vous êtes rallié à son panache jaune et à sa barbichett­e de mousquetai­re. Et tant pis si lui-même affirme qu’il ne se voit pas en héritier du Blaireau, pour vous, il est l’élu. Peut-il en être autrement quand on vient de Saint-Amand-Montrond, parfait centre géographiq­ue de la France?

L’alternativ­e: Pierre Rolland. Parce qu’il n’est jamais trop tard pour qu’une légende finisse par s’écrire. Ou parce que vous avez arrêté de suivre le cyclisme en 2016.

2. Si vous aimez les causes perdues

20 juillet 1999. Il fait chaud sur le Tour du “renouveau” et Fernando Escartin laisse perler de grosses gouttes de sueur sur sa liquette vert et blanc de la Kelme. Comme le résume si bien Bernard Thévenet, l’Espagnol “fait un grand, grand numéro” dans cette étape pyrénéenne. À Piau-Engaly, Escartin lève enfin les bras sur le Tour. La récompense de la ténacité pour ce grimpeur toujours placé, mais jamais récompensé, dont le style fut souvent raillé. Escartin pédale heurté, le corps penché, ce qui lui donne une allure dissymétri­que aussi facilement identifiab­le qu’un Paco Mancebo à son port de tête. Escartin est à ce point dépourvu de grâce qu’il en devient une beauté intéressan­te. Et même si vous n’êtes pas allé au-delà du troisième chapitre du Côté de chez Swann, vous n’êtes pas loin de penser comme Marcel Proust quand il préfère “laisser les jolies femmes aux hommes sans imaginatio­n”. Parce que pour vous l’amour ça ne s’explique pas, quelle cause esthétique inattendue allez-vous bien pouvoir défendre encore?

La réponse: Après avoir donné Bosch, Rembrandt, van Gogh ou Cruyff à l’humanité, les Pays-Bas ont estimé en avoir fait assez pour rendre ce monde plus beau, et Bauke Mollema et son allure sont nés le 26 novembre 1986 à Groningue.

L’alternativ­e: Comme Santiago Botero en son temps, Rigoberto Uran grimpe avec un sac de ciment sur le dos. C’est valeureux, mais en matière de style, cela donne un rendu plutôt aléatoire.

3. Si vous appartenez au monde d’avant

8 juillet 1971. Joaquim Agostinho allume la première mèche dans la côte de Laffrey quand Luis Ocaña saute dans la roue de l’ancien soldat portugais. Les prémices d’une étape promise à la légende. L’Espagnol a juré la perte de Merckx, dont il a donné le nom à son chien juste pour le plaisir de commander: “Merckx, au pied!” Mais de tout cela, vous n’avez rien vu. Normal, l’ORTF embauche tard. Accablé par la chaleur, le Belge a perdu le Tour à l’arrivée à Orcières-Merlette, au moment de la prise d’antenne. La suite, vous la connaissez. Quatre jours plus tard, l’oreille toujours collée sur le transistor, vous entendez Robert Chapatte narrer au micro d’Europe n° 1 les déboires d’Ocaña dans la descente du col de Menté. La pluie, la chute, la collision avec Zoetemelk au moment de se relever, l’abandon et le geste de seigneur de Merckx refusant d’endosser le maillot jaune sur le podium. Comment oublier un tel passé? Cinquante ans plus tard, vous regrettez la disparitio­n des maillots en coton et des cycles Mercier, vous mettez votre main à couper que sans les oreillette­s la course ne serait pas la même, et vous répétez à l’envi que le “Varois Virenque ne mérite pas qu’on le range dans la catégorie des grimpeurs avec les Gaul, Bahamontes ou Fuentes”. Oui, c’était mieux avant. Mais qui pourrait quand même vous faire allumer votre poste de télévision avant de retourner tailler vos hortensias?

La réponse: Vincenzo Nibali. Ce n’est pas Fausto Coppi, mais le Sicilien présente des qualités de descendeur qui vous rappellent l’intrépide Gastone Nencini. “L’édition 1960 est un millésime très sous-estimé”, disiez-vous l’autre fois à votre frère dont vous n’avez jamais compris l’affection pour Greg LeMond. Un Américain!

L’alternativ­e: La relecture de de Pierre Chany.

La Fabuleuse Histoire du cyclisme

5. Si vous aimez gagner

Si vous êtes snob

4.

1er septembre 2019. Un jeune homme de 20 ans monte vers Andorre et ce n’est pas pour remplir le coffre de sa 106 de cartouches de clopes détaxées. La pluie ruisselle sur le visage poupon de Tadej Pogacar au moment de planter sur place Nairo Quintana et ses rhumatisme­s. Le Slovène s’envole vers la première de ses trois victoires d’étape sur ce Tour d’Espagne pendant que

Marc Soler insulte toutes les mères de Colombie, mécontent d’avoir attendu Quintana au nom de la “tactique de la Movistar”. Troisième à Madrid, Pogacar devient “le nom à retenir”, disent ceux qui ont une révolution de retard. La bonne blague. Tadej, vous l’aviez à l’oeil depuis sa quatrième place conquise sur le Tour de Slovénie deux ans plus tôt sur Eurosport 2, avec Jacques Leunis et Nicolas Fritsch aux commentair­es. D’ailleurs, Cyclingnew­s en faisait dès 2016 l’un des “dix coureurs à suivre dans les années à venir”. Après, si on se dit amateur de vélo et qu’on n’a pas suivi son évolution sur ProCylingS­tats, autant croire que Louis Meintjes va faire un truc sur ce Tour. Laissez donc les ringards en 2017 et donnez-nous plutôt le nom de celui qui paradera en jaune sur les Champs au plus tard dans trois ans.

La réponse: Brandon McNulty. Comme vous avec The Wire en 2002, personne ne l’a encore vu, mais tout le monde va bientôt en parler ou faire semblant de le connaître.

L’alternativ­e: Vous revenez de 2027, la France jubile, la France célèbre le successeur de Bernard Hinault. Apprenez à épeler le patronyme d’Eddy Le Huitouze pour ceux qui n’ont pas votre prescience. 21 juillet 2003. Un moment d’inattentio­n, un guidon qui attrape une musette Crédit Lyonnais et la chute. Le Roi est à terre, mais ne traîne pas longtemps sur le bitume de cette montée finale vers Luz-Ardiden. Lance Armstrong remonte en selle, rejoint ses vassaux trop pleutres pour oser le régicide et les attaque. En chemin vers la victoire et un cinquième Tour, le Texan félicite le hardi Sylvain Chavanel, parti en éclaireur, d’une tape sur le dos. Fin de la vidéo. La nostalgie vous submerge de nouveau. Toutes les confession­s chez Oprah, tous les “non attribué” en lieu et place d’un palmarès gagné à la force du mollet (et sans ouvrir la bouche dans les cols) ne changeront rien à votre respect pour le champion. Vous êtes comme ça: légaliste. Certains diront que vous volez au secours de la victoire, après tout, vous êtes même capable d’évoquer la victoire de Carlos Sastre en 2008 avec des trémolos dans la voix. Peu importe, vous laissez aux autres leurs perdants magnifique­s et leur dolorisme poulidorie­n. Cette année encore, c’est sûr, vous serez en jaune à Paris. Reste à savoir avec qui?

La réponse: Un pays surnommé en son temps “la Suisse de la Yougoslavi­e” ne pouvant que susciter votre confiance, vous roulerez slovène en compagnie de Tadej Pogacar et Primoz Roglic. Le premier, c’est certain, est parti pour en “gagner cinq facile”, mais son aîné a aussi votre respect. Après tout, vous pouvez citer le palmarès de la Tournée des quatre tremplins depuis 1990.

L’alternativ­e: Comme une vie réussie n’est jamais qu’une suite de gains marginaux, vous vous rangerez encore une fois derrière le leader désigné des Ineos Grenadiers. Men in black, pour vous.

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