Playboy (France)

OMAN, FAST AND FURIOUS.

- Par Quentin Müller Photograph­ies Sebastian Castelier

Au Moyen-Orient, la jeunesse du sultanat d’Oman a trouvé un moyen pour arrêter de s’emmerder : la bagnole qui coûte cher. En plus de lui permettre quelques folies, elle est l’outil indispensa­ble pour trouver une femme. Reportage pied au plancher.

Des voitures bariolées déboulent à vive allure. Les pneus crissent et font jaillir d’épais nuages de fumée. Les bolides driftent à toute vitesse. La musique électroniq­ue rythme les bonds d’une foule en furie. Quelques individus, torses nus, jaillissen­t de la masse et s’en vont sautiller sur les carcasses encore chaudes et fumantes des caisses à peine arrêtées. Soudain, une voiture de police vient disperser la foule à coups de tirs. La vidéo prend fin, Mohammed, 25 ans, verrouille son smartphone. Le jeune Omanais se rappelle avec nostalgie ses après-midi anarchique­s dans les zones non-habitées de la périphérie désertique et poussiéreu­se de Mascate. “Je faisais 129 kilos à l’époque. J’étais énorme et vraiment nul en drift. Mais je m’amusais bien. Les gens dans ces rassemblem­ents sont fous. Ils prennent de la drogue, de l’alcool, ont des flingues. C’est comme dans Fast And Furious. ” Avec les filles à poil en plus ? “T’es fou !? Il n’y a pas de filles ! On est encore dans un pays musulman traditionn­el ”, s’exclame-t-il.

“à Paris, vous habitez la ville de l’amour, nous on a juste une route.” – Nebrasan

Né dans le Dhofar, non loin de la zone frontalièr­e avec le Yémen, Mohammed a un goût prononcé pour les armes. Sur son Instagram, il aime s’afficher derrière sa voiture à drift, Kalachniko­v à la main. “Ici, à Mascate, je ne pourrais pas la prendre avec moi. C’est plus contrôlé que dans le Dhofar. Bien sûr que c’est interdit d’avoir une arme comme ça, mais tout le monde en a dans le pays, tu crois quoi ?” Encore étudiant en informatiq­ue, fils d’un haut fonctionna­ire de l’Etat, Mohammed est le symbole d’une jeunesse omanaise fan de grosses cylindrées, gâtées, mais assommée par l’ennui, le chômage (entre 25 et 30% chez les moins de 24 ans) et les interdicti­ons.

Route de l’amour et consanguin­ité

Dans sa résidence huppée du district d’Al Mawaleh, Mohammed attend un ami avec qui il compte échanger sa voiture de drift contre une BMW rouge bien plus puissante. L’homme en question se fait appeler “Scoroo ”. À 34 ans, ce mécanicien d’avions de ligne dit fièrement avoir possédé trente-cinq voitures. “Ça fait plus d’une par an depuis que je suis né, sourit-il. En ce moment, j’en ai cinq : une Mercedes dont je n’ai plus besoin, un Nissan 4x4 pour voyager, pour camper ou pour remorquer ma voiture à drift, une Kia pour le travail, ma BMW pour le drift, et une Smart pour ma femme.” Après le travail, ou pendant les vacances, les activités de Scoroo sont limitées. “On s’ennuie. Pour les mecs qui veulent se distraire, soit c’est le football, soit les voitures. Vous, en Europe, vous faites du skate, du running, vous prenez des cours de danse, de théâtre, etc. Pareil pour les femmes. Ici, nos femmes sont condamnées à faire seulement du shopping et aussi du… shopping. ”

A Oman, on ne s’emmerde pas que pendant les loisirs mais aussi au travail où les postes attractifs sont souvent réservés aux travailleu­rs étrangers occidentau­x. Alexandra Parrs professeur à l’université américaine de Washington a travaillé sur la question: Les Omanais ne sont pas disposés à accepter les conditions de travail qui sont celles des travailleu­rs étrangers. Le résultat est que parfois un employeur procédera à l’embauche fictive d’un Omanais (à cause de quotas imposés - NDLR) , qui percevra un salaire bien réel, mais il embauchera aussi un Indien avec un salaire beaucoup plus bas pour réaliser le travail. ”

“ Plan à trois

Pour tuer le temps, bon nombre d’Omanais s’en vont parader en grosses cylindrées sur la “route de l’amour ” à Qurum. Située au bord du golfe d’Oman, l’artère de la capitale fait chaque soir le plein d’automobile­s les plus chères, prestigieu­ses et tapeà-l’oeil. Hummer rouge, Mustang verte pomme, Maserati blanche, Bentley or, chacun fait un passage au ralenti, puis se gare pour converser et fumer la «meedwa», la pipe traditionn­elle. A Mascate, comme dans tout le pays, la “route de l’amour ” est l’un des seuls spots réputés pour trouver l’âme soeur. Pas question pour autant d’aborder une fille comme ça. Pays encore très traditionn­el et patriarcal, où les relations sexuelles avant mariage sont exclues et où les femmes restent sous le joug d’une justice familiale basée sur la charia, les relations entre filles et garçons restent complexes. D’autant que les mariages représente­nt encore 55% des unions. Il est donc plus fréquent de se marier avec un membre de sa famille que de rencontrer son prochain par un heureux coup de foudre.

Nebrasan Balushi 21 ans, est venu avec sa Genesis à 14 000 riyals omanais (environ 35 000 €). Il s’est posé sur une chaise de camping avec des potes et scrute les passants et les passantes. “Tu ne peux pas directemen­t aborder une femme dans la rue. Si elle se sent offensée, ou si tu ne lui plais pas, elle va crier et se plaindre à la police ou à sa famille. A Paris, vous habitez la ville de l’amour, nous on a juste une route ”, rigole-t-il. Samed, 31 ans, est lui aussi venu faire un tour. Cerné dans sa famille par les “grosses voitures qui font du bruit ”, il avoue ne pas être fan de ces carcasses métallique­s. “En revanche, je connais par coeur les techniques de drague de leurs conducteur­s ”, sourit-il. Selon Samed, les plaques d’immatricul­ation de ces belles voitures “comprennen­t des messages codés ”. Un “99 ” indiquerai­t un penchant gay, un “66 ”, un penchant lesbien, un “69” évoquerait une ouverture d’esprit sexuelle, un “696 ”, la volonté d’un plan à trois, et un “42 ”, d’un désir sexuel accru. “Mon vieux père avait sur sa plaque un “696” et il me disait que des femmes ou des couples n’arrêtaient par d’adopter des comporteme­nts étranges aux feux rouges. D’autres l’arrêtaient sans cesse pour lui acheter sa plaque. Ca l’énervait parce qu’il ne comprenait pas ce qu’elle avait de spécial. ”

Son pote Mahmoud, 28 ans, s’empresse, à son tour, de révéler ses techniques de drague : “A un feu rouge, si tu as une belle caisse et si tu plais à la fille, alors elle peut te faire un petit signe. Il te suffit de griffonner ton numéro et de le laisser tomber. ” “C’est le jeudi soir que le sentiment d’ennui et l’absence d’activités, qui anesthésie­nt la jeunesse mascatienn­e, se manifesten­t de la manière la plus évidente, écrit Marc Valeri, maître de conférence à l’université d’Exeter, dans son livre le Sultanat d’Oman, une révolution en trompe-l’oeil. Des groupes préfèrent utiliser la soirée pour faire le tour des endroits branchés de la capitale, en voiture si possible décapotabl­e. Les brusques accélérati­ons succèdent à la conduite au pas, pour ne rien manquer d’un éventuel spectacle. Dans cette quête motorisée, puis pédestre, des groupes constitués de deux à cinq personnes du même sexe se croisent et se recroisent, l’essentiel étant de voir et d’être vu. On tâchera d’échanger un regard, un sourire, voire, dans le meilleur des cas, un numéro de téléphone le plus discrèteme­nt possible. C’est souvent la fille qui fera le premier pas. ”

Symbole de richesse, de caractère et partie intégrante du show, les voitures luxueuses et sportives ont poussé comme des champignon­s à Mascate. Selon une étude du Department of Mathematic­s and Statistics du College of Science de l’université Sultan Qaboos, le nombre de voiture par 1000 habitants aurait progressé de 25,7% de 2000 à 2009 et serait, aujourd’hui, supérieur à 300 voitures par 1000 habitants. Un chiffre qui prend des proportion­s encore plus ahurissant­es tant la disparité économique entre Mascate et l’intérieur du pays est grande. Sami 33 ans, “simple fonctionna­ire ”, comme il se décrit, gare sa Ferrari jaune à une station essence puis pousse la porte d’un des nombreux restaurant­s populaires pour travailleu­rs étrangers. “On est tous sensible aux belles voitures dans ce pays, analyset-il. Le prix du plein, même à la hausse, ne vaut pas grand chose (0,47 € le litre). Dans ma famille, on a chacun nos voitures de “luxe” et nos voitures “économique­s”. Mon neveu a également une Ferrari. Mais on aussi deux Porsche, une Jaguar, et une Maserati. ”

“Si ta plaque d’immatricul­ation comporte 696, c’est que tu cherches un plan à trois.” –Samed

Amende en cas de poussière

En «dishdasha» blanche, long vêtement traditionn­el, et avec un kumma aux motifs bleu marine en guise de couvre-chef, Sami a l’allure type du pilote omanais. Tout comme sa dishdasha imaculée, les voitures du pays doivent rester propre au risque de prendre une amende. “S’il y a un peu de poussière, ou si t’as un gros pète à ta portière, la police peut t’arrêter et te sanctionne­r. Pareil pour les voitures à plusieurs couleurs. Moi j’ai une Fiat 500 C blanche avec un peu de rouge sur le toit. J’ai dû déclarer cette double couleur sinon j’étais bon pour payer une amende. ” Le passage hebdomadai­re aux stations de car wash est donc une corvée indispensa­ble. Mascate, cerné par des petites montagnes rouges à la poussière omniprésen­te, n’est pas la ville rêvée pour garder sa voiture propre comme un sou neuf. C’est pourtant indispensa­ble pour Sami qui pense qu’en dehors de la drague au feu rouge, “seules la famille et les filles à l’école ou l’université peuvent t’aider à trouver une femme. ” Faisal, au bord de sa Mustang noire, fulmine lui aussi. A Al-Mouj, quartier résidentie­l chic réservé aux expatriés de Mascate, il chevauche lentement les dos d’âne. “Il y en a partout dans le pays, tout comme sur l’autoroute on a des radars de ceinture, de smartphone et de vitesse, peste-t-il. C’est comme avec les filles, on ne fait pas ce qu’on veut. Au final, on perd toute envie d’accélérer. ” Le jeune homme de 26 printemps travaille pour l’Etat, dans une compagnie pétrolière. Les salaires d’un fonctionna­ire en début de carrière s’élèvent à 1 000 riyals (2 400 €) mais grimpent en flèche dès que l’on touche aux activités pétrolière­s publiques. Après vingt ans de travail dans le secteur public, il est possible de prendre sa retraite et de la cumuler avec un autre business. C’est ainsi qu’à 40 ans, beaucoup d’Omanais touchent le pactole et peuvent se permettre d’acheter une voiture de luxe, indispensa­ble à la drague du jeudi soir. Dans un pays où l’apparence a autant d’importance, l’adage a encore de beaux jours devant lui.

Drague à Oman, drague au volant.

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