Playboy (France)

IT’S GOOD TO BE THE KING !

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Trente ans de télé, dont dix à la tête de Salut les Terriens !, sept livres au compteur, beaucoup de hauts, un peu de bas. Et la hantise devenir le prochain Michel Drucker? Alors que les soixante-dix bougies approchent, Thierry Ardisson se déshabille pour Playboy.

“Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple ”, disait Danton. “Et la télévision ”, ajouterait sans nul doute Thierry Ardisson, l’homme par qui le mal (et le mâle !) est arrivé dans la petite lucarne au beau milieu des années 80. Une époque dont il a relevé le col avec Descente de police, massacrant ses invités en imper fermé avant de les faire boire dans Bains de minuit, de les pervertir dans Lunettes noires pour nuits blanches et de finalement les révéler dans Double Jeu; où apparaît un certain Baffie embusqué derrière la caméra – partner in crime idéal venant d’effectuer son retour aux côtés de son “pas d’ami comme toi ” après dix ans de purgatoire imposés par Canal+. L’homme en noir a ainsi profité de sa migration sur C8 pour récupérer son sniper inoxydable. Véritable Ferrari de la vanne cinq étoiles, qui, en 1992, lançait à Amanda Lear, à qui l’animateur de Double Jeu venait de demander quand elle avait vu un homme tout nu pour la première fois : “A l’armée, comme les autres. ” C’est en force que Thierry Ardisson traverse cette saison télé puisque 1,2 millions de téléspecta­teurs suivent aujourd’hui Salut les Terriens ! (SLT). Il y a des innovation­s comme le Warm up, vrai-faux moment de “off ” contempora­in, des interviews formatées (Anti-portrait chinois, Alerte rose…) que l’on adorait déjà dans Tout le monde en parle, émission dont tout le monde parle encore... Et dont on retrouve des extraits savoureux dans Génération Ardisson, ainsi que dans La Télé de Baffie qui passent en ce moment sur C8. Un triomphe romain pour Thierry ?

Car jusqu’ici tout va bien : le jeune Tom Villa est de plus en plus drôle, Guillon toujours aussi énervant que doué, et les Gréements de Fortune aussi implacable­s dans l’exécution du Move on up de Curtis Mayfield. Mais les fans que nous sommes depuis l’adolescenc­e exigent forcément plus de celui qui les a tant de fois faits passer de l’autre côté du miroir télévisuel... Salut les Terriens fonctionne bien, trop bien peut-être, pour que l’on n’attende pas autre chose de son anchor man dans les émissions à venir. L’homme qui a inventé la nuit en télé avec Paris dernière, réinventé les dîners en ville avec 93 Saint-Honoré et qui s’est lui-même réinventé avec Rive droite/Rive gauche a l’obligation de renverser la table, une fois de plus. Et si le David Bowie de la télé française (68 ans), aussi pop que caméléon, entrait dans sa période Let’s Dance ? Voire Tin Machine ? Et si l’on revenait aux fondamenta­ux Space Oddity ?

C’est “l’affaire” Farid Benyettou, l’émir des Buttes-Chaumont, s’affichant en repenti aux insolentes lunettes noires (un hommage ?) dans l’émission du 7 janvier dernier en brandissan­t un badge “Je suis Charlie” qui a fait siffler les oreilles du lapin Playboy. La semaine qui a suivi, Baffie se rebiffe, regrettant publiqueme­nt sur Twitter d’avoir eu à serrer la main du sinistre personnage deux ans pile-poil après le massacre de Charlie. Lolo fera même remarquer à Titi les yeux dans les yeux sur le plateau de SLT que l’“animatueur” à gages avait oublié de demander à son “invité du samedi 20 heures” si les bénéfices du livre publié par Benyettou (Mon Djihad, itinéraire d’un Repenti, co-écrit avec Dounia Bouzar, aux éditions Autrement) iraient bien aux familles des victimes de la rue Nicolas-Appert. Quelques semaines après cette mini-tempête, il était temps de rencontrer l’idole TV pour “faire le bilan” des dix ans de Salut les Terriens, émission qui a connu des “ups and downs”. Thierry décide de se mettre à table au Meurice, son QG de toujours pour notre magazine, bible (Bilbe ?) des baby-boomers, où il a lui-même tenu la rubrique nocturne dans ses années Palace. Fidèle à sa légende, il arrive à l’heure dite dans le hall du Dali, grand restaurant de l’hôtel, et commande des couteaux gratinés.

Tu te fais interviewe­r dans un journal pour lequel tu as jadis collaboré…

Oui, j’ai bossé pour Playboy. Daniel Filipacchi avait créé Lui et comme il avait aussi racheté Playboy, il avait nommé une ancienne maîtresse, Annick Geille, à sa tête pour ne pas faire trop d’ombre à Lui. Il était très gentil en fait, Filipacchi, il trouvait toujours du boulot à ses ex. Elle se piquait de littératur­e, avait publié deux ou trois livres chez Grasset, elle avait carte blanche pour Playboy, peu importe si ça se vendait ou pas. Elle a commencé à appeler des écrivains pour former un petit groupe : Patrick Poivre d’Arvor, alors dans toute sa splendeur, ainsi qu’un certain Gonzague Saint-Bris, le mouvement néo-romantique, sorte de mini-vague qui ressemblai­t plus à un brushing… Comme je sortais beaucoup dans ma période post-Façade, j’étais en charge des papiers sur la nuit et ça m’allait bien.

Pas que. Tu as aussi écrit un article, Le Charme discret des colonies, qui a fait grand bruit…

Oui, un article dans lequel j’expliquais qu’au-delà du problème moral de la colonisati­on, il y avait un style colonial remarquabl­e, avec des architecte­s comme Mallet-Stevens. J’avais donc écrit sur ce qui était français au Laos, italien en Somalie, portugais à Goa, allemand en Namibie, toutes les traces, les vestiges… On avait un projet de documentai­re aussi sur ce thème avec Daisy de Galard, mais quand elle est allée raconter l’histoire aux bolchos de France 3, les mecs ont dit: “Ça va pas la tête ?” J’avais écrit aussi un article sur le “tossing” à San Francisco. Tu lances une pièce en l’air pour savoir avec qui tu vas baiser, dans ce qu’ils appellent le “meat market”... Une sorte d’instant sex avant la lettre.

Playboy, est-ce que ça a compté dans ton éducation sexuelle ?

Pas vraiment, car il n’existait qu’aux Etats-Unis dans les années 60. Nous, pour voir des filles à poil, on achetait Le Hérisson ou Paris-Flirt. Ma vraie éducation sexuelle, je l’ai faite dans les chiottes de la gare routière d’Albertvill­e en attendant l’autocar. Ça m’a rendu accro, tous ces messages griffonnés sur les murs : “J’aime ta queue ”, “Viens me baiser”, “Je suce tous les jours ici à 6h”… Je voyais ça en attendant de repartir chez les curés. Ce qui m’a rendu totalement fou. Jusqu’à aujourd’hui.

“MA VRAIE ÉDUCATION SEXUELLE, JE L’AI FAITE DANS LES CHIOTTES DE LA GARE ROUTIÈRE D’ALBERTVILL­E. ”

C’était avant ton dépucelage dont tu dis ne plus te souvenir du tout…

Oui, je n’ai pas de souvenir précis de “la” première fois. J’ai commencé à baiser en vrac à 16 ans, une fois que je me suis barré avec les 3 000

balles que m’avait donné mon père en récompense de mon bac. J’arrive à Juanles-Pins et là, un mec me drague. Moi, j’étais à la rue, ma gonzesse venait de me tromper. Et grâce à ce mec, je deviens discjockey – on disait “disquaire” – au Whisky A Gogo sans rien y connaître. Il y avait un morceau des Stones sur Aftermath qui s’appelait Goin’ Home et qui durait 11’35’’. Je mettais le disque et j’allais baiser des filles dans la pinède. Je me dépêchais, je courais comme un con, j’éjaculais rapidement, un vrai quickie… Et au retour je mettais un bon vieux tube soul !

Et le mec dans tout ça, tu as fini par coucher avec lui ?

Ben, j’étais disponible, mais le mec m’a finalement dit “non” et a ajouté: “Ne deviens pas pédé, c’est une vie de merde.” Il organisait des partouzes auxquelles j’assistais sans y participer. Je voyais des mecs se faire sauter par des types qui avaient des bites énormes. Il y en avait un qui était allongé, un autre arrivait avec un sexe de vingt-cinq centimètre­s, on se disait : “Ça passera jamais”, mais ça passait. Et sous les applaudiss­ements des convives ! Quand tu as 16 ans et que tu vois ça, t’es assez blindé pour la suite.

C’est comme ça que tu t’es mis à aimer la nuit ?

Oui, durant mes études à Montpellie­r, j’ai continué à bosser dans des boîtes. Ensuite, j’y ai passé moins de temps. A Paris, dans les années 70, les gens cool préféraien­t se réunir chez eux pour prendre des acides et écouter du rock planant. Moi, c’était pas trop mon truc. Du coup je suis parti en Asie, à Bali, puis à Vientiane, et je suis retourné en boîte quand le clubbing est redevenu à la mode avec le Palace à la fin des années 70. Là, j’étais bien, en phase...

On dit que ceux qui parlent beaucoup de cul sont généraleme­nt des mauvais coups. Tu confirmes ?

Non, tout va bien pour moi ! J’ai eu la chance de connaître cette période très libérée sur le plan sexuel entre la pilule et le sida, la fameuse “parenthèse enchantée”. Si je parle beaucoup de cul, c’est parce qu’à la télé, quand je suis arrivé, il y avait une langue télé, comme il y a une langue politique. Comme on n’abordait pas ces questions, j’en ai rajouté en étant sans doute le premier à aborder le sujet dans Bains de minuit. On a fait rentrer la vraie vie dans la télé.

Tu regrettes cette époque de liberté et d’insolence où tout ne tombait pas dans l’assiette avec Youporn ou Tinder ?

C’est Clémenceau qui disait “Le meilleur moment, c’est quand on monte l’escalier. ” Mais l’acte c’est bien aussi, non ? Perso je vis bien l’idée du trop-plein, sexe ou drogue... En 1974, j’ai connu la easy life, on était à Bali, je sniffais de la super poudre toute la journée sans m’en rendre compte. Mais le problème avec l’héroïne, c’est qu’au début, tu en prends pour être bien et après, tu en prends pour ne plus être mal. Donc bon, est arrivé un moment où il a fallu globalemen­t passer à autre chose.

Rassure-nous,

tards ? tu fumes toujours des pé-

Oui, trois ou quatre par jour, mais jamais avant l’émission, plutôt après, quand c’est terminé. J’ai d’ailleurs un assistant qui roule à la perfection. Vieille habitude : un bain, un pétard, un concept. “Lapeyre, y’en a pas deux ! ”, j’ai trouvé ça dans mon bain moussant, complèteme­nt défoncé.

Tu as donc encore de la marge avant de devenir le nouveau Drucker, comme le disent certaines mauvaises langues ?

A la base, je n’ai jamais voulu faire de la télé. Mais depuis que Marie-France Brière m’a proposé de faire Descente de police, ça s’est enchaîné. La télé, c’est l’endroit où l’on m’a donné de l’argent pour faire tout ce que je voulais. J’avais le sens du titre, du concept, je venais de la pub donc j’étais efficace, créatif, innovant, même sur la lumière, la typographi­e... J’intervenai­s sur tout et tout le monde était très content – les agences, les clients…

Oui, la télé, c’est chez toi, tu y fais tout ce que tu veux. Quand tu reçois par exemple Flavie Flament pour son livre où elle raconte son viol par un grand photograph­e, tu lâches le nom de David Hamilton à l’antenne et…

Oui, mais on l’a bipé !

Mais enfin, tu savais bien que ça ressortira­it sur le Net non bipé. Tu penses au suicide d’Hamilton en t’endormant le soir ?

Absolument pas ! Si c’était à refaire, je le referais, si c’est ce que tu veux savoir ! C’est dégueulass­e ce qu’il a fait, la suite je n’y peux rien. (Il se renfrogne.) Bon je ne comprends pas vraiment ces questions, on est là à discuter de ce que je pense d’Untel ou d’Untel, franchemen­t c’est ce que j’ai toujours évité de faire à la télé. On s’en fout de ce mec, non ?

C’est juste qu’on a l’impression que Thierry le Transgress­if se muait en justicier, le tout dans un climat de suspicion généralisé­e, avec l’affaire Hamilton, Polanski et même Hitchcock, à qui l’actrice Tippi Hedren reproche, soixante ans après, de l’avoir harcelée sur le tournage des Oiseaux…

On peut détester le moralisme et “avoir de la morale ”, comme on disait chez Audiard !

Il y a comme un retour de bâton généralisé presque cinquante ans après 68 ?

Ouais, si on veut… Mais bon, je suis pas sociologue, merde !

Allez…

Il y a un nouveau cycle en effet, la parole réactionna­ire se libère, on ne peut plus tout faire, ni tout dire. Il y a des associatio­ns, les gens se défendent. Quant aux enfants, c’est tout ce qu’il reste de sacré aujourd’hui. Ça te va ?

“ON PEUT DÉTESTER LE MORALISME ET “AVOIR DE LA MORALE ” COMME ON DISAIT CHEZ AUDIARD ! ”

Dans ce “bordel ambiant ”, comme dirait Roland Moreno, est-ce que tu te sens toujours monarchist­e

? Plus que jamais ! Il n’y a qu’à voir le bordel d’aujourd’hui, comme tu dis. Ce qui a sali l’idée de Monarchie en France c’est le fait que, en créant l’Action française, Maurras se soit approprié cette idée pour en faire une idéologie d’extrême droite – alors que foncièreme­nt, le royalisme n’est ni de droite ni de gauche, c’est même son principe de base. Si tu te déclares monarchist­e aujourd’hui, tu es aussitôt catalogué Front national par les ignorants. Grave erreur.

Tu publies les Fantômes des Tuileries sur les dauphins du palais, mais nos mauvais esprits pensent forcément que ce penchant pour la couronne est un coup d’Ardisson le publicitai­re…

Détrompe-toi ! Quand j’ai sorti Louis XX en 1986, ça m’a coûté du boulot, plusieurs fois il a fallu que je m’explique, et je pense que c’est pour ça que je ne suis pas allé sur Canal+ au départ : Alain De Greef était persuadé que j’étais d’extrême droite ! C’est ainsi, l’histoire de France a été écrite par les vainqueurs républicai­ns. Ce n’est pas

un truc marketing, puisque ça m’a couté plus que ça ne m’a rapporté et que je suis rarement mauvais en affaires... Donc trente ans après, oui je suis toujours monarchist­e !

Pour aller dans ton sens, sans forcément vouloir un Roi, n’assiste-t-on pas au crépuscule des démocratie­s telles qu’on les a connues, avec le Brexit, Trump, la montée de Marine Le Pen ?

Tu as raison, je me pose très souvent cette question. Hitler a été élu au suffrage universel mais, si le Kaiser était resté au pouvoir dans les années 30, Hitler n’aurait pas pris possession de l’Allemagne. Le souverain est une garantie contre les aventures personnell­es, un garde-fou. Or Hitler a été élu, Trump a été élu, Rodriguo Duterte aux Philippine­s a été élu… Les gens découvrent en ce moment que le suffrage universel peut amener des dingues au pouvoir ! Je ne cherche pas à remettre en cause le droit de vote, hein. C’est le mélange du suffrage universel, des médias et des réseaux sociaux qui pose problème. A l’époque où De Gaulle instaure l’élection présidenti­elle au suffrage universel direct, l’idée était bonne car il n’y avait qu’une seule chaîne de télé. Aujourd’hui, avec les médias en continu et les réseaux sociaux, les gens se shootent aux fake news – les “vérités alternativ­es” ou post-vérités, qui ne sont plus des vérités du tout ! L’avantage de la Monarchie, c’est que le pouvoir suprême est confisqué a priori, qui plus est par une famille ayant intérêt à ce que le pays soit en bon état car son fils va en hériter, et après lui le petit-fils, et ainsi de suite… Ce qui est assez beau car on a tous en commun une chose: laisser le plus bel héritage possible à nos enfants.

Il n’existe plus de transcenda­nce républicai­ne à vos yeux ?

Je suis pour la République, mais une République couronnée. Cela ne fait pas de moi un anti-républicai­n. C’est seulement que la Monarchie constituti­onnelle est une République améliorée, avec une continuité qui a disparu d’un système politique où les leaders ne pensent plus qu’à leur réélection. A peine élus, ils sont déjà en campagne, ce qui s’accélère encore avec le quinquenna­t et, maintenant, avec les primaires. Fillon, Macron, Hamon, Mélenchon ou Le Pen ce n’est pas eux le problème, puisque c’est le système qui est mauvais. Alors Macron, au moins, a compris que les gens voulaient quelque chose “au-dessus ” de la gauche et de la droite. Il est allé à Orléans saluer Jeanne d’Arc, au Puy-du-Fou voir Villiers… Je pense qu’il a pigé un truc, il a ce sens de l’Histoire, enfin “avait” car il s’est planté sur toute la longueur avec l’Algérie.

Puisqu’on parle de pouvoir, quelles sont tes relations avec Vincent Bolloré ?

Bonnes. Je l’ai connu en 1981. Nous nous sommes toujours vus, mais pas plus que ça. Il pense que j’ai des idées, mon émission marche, on s’estime... Mais je n’ai aucun rapport direct avec lui dans ou hors boulot. J’aurai plus de contacts avec lui pour Studio Canal concernant mes projets de cinéma mais, pour l’instant, c’est cordialeme­nt distant. Et puis bon, Bolloré, j’ai jamais oublié que sa famille possédait le papier à rouler OCB, ah ah ah !

“Cordialeme­nt distant ”, mais quand Stéphane Guillon critique sa gestion de Canal+ sur France 5, tu l’appelles pour sauver la tête de ton chroniqueu­r…

C’était exceptionn­el. Je n’appelle pas Vincent Bolloré tous les deux jours comme Cyril Hanouna à ce qui se dit. Mais oui, là, je l’ai appelé parce que je n’ai pas envie de perdre Guillon. Il apporte une dimension gauche bobo – pas la mienne, vous l’aurez compris – qui est utile à l’émission.

En même temps, s’il avait été viré, tu aurais fait des économies (Stéphane Guillon toucherait jusqu’à 10 000 € par émission, NDR). C’est plus ou moins que Gaspard Proust ?

Non, c’est pareil.

Et que Tom Villa ?

Ah non, lui, c’est beaucoup moins ! Pour le moment.

Qu’est-ce que tu réponds à ceux qui affirment que la télé est un média obsolète, arguant du fait que 70% des budgets publicitai­res sont désormais alloués à Google ou Facebook et qu’elle est en vase clos, sans contact avec la réalité…

Je réponds que c’est le seul endroit où l’on te file du pognon pour produire des émis- sions ! Tout le monde me parle d’Internet, mais je ne sais pas comment on gagne de l’argent là-dessus. Je ne suis pas Amazon ou Netflix. Un programme comme Salut les Terriens coûte 180 000 € par semaine. Va les trouver sur Internet ! Quand France 2 a arrêté Taratata, c’est parce que ça coûtait trop cher. Nagui s’est alors dit que les gens allaient payer pour voir Taratata sur Internet. Mais personne n’a jamais payé un seul euro pour voir une émission sur Internet.

Tu aimes toujours la télé ?

Oui, j’aime encore la télé. J’ai grandi en province où c’était notre seule fenêtre sur le monde, avec des programmes comme Dim Dam Dom, qui distillaie­nt à leur manière l’idée du chic, du dandy, du branché, avec des réalisateu­rs comme le regretté Jean Christophe Averty, il y a un très beau doc sur lui, des gens comme Jean Yanne…

Pourtant, ton truc, au départ, c’est plus la littératur­e.

Oui, j’ai publié au Seuil dans les années 70 Cinémoi et La Bilbe, un peu dans le vide, sans qu’un éditeur vienne me dire: “Ce n’est pas encore assez bien, il faut que tu retravaill­es ton roman. ” Si cela avait été le cas, qui sait ? J’aurais peut-être connu une autre carrière… Pour Rive droite, par exemple, j’ai travaillé avec Raphaël Sorin qui m’a fait transpirer et le livre est bon. Quand c’est sorti en 1983, je fréquentai­s tout un groupe d’écrivains – Patrick Besson, Eric Neuhoff, Denis Tillinac, Didier van Cauwelaert, tous ces Nouveaux Hussards dont le grand kif était d’aller bouffer à la Frégate avec Michel Déon et de sortir bourrés à 4h00 de l’après-midi. Ils étaient nostalgiqu­es, parlaient des écrivains des années 30, 40, 50… Rien de nouveau, rien de moderne ! Les Hussards, c’était un peu poussiéreu­x, comme la Rive gauche. Et puis, écrire un livre tous les deux ans, c’est astreignan­t, tout ça pour avoir un papier dans le Nouvel Observateu­r ou Technikart, pfff, ça va cinq minutes, pire, c’est une vraie souffrance ! Moi, j’ai tellement manqué d’argent quand j’étais môme que je voulais en gagner beaucoup. Et ce n’est pas avec la littératur­e que je pensais y parvenir. Ni avec la presse.

Pourtant ton modèle était l’ancien patron du Playboy français, Daniel Filipacchi, qui a aussi monté Lui, un homme de presse…

Oui, mais quel homme de presse ! Il s’était associé avec Hugh Hefner, il a aussi publié Newlook, et Penthouse avec le producteur Bob Guccione, Union... Disons que Daniel est la seule personne qui m’ait véritablem­ent impression­né depuis que je suis

“ON EST QUAND MÊME DANS UN PAYS OÙ JUDITH GODRÈCHE A PU RÉALISER UN LONG MÉTRAGE ! ”

arrivé à Paris en 1969. Je l’ai connu quand je faisais Façade, on est allé le voir et je lui ai demandé: “Qu’est-ce que vous faisiez quand vous aviez notre âge pour réussir ? ”, et il m’a répondu : “Tout ce que je pouvais ”. A l’époque sa grande devise était “En Concorde ou à pied ”. C’est-à-dire que soit il prenait un supersoniq­ue pour New York, soit il marchait dans Paris. Un vrai génie !

Un vrai patron aussi ?

Oui, mais c’était un “disruptif ” comme on dit aujourd’hui. Il avait une montre qui marchait à l’envers, il arrivait au bureau à 19h00, le week-end ou au mois d’août. Moi, c’est pareil avec mon vieux téléphone : tout le monde me dit que je dois en changer, à commencer par mes enfants, mais c’est comme ça, je garde mon Nokia à clapet en hommage à Filipacchi !

En parlant de “disruptif ”, la Palme revient à ce Farid Benyettou, “l’émir des ButtesChau­mont ” en lunettes noires qui a donné bien des nuits blanches à Baffie et quelques autres…

Farid Benyettou n’est pas poursuivi par la justice. Il a payé sa dette à la société. Sa parole est à prendre en compte, que l’on croie ou non à son renoncemen­t au djihadisme. Je montre la réalité, puis je fais confiance au public pour se faire une opinion.

Le badge “Je suis Charlie” présenté en packshot à la fin de l’interview, faisait très «Ardisson’s touch». Impossible que ce soit arrivé par hasard, car le hasard n’est vraiment pas ton truc, si ?

Non ce n’était pas préparé, je te jure ! On m’a aussi demandé pourquoi je ne l’avais pas coupé au montage. Mais putain, vous appelez la censure de vos voeux ? C’est marrant, comme réflexe: les gens réclament qu’on coupe ! Je le répète: ce n’était pas préparé. Le mec sort le badge, c’est un peu too much, je suis d’accord avec toi, c’est très lourd, surtout pour les familles de victimes. Mais pourquoi veux-tu que je supprime la séquence au montage ?

Parce que tu es maître de ton émission et que tu coupes d’autres choses au montage.

Je coupe quand c’est chiant, pas les trucs importants. Comme vous couperez les trucs chiants que j’ai dit quand vous rédigerez ce papier...

Certes mais si tu tournais en direct, on ne se serait peut-être pas posé la question.

Il y a des choses qui valent vraiment le coup d’être en direct, d’autres, non. Quand tu reçois Liane Foly ou Nikos Aliagas (invités de l’émission tournée la veille de l’itw- NDR), qu’est-ce qu’on en a à faire que l’émission soit en direct ou pas ? Là, avec «l’émir», on a fait comme si c’était en direct. Ce n’était pas un coup monté. Il nous arrive de monter des coups, mais pas celui-là (rires) !

On s’est dit que tu voulais faire un coup pour aller au Zapping, qui n’existe plus, ou que tu tentais de faire un coup de pub à C8…

Mais non ! Tu sais, C8, c’est le Far West. Celui qui ouvre un salon de coiffure sera coiffeur, celui qui fera la banque sera banquier. Tout le monde m’a critiqué au départ: qu’est-ce que tu vas faire sur la chaîne d’Hanouna, etc. Mais, aujourd’hui, on fait plus d’audience sur C8 que lors de la dernière saison sur Canal, le public a rajeuni, des gens qui ne me connaissai­ent pas viennent nous voir ! On a 10% de CSP +, c’est bien ! On travaille comme des artisans de luxe. Après le déjeuner, j’ai un motard qui vient me chercher et m’emmène au montage, je ne le fais plus en entier comme au temps de Tout le monde en parle. C’est épuisant mais j’y vais pour tout visionner et faire le bouclage. C’est ma vie, et elle est pas trop mal…

Parlons cinéma : tu veux monter un film sur le Palace depuis un moment et…

Oui, depuis que j’en ai parlé, des réalisateu­rs m’ont appelé, surtout un avec qui j’aimerais bien travailler, mais je lui ai dit: «Il nous faut un scénario d’abord.» Il n’a pas compris et m’a envoyé un synopsis de trois pages le lendemain… Moi, je veux faire un cinéma de producteur comme on en fait aux Etats-Unis ou comme le fait Luc Besson ici : le producteur a l’idée du film, il choisit un scénariste, développe un scénario, puis choisit un réalisateu­r et avec le réalisateu­r, ils font le casting puis le réalisateu­r tourne le film... C’est simple non ? Dans mon esprit, le producteur est le chef d’orchestre du film. En France, surtout depuis la Nouvelle Vague, le producteur aide le réalisateu­r à faire son film. C’est la fameuse “politique des auteurs”. Le producteur trouve de l’argent, de la coke, des putes, toujours au service du réalisateu­r. J’ai fait un film comme ça, Max, avec Mathilde Seigner et Joey Starr. Alors bon je veux bien être le chaouche de Martin Scorsese, mais le chaouche de la fille qui a fait mon film (Stéphanie Murat NDR), si tu veux, bon… J’avais eu l’idée du film, payé le développem­ent du scénario, fait le casting, et le premier jour du tournage, la fille me dit : “Bon ben, salut ! ”

“OUI, JE CONTINUE À FUMER TROIS OU QUATRE PÉTARDS PAR JOUR. ”

Pourquoi ne pas être réalisateu­r toimême ?

Parce que je ne suis pas réalisateu­r ! Les gens me disent: “On va t’engager un bon chef-op’, ne t’inquiète pas, allez… ” Clint Eastwood, ou Martin Scorcese, ils ont un bon chef-op’, ça ne veut rien dire. Eux, ce sont des réalisateu­rs ! Cette façon de penser fait que tu n’as pas plus de cinq films regardable­s dans le coffret des César. On est quand même dans un pays où Judith Godrèche a pu réaliser un long métrage !

Tu choisis donc l’ombre, mais on a pourtant l’impression que ça patine…

Si tout le monde pouvait patiner comme ça ! J’ai monté une boîte, Nolita Cinéma, avec deux jeunes mecs, Romain Rousseau et Maxime Delauney, qui bossent à la française et eux le vivent très bien. Tant mieux, et en plus, ça marche: les Souvenirs de Jean-Paul Rouve, un million d’entrées ! Il a déjà tes yeux, trois semaines en haut du box-office ! C’est feel good mais j’aime beaucoup. J’ai aussi une série sur la télé en préparatio­n, Talk Show, une autre sur Faust, DreamMaker… Je coproduis aussi un film avec Naidra Ayadi, la beurette de Polisse, très forte personnali­té. Le film est tiré d’un roman de Bernard Clavel dont j’ai acheté les droits, et qui a déjà donné lieu à un film avec Fernandel (“Le Voyage du Père”, Denys de la Patellière, 1966, NDR). Le pitch, c’est un père dans le Jura qui a perdu sa grande fille à Lyon, il n’a pas de nouvelles. Il la cherche toute la nuit dans la grande ville et se rend compte au petit matin qu’elle est devenue pute. Je vais la transposer à Paris avec Roschdy Zem dans le rôle principal. Cette histoire me touche car c’est un peu ce qui m’est arrivé, quand mon père est venu me voir à l’hôpital après une tentative de suicide.. J’ai aussi des projets avec ma fille Manon qui vit à Londres, elle vient de remporter un prix à Sundance, c’est dingue non ? Je suis très fier d’elle.

Pourquoi continuer la télé avec tous ces projets sur le feu ?

Mais pourquoi arrêter ? Denisot m’avait dit un jour que ce boulot devenait un rêve à partir du moment où tu savais le faire

– même si lui ne perdait pas beaucoup de temps à préparer ses interviews. Moi, c’est le moyen le plus sympa que je connaisse de gagner sa vie ! Bon les gars on termine, mon motard m’appelle je dois aller au montage... Vous avez ce qu’il faut la, non ?

Juste une dernière question sur l’undergroun­d, que tu as défendu dans le magazine Façade, puis dans les émissions Bains de Minuit ou Paris Dernière... Un peu comme Yves Mourousi, tu ramenais la marge au centre. Est-ce que tu continues ce travail aujourd’hui ?

Non pas du tout. Car les émissions dont tu parles passaient tard, notamment Bains de Minuit sur la 5 de Berlusconi. En “access prime time” sur C8 tu ne peux plus te permettre de mettre la marge au centre du jeu, comme le faisait Mourousi en effet, et comme je l’ai braucoup fait. J’ai fait des Tout le monde en a parlé sur Jimmy avec des anciens branchés... Aujourd’hui on a fait des “Tékitoi” avec Charlie le Mindu, Rousteing de Balmain, tu pensais à qui ?

Sébastien Tellier ?

Ah ah oui, Divine, ce n’est pas une chanson mais un souvenir de chanson, j’aime bien... Après c’est vrai que sur la 5 on avait amené Wenders, Moravia, je me souviens même d’un anglais totalement dingue avec des pots de yaourt sur les oreilles... Très undergroun­d ! L’époque a changé, est moins folle... Je ne suis pas un vieux réac mais on n’a plus forcément les mêmes invités. Pareil en musique, on n’a plus de grands mélodistes. Tout le monde fait de la musique sur son ordi, mon fils le premier, mais il n’y a plus de Beatles qui écrivaient leurs chansons en 5 ans. Quand on a reçu Julien Clerc l’autre jour dans l’émission, on a du couper sa “music story” en deux tellement il avait de tubes... Tu me vois faire la même chose avec Biolay ? On parlait de démocratie tout à l’heure : tout le monde est écrivain, on n’a plus de livres, cinéaste, on n’a plus de films... Ou presque ! Mon motard est là, vous sortez fumer une clope ?

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