Playboy (France)

CLASSIQUE ART : PICABIA

- Par Boris Bergmann

André Hardellet n’a pas la gueule de l’emploi. Avec sa casquette, sa moustache et son verre de rouge, il ressemble à un héros du petit Paris fait de bars en zinc insulaires et de ruelles oubliées. Quand on creuse, on trouve une oeuvre littéraire remarquabl­e, où la mélancolie proustienn­e se mêle aux courses nocturnes avec des statues qui auraient retrouvé la vie. Une oeuvre qui, surtout, recueille Lourdes, Lentes…, l’un des plus beaux récits jamais écrits sur le corps de la femme. Hardellet est un homme de parole :il emploiera des “mots sales” pour rendre leur grandeur aux corps trop souvent négligés des femmes bien en chair, pulpeuses et rêveuses à la fois. Tout part d’un éveil originel : le narrateur, âgé de 12 ans, fait l’amour à Germaine, la bonne de la maison de campagne, maîtresse des pâtés et des confitures intimes, de douze ans son aînée. Dans ses bras, il découvrira une chaleur unique – celle du corps de la femme, véritable terre étrangère qui le fascinera à jamais. S’en suivent une série d’aventures nocturnes avec une hôtesse de l’air à Amsterdam puis à Londres, chez Joyce, patronne d’un bordel où les “infirmière­s ” viennent laver votre âme…

censuré en 1969…

Cette ode à la femme plurielle n’a pas plu à la censure grise des 70’s. Publié sous le pseudonyme de Steve Masson en 1969, année pourtant érotique, Lourdes, Lentes… a valu à son auteur un procès pour pornograph­ie et atteinte aux bonnes moeurs. Soutenu par Julien Gracq, Hardellet s’en sort avec une amende et la destructio­n de quelques exemplaire­s. Il sera gracié au bout d’un an mais restera attristé par la réaction d’une France qui, après avoir condamné Flaubert et Baudelaire, ne comprend toujours pas que les “mots sales” sont parfois les plus beaux. Pour Hardellet, le choc érotique provient de l’enfance, de ce goût de liberté que la saveur du corps étranger provoque en nous lors de la toute première fois. Le sexe n’empêche pas l’innocence, l’absence de limites ne détruit pas la possibilit­é de découverte­s infinies. Celui qu’André Breton appelait “le conquérant des seules terres vraiment lointaines qui vaillent la peine” nous aide à détruire les normes et tabous que la société et ses juges tentent d’imposer à nos désirs.

Gainsbourg en serial killer

Pour nous libérer, Hardellet s’appuie sur tous les supports : roman, poésie et cinéma. Il réalise un court-métrage intitulé la Dernière Violette, où Serge Gainsbourg en personne joue un sérialkill­er, tueur de vieilles dames. Hardellet détourne l’image du séducteur galant à la cible formatée en s’intéressan­t à l’âge élevé et aux kilos en trop, comme pour rappeler qu’il n’y a pas de perfection chez l’objet du désir. Le film a servi de préambule à chaque représenta­tion du grand classique érotique made in France, Emmanuelle. Aujourd’hui, les images sommeillen­t quelque part sur les rayons de la Cinémathèq­ue. Comme pour contribuer aux oublis qui façonnent la destinée d’Hardellet. Pour cet homme qui aime mettre “les filles à mal en exigeant l’Olympe dans leurs yeux, dans leurs reins ”, l’oubli est presque une certitude, une consécrati­on. Il est néanmoins possible de ramener Hardellet à la vie : en le lisant, et en le relisant, encore et encore. Vous avez le choix : tenant le livre d’une seule main et gardant l’autre sous les draps, à deux, à trois, en corps… Tout est possible avec Hardellet, défenseur du désir le plus pur car, pour toujours, inassouvi.

Lourdes, Lentes… (Gallimard).

AMOUREUX DES LETTRES, DE LA NUIT ET DES FEMMES TRÈS EN CHAIR, ANDRÉ HARDELLET SORT EN 1969 LOURDES, LENTES… UN LIVRE INCROYABLE Où LE CORPS DE LA FEMME N’A JAMAIS AUSSI BIEN DÉCRIT.

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