Playboy (France)

MOI, EFFEUILLEU­SE

- Recueilli par Raphaël Turcat Illustrati­on — Alexandra Compain-Tissier

Trois soirs par semaine, elle danse presque nue pour les hommes qui en redemanden­t. À 24 ans, Jill a décidé de raconter son métier pour Playboy : strip-teaseuse dans un bar de nuit.

Je m’appelle Jill, j’ai 24 ans et je viens de la grande banlieue parisienne. Je suis jolie, sexy, charnelle mais pas aguicheuse pour un sou. Jusque là rien de très original, n’est-ce pas ? Mais ne partez pas mesdames — et surtout vous, messieurs —, ce qui va suivre devrait vous intéresser. J’ai toujours vécu entourée de femmes : je vis seule avec ma mère, qui a perdu son père très tôt et a très vite quitté mon père. Le premier commandeme­nt de mon éducation a donc été : “Deviens indépendan­t coûte que coûte et ne compte jamais sur les hommes pour t’en sortir.” D’ailleurs, les hommes sont des énigmes pour moi. Je gagne ma vie en donnant des cours de danse. Normal, la danse, c’est ma vie depuis que je suis toute petite. J’ai eu une enfance très studieuse pendant laquelle ma mère me rêvait en avocate ou en médecin. Moi, je ne pensais qu’aux planches, notamment celles du Crazy Horse, même si aujourd’hui, c’est un peu foutu – je ne mesure qu’1.66m, ce qui est en-dessous des conditions requises pour postuler dans ce cabaret. J’aime tellement la danse que j’ai suivi une scolarité en sport-études danse, puis je suis entrée au conservato­ire. J’ai aussi pris des cours à New York parce que, je ne vous révèle aucun scoop, là-bas, c’est la Mecque pour une fille comme moi.

“UN SHOW, ÇA SE PAIE ”

Je donne donc des cours particulie­rs à Paris – classique, modern jazz, latine, arabo-andalouse – et, trois fois par semaine, je danse dans un bar à strip. Dans le métier, on appelle ça “effeuilleu­se ”. J’ai commencé en voyant une annonce pour un spectacle dans un célèbre bar à strip parisien. Je suis donc allé au casting, que j’ai passé avec succès, et c’est comme ça que j’ai pris goût à ce métier. J’aime le dire dans des dîners, ça étonne toujours beaucoup les gens, même si les hommes me demandent immédiatem­ent un show. Mais si je dîne avec un dermato, je ne lui demande pas de regarder en douce mes grains de beauté, donc, c’est non. Un show, ça se paie. J’ai tout de suite aimé. Il faut dire que là où j’ai commencé, les danseuses suivent une formation de deux semaines avec cours de pole dance ( avec la barre ) et de lap dance (pour un seul client). Avant nos grands débuts, on est invitées à passer une soirée en tant que clientes. Et puis les tenues sont soignées : pas de cuir ni de latex, plutôt du satin, de la dentelle. Du coup, au lieu de passer pour un morceau de viande appétissan­t, j’ai tout de suite eu l’impression d’être un bijou. La plupart des gens pensent que les danseuses de bars à strip sont de filles paumées. Ils ont tort. J’ai rencontré des profils aussi différents qu’intéressan­ts au cours de ma carrière de danseuse : beaucoup d’étudiantes mais aussi des femmes plus installées, comme des avocates ou des médecins de 40 ans. Le corps féminin, c’est un peu comme les fringues, il devient beau à partir du moment où on l’assume, ce qui est mon cas. Je sais que je suis gaulée, je n’ai aucun problème avec la nudité, même si je ne me considère pas du tout comme une exhib’.

UNE NUIT À 3 600

Le métier de strip-teaseuse est fatiguant : on est tout le temps debout sur des talons, on danse de manière assez physique. Surtout, les strip-teaseuses sont des éponges à souffrance, on est comme des psys. Les clients passent leur temps à nous raconter leur vie et leurs problèmes, et ils en ont des tonnes ! Je travaille de 22h30 à 5h00 du mat’, avec des soirées qui se prolongent parfois jusqu’à 8h00 du matin. Je touche un minimum de 50 € par soir de travail, plus 30 € sur les 80 € de la danse qui m’est commandée. En moyenne, une nuit me rapporte entre 200 et 300 €. Certains soirs, ça monte – mon record, c’est 3 600 €. Je considère que j’ai fait le job à partir du moment où le client me dit qu’il est satisfait. J’ai cependant un problème : comme je ne suis pas particuliè­rement aguicheuse – contrairem­ent à d’autres qui sont assez mal vues par le reste des danseuses –, les clients veulent plus discuter avec moi qu’ils ne désirent que je danse pour eux. C’est peut-être dû à mon regard assez franc, au fait que je m’exprime plutôt bien et que, dans le fond, je ne suis pas une rapiat. Moi, je préfère fidéliser ma clientèle sur la durée, sans agressivit­é. D’ailleurs, quand un homme me demande : “Qu’est-ce qu’une fille comme toi fout dans un bar à strip ?”, je trouve ça plutôt flatteur, ça signifie que je ne suis pas si conne et vulgaire que ça, tout en pensant : “Pfiou, ça va être compliqué d’obtenir une danse avec lui. ”

MON BAR À STRIP

Je ne me considère pas du tout comme de la marchandis­e, j’inverse même le rapport : je trouve qu’il y a une domination des danseuses sur les clients. Je ne fais pas ce que eux ont envie que je fasse mais ce que j’ai décidé de faire. Bon, si l’un d’eux me demande de faire la table basse avec mon corps pendant un quart d’heure, je lui demanderai s’il a un problème et je le ferai, mais uniquement parce que ça me fait marrer. Et puis il y a un règlement très strict qui empêche le client de se laisser aller à ses pulsions et de faire n’importe quoi. Je compte arrêter ce métier dans un an pour m’adonner totalement à mes cours de danse et, qui sait dans quelques années, ouvrir mon propre bar à strip : ce serait un bar à tapas où, au fil de la soirée, les femmes commencera­ient à se dénuder, il y aurait des shows, des musiciens sur scène… Bref, beaucoup de sophistica­tion même si je sais que dans ce genre d’endroits, il y aura toujours des mecs bourrés qui renversent quatre fois leurs verre dans la soirée. Et puis si j’aime la nuit et les paillettes, je dois avouer que je suis quelqu’un de très simple : si je n’arrive pas à monter mon club, je vivrai dans une roulotte au bord de la mer, à écouter de la musique et à danser. ”

J’AI TRÈS VITE REPÉRÉ LES CATÉGORIES D’HOMMES QUI VIENNENT DANS CE GENRE D’ENDROIT.

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