Playboy (France)

JOHNNY DEPP, “JE VEUX UNE VIE PRIVÉE”

En vingt ans, Johnny Depp a dépensé 480 millions de dollars et se retrouve aujourd’hui au bord du gouffre. Mais en 1996, l’acteur de 32 ans surfe sur le haut de la vague. L’occasion de s’épancher sur la célébrité, ses frasques avec Kate, Jarmusch, sa mère

- Interview Kevin Cook — Photograph­ies Kim Mizuno

Johnny Depp n’a pas très bonne mine. C’est du moins ce qu’il prétend. Les femmes sur Sunset Boulevard ne sont sûrement pas d’accord avec lui. Il allume une énième cigarette et commande un autre café tout en regardant une abeille se débattre dans un sac en plastique. Les insectes, c’est une affaire sérieuse pour Johnny Depp. Sa carrière est un autre sujet de discussion, mais qu’il prend beaucoup plus à la légère. D’autres se chargent d’alourdir le sujet. “Il est l’un des plus grands parmi les jeunes acteurs ”, affirme ainsi le réalisateu­r Emir Kusturica. Marlon Brando, Vincent Price, Faye Dunaway, tous disent la même chose. Brando, qu’il devrait jouer Shakespear­e, Dunaway, qu’il est un acteur superbe qui sait très bien embrasser. Hors écran, c’est l’amant de célèbres actrices et de superbes mannequins — Kate Moss depuis quelque temps. A 32 ans, Johnny Depp est une star sans avoir jamais joué dans aucun film à succès. Il a interprété un “monstre” dans Edward aux mains d’argent, porté un chapeau farfelu dans Benny & Joon, fait le garde-chiourme d’un frère attardé dans Gilbert Grape, incarné le “plus mauvais réalisateu­r du monde” dans Ed Wood : personne ne joue aussi bien la fragilité humaine que Depp. Les rôles que Depp a refusés aident à mieux cerner le personnage. il a décliné Speed, dont le rôle sera finalement joué par Keanu reeves ; idem pour Légendes d’automne, qui reviendra à Brad Pitt ; pour Entretien avec un vampire, Tom Cruise récupèrera le rôle. Après Sunset Boulevard, direction le Viper room, le club dont il est le copropriét­aire avec Chuck E. weiss : des murs noirs, des miroirs et des banquettes noires. Profondéme­nt installés, nous entamons plusieurs heures de discussion.

P — Pourquoi avez-vous appelé cet endroit le Viper room ?

JD — En hommage à un groupe des années 30 qui s’appelait Vipers. C’était de gros fumeurs d’herbe et des précurseur­s de la musique moderne. (Il allume une cigarette.) Vous savez pourquoi c’est bien d’avoir votre propre club ? Les allumettes sont gratuites.

P — Avez-vous pensé à arrêter de fumer ?

JD — Nan. Je pense que si vous trouvez quelque chose dans quoi vous êtes bon, vous devez vous y tenir. Toutefois, je suis passé aux cigarettes plus légères. Et puis il m’est arrivé de monter les escaliers en étant essoufflé, alors j’ai réduit ma consommati­on.

P—Vous refusez régulièrem­ent des films grand public pour d’autres comme Dead Man de Jarmusch. Combien avezvous touché pour ce film ?

JD — Moins que mes dépenses durant le tournage. Mais c’est un film poétique. J’ai fait Dead Man pour pouvoir travailler avec Jim Jarmusch. Je fais confiance à Jim en tant que réalisateu­r, c’est un ami et un génie.

P — Comment voyez-vous votre carrière ? C’est quelque chose que vous sculptez progressiv­ement, un travail sur le long terme ?

JD — C’est plus simple que ça. Je regarde l’histoire et le personnage, puis je me demande :“Puis-je ajouter des ingrédient­s pour faire une bonne soupe ? ” il y a comme un fil rouge qui court à travers les gars que j’ai joués. ils sont étrangers. ils sont d’une société de parias, et je pense que l’on doit défendre des gens comme ça. Mais je n’ai rien planifié.

P — Vous n’étiez pas pressenti pour Edward aux mains d’argent jusqu’à ce que Tim Burton vous rencontre et soit séduit. Vous a-t-il dit pourquoi ?

JD — Tim n’est pas quelqu’un qui verbalise beaucoup, mais il m’a dit que cela avait un lien avec mes yeux :ils avaient l’air d’avoir vécu plus d’années que je n’en avais réellement vécues.

P—Vos choix de carrière font penser que vous êtes allergique aux succès du box-office. N’êtes-vous pas tenté de faire un blockbuste­r, un Batman, par exemple, pour financer vos projets de films plus… “excentriqu­es ” ?

JD — Ce démon me parle parfois. il à même été mon meilleur ami. il me dit :“Tourne dans deux films commerciau­x, des blockbuste­rs, et tu pourras faire ensuite des petits films indépendan­ts ou expériment­aux. ” J’y ai pensé, mais je n’y crois plus. J’aurais l’impression de me trahir moi-même et trahir ceux qui apprécient mes choix. Pour moi, les choix de carrière doivent être un peu plus purs, naturels.

P—Donc, êtes-vous satisfait de vos choix ?

JD — Plutôt, oui. Je tente de faire des films pour de bonnes raisons, et certains films que j’accepte ne sont pas a priori des films “excentriqu­es ”. Pour moi, Ed Wood n’était pas un petit film même s’il n’a finalement rapporté que dix dollars.

P — Vous avez produit Divine Rapture, un film insolite avec en covedette Marlon Brando. Tout a foiré pour une histoire d’argent et tout le monde a été renvoyé à la maison. racontez-nous.

JD — oui, c’était très… désagréabl­e. on était en train de tourner et puis, une minute plus tard, il n’y avait plus d’argent. C’était comme si au milieu de l’acte sexuel, juste avant l’orgasme, un gars rentrait dans la pièce avec une arme à feu et disait :“Arrêtez tout de suite ! ” C’est très pénible, parce que vous vous rappelez que vous êtes dans l’industrie du cinéma, focalisée sur l’argent.

P — Vous souvenez-vous de la première fois où vous vous êtes vu à l’écran ?

JD — Ça m’a rendu malade. J’ai assisté au montage des Griffes de la nuit De wes Craven. J’avais 21 ans, et je ne comprenais pas ce qui se passait. C’était comme se regarder dans un grand miroir. Ce n’était

“LA CÉLÉBRITÉ, LA GLOIRE ET TOUT LE RESTE, C’EST UN DANGER POUR MON MÉTIER.”

pas mon apparence qui me dérangeait – je ressemblai­s à un geek dans le film –, c’était de me voir vouloir ressembler à un geek. Je n’ai pas vomi, mais presque.

P—Comme Hollywood vous rend malade, vous partez régulièrem­ent à Londres ou Paris avec Kate Moss. à quoi essayez-vous d’échapper ?

JD — La gloire, la célébrité ce n’est pas une grosse affaire en Europe. Les gens semblent comprendre que vous avez juste un travail bizarre. ils ne sont pas en train de vous courir après et essayer de vous tailler en morceaux. C’est plus étrange aux Etatsunis. La plupart des fans sont corrects, mais il y en a une poignée qui a vu vos films et qui pense vous connaître, avoir le droit de vous toucher ou de poser des questions très personnell­es.

P — Comme nous le faisons maintenant ?

JD — Je suis sélectif au sujet de mes interviews. Je peux arrêter de les faire, aussi, parce qu’il y a toujours ce sentiment de viol par la suite. Et aussi un sentiment de stupidité d’avoir parlé de moi pendant des heures.

P—Vous aimeriez ce boulot sans avoir l’inconvénie­nt de la lumière, en fait ?

JD — il n’y a rien de pire qu’un acteur riche qui dit :“oh, ma vie est si difficile. ” J’ai de la chance d’avoir ce travail, mais la célébrité, la gloire et tout le reste, c’est un danger pour mon métier. Peut-être devrais-je faire ce que Marlon Brando a fait il y a trente ans :acheter une île, emmener ma copine et quelques amis et y aller pour dormir, lire, nager, avoir des pensées claires. Vous ne pouvez pas vraiment faire ça ici. Vous ne pouvez pas être normal, pas avec les gens qui vous arrêtent à n’importe quel moment pour vous poser des questions bizarres. Vous ne pouvez pas sortir en ville pour prendre une tasse de café, mettre votre doigt dans le nez ou ajuster votre paquet (il met sa main sur son entrejambe), vous voyez ?

P—Donc, il y a une île sur votre liste de Noël ?

JD — S’il y a quelque chose que je veux vraiment, c’est une vie privée. D’où l’idée d’une île. Avec de l’argent, vous arrivez à aider votre famille, et c’est une bonne chose. Vous pouvez acheter la montre que vous voulez aussi. Mais ce que vous payez le plus cher, c’est la simplicité. Vous utilisez votre argent pour acheter votre vie privée. La chose la plus importante pour un acteur, c’est d’observer les gens. Quand vous devenez célèbre, non seulement ce n’est plus possible mais, en plus, ce sont les gens qui vous observent. Tout le temps.

P—Certaines choses doivent être agréables, quand même…

JD — oui, quand les gens viennent vous voir pour vous dire :“J’ai vraiment aimé Don Juan DeMarco, signez ma serviette s’il vous plaît. ” Mais, parfois, ça va trop loin quand on vous demande :“Puis-je vous embrasser ? ”, “Quelle est votre pointure ? ”, “Qu’avez-vous dans votre porte-monnaie ? ”, “Puis-je avoir votre chapeau ? ” Quand on tournait Dead Man, je traînais avec Jarmusch et l’équipe de tournage, un gars s’approche de nous. “Salut, Johnny, voulez-vous prendre un verre avec moi ? ” Moi :“Non merci, c’est gentil. ” il me répond :“Ecoutez, vous pouvez vraiment m’aider. Ma femme et moi on se sépare, mais je veux rester avec elle. Elle est très fan de vous.” il voulait que j’aille chez lui pour faire le médiateur de son divorce ! Les choses vont parfois trop loin.

P—Vos fans féminines vous envoient aussi pas mal de petites attentions personnell­es…

JD — Des photos nues par courrier, oui. Des tonnes de photos. Certaines sont assez belles – bien éclairées, en noir et blanc, mystérieus­es. il y en a de très… “primitives ” aussi. Ensuite, il y a les poils pubiens. J’ai reçu beaucoup de poils par courrier. Je pourrais créer un rituel pour les brûler, mais je ne suis pas sûr de vouloir les toucher, donc je les jette.

P—Allez-vous vous marier avec Kate Moss ?

JD — J’aime Kate plus que tout. Mais de là à mettre nos noms sur un papier, faire des voeux publics étranges signifiant la propriété, ce n’est pas pour maintenant.

P — Etes-vous monogame?

JD — Je le suis, en effet. Je ne lui ferai pas de mal et j’espère qu’elle ne me fera pas de mal non plus. La fidélité est importante tant qu’elle est pure. Mais quand ça va à l’encontre de vos entrailles, si vous rêvez d’ailleurs, si elle veut essayer autre chose, alors le changement est nécessaire. Je ne suis pas sûr que tout être humain soit fait pour être avec une personne pour toujours et à jamais, amen. Mes parents ne l’ont pas fait:mon père est parti quand j’avais 15 ans, et peut-être… peut-être que dans mes relations, j’ai tenté de rectifier les erreurs de mes parents en jouant l’amour des contes des fées. J’ai essayé de résoudre la peur de l’abandon que nous avons tous en nous. Quoi qu’il en soit, ça n’a pas marché. Cela ne veut pas dire que je n’aimais pas les filles superbes avec qui j’étais. Sur le moment, je ressentais quelque chose d’intense, mais était-ce l’amour ? Je ne sais pas. Alors, aujourd’hui, je ne peux pas dire que je peux aimer quelqu’un pour toujours.

P — que vous apporte Kate ?

JD — C’est une fille super, très intelligen­te, et une top joueuse : elle me bat facilement au jeu des cartes – gin rami. Nous sommes une bonne équipe aussi parce qu’elle a un sommeil léger. Moi, vous pourriez me frapper avec une batte de baseball que je ne me réveillera­is pas. Elle, elle peut se réveiller en disant :“C’était bien une épingle qui est tombée ?” Je me sens protégé.

P — Pourtant, vous vous battez régulièrem­ent, semble-t-il…

JD — C’est le jeu des journaux, des plus grossiers aux plus sophistiqu­és comme le Time ou Newsweek, tout ça pour vendre leur papier, ces bâtards. il semblerait que Kate et moi nous soyons battus dernière-

“IL Y A LES POILS PUBIENS. J’AI REÇU BEAUCOUP DE POILS DE FANS PAR COURRIER.”

ment dans un hôtel à New York, un vrai match de boxe avec engueulade­s dans le hall de l’hôtel. Pour nous, c’était assez magique, car nous étions en France à ce moment-là.

P—Allons, il y a d’autres faits plus avérés. qu’est-il arrivé le 13 septembre 1994, lorsque vous avez fracassé une chambre à l’hôtel Mark de New york ?

JD — C’était un mauvais jour pour moi. Je pense que nous avons tous des jours comme celui-là, mais si quelqu’un d’autre avait fait ce que j’ai fait, ça n’apparaitra­it pas dans les journaux. un gars de la sécurité est venu à ma porte, et je lui ai dit :“Je suis désolé, j’ai cassé quelque objets. Je vais vous rembourser. ” Mais non, ce n’était pas assez. Je suis allé en prison. Le lendemain, l’affaire était traitée dans les journaux au même niveau que l’invasion d’Haïti. imaginez si j’avais frappé quelqu’un. Voilà mon quotidien !

P—Pourquoi les gens célèbres ne tombent amoureux que d’autres célébrités?

JD — Probableme­nt parce qu’on a des amis en commun, on se déplace dans les mêmes cercles. C’est comme quand vous travaillez dans une usine, vous vous faites des amis parmi les autres ouvriers. Et puis vous fréquentez des endroits où vous êtes un peu plus à l’abri de la surexposit­ion.

P — Avec le Viper room, vous avez acheté une sorte de refuge ?

JD — La vie est plus facile ici. Je peux prendre quelques bières ou un verre de vin, me lever et jouer de la guitare avec des amis. Tous les jeudis soir, c’est la soirée Martini, un bon moment. une des meilleures nuits, c’est quand Johnny Cash a joué ici. il se confondait avec le décor noir, c’était juste une tête flottante. Merveilleu­x.

P—Vous avez dit que les “fictions” des journalist­es vous agacent. quelle était la pire ?

JD — Quand River Phoenix est décédé, il était ici, dans mon club. Même si c’est très tragique et très triste, ils ont écrit des tonnes de mensonges pour vendre leurs foutus magazines. ils ont dit qu’il faisait du trafic de drogues dans mon club, et que j’y autorisais la consommati­on de drogue. Quelle idée ridicule ! “Eh, les gars, je vais investir beaucoup d’argent dans cette boîte de nuit pour que tout le monde puisse venir et consommer de la drogue. Je pense que c’est une bonne idée, pas vous ? En plus, nous ne serons jamais découverts car ce n’est pas comme si c’était un lieu de standing, n’est-ce pas ? ” Ce mensonge était ridicule et irrespectu­eux envers River. Et puis imaginez les parents d’une barmaid qui travaille ici et qui lisent ça depuis l’oklahoma, par exemple. Que vont-ils se dire ? “Mon dieu, elle est au beau milieu de ces monstres d’Hollywood ! ”

P — Comment avez-vous réagi face à tout cela ?

JD — J’ai fermé le club pour quelques nuits. Je ne voulais pas déranger les fans de River qui apportaien­t des messages et des fleurs. J’ai fait une déclaratio­n à la presse :“Allez vous faire foutre ! Je ne manquerai pas de respect à la mémoire de River et je ne participer­ai pas à ce foutu cirque. ”

P — Cela ne vous fait pas bizarre de passer régulièrem­ent à côté de l’endroit où river est mort ?

JD — Au début, oui. Je ne pouvais pas être au club sans y penser. Plus tard, j’en suis venu à la conclusion que ça n’avait rien à voir avec l’endroit. il n’a été là que très peu de temps. Cela n’a rien à voir avec l’endroit, vraiment. Ce qu’il a pris était un poison, et nous n’y pouvons rien.

P—Parlons de votre enfance. quel est votre premier souvenir ?

JD — J’aimais attraper des lucioles, ces beaux et fascinants insectes, avec une petite voisine. La nuit durant laquelle les astronaute­s sont allés sur la lune, son père est sorti de la maison, a levé les yeux au ciel et a dit de toute son âme :“Quand un homme mettra son pied sur le visage de la lune, la lune deviendra ensanglant­ée.” Je me souviens avoir pensé :“Bon sang, j’ai 6 ans et c’est un peu trop compliqué pour moi. ” Je suis resté à regarder la lune. C’était un grand soulagemen­t qu’elle n’ait pas changé.

P — N’avez-vous pas un oncle qui était un fervent prédicateu­r ?

JD — oui. il m’a transmis un sens bizarre de la religion. C’était comme une pièce du théâtre de le voir prêcher sur son pupitre. il se mettait à pleurer en glorifiant le Seigneur. Ensuite, les adultes hurlaient :“ALLÉLuiA ! ”, levaient leurs mains au ciel puis se mettaient à genoux en rampant vers lui pour embrasser ses chaussures. Je ne dis pas que mon oncle était nul, c’était un bon gars, mais je n’aimais pas cette dualité – le voir se comporter normalemen­t à la maison et d’une autre façon derrière son pupitre. Pourquoi le Seigneur vous parlerait-il uniquement à l’église ? Pourquoi ne vient-il pas vers vous quand vous êtes dans la salle de bains ou quand vous êtes en train de griller vos saucisses sur le barbecue ?

P—Enfant, avez-vous rêvé de devenir une star de cinéma ?

JD — À 4 ou 5 ans, je m’imaginais en Matt Helm, l’espion que Dean Martin a interprété. Je voulais aussi être James Coburn dans Notre homme Flint. Ces gars avaient toutes les femmes qu’ils voulaient.

P — Vous étiez enfant quand votre famille a déménagé du Kentucky à Miramar en Floride.

JD — Nous déménagion­s comme le font les gitans. De mes 5 ans à mon adolescenc­e, nous avons changé trente ou quarante fois de maison. Ça a sûrement influencé ma vie nomade d’aujourd’hui. Je pensais qu’il n’y avait rien d’anormal là-dedans. Nous avons vécu dans des appartemen­ts, dans une ferme, dans un motel. Ensuite, nous avons loué une maison et, une nuit, nous

“J’AVAIS SÉRIEUSEME­NT ENVISAGÉ DE REJOINDRE LES MARINES PARCE QUE JE NE VOULAIS PAS ÊTRE UN LOSER.”

sommes même passés de là à la maison voisine.

P— A quel âge avez vous perdu votre virginité ?

JD — J’avais 13 ans, je jouais de la guitare dans un club, il y avait une fille qui était un peu plus âgée et qui tournait autour de nous pour nous écouter. Elle était vierge, elle aussi. Ce soir-là, nous avons couché ensemble. Ça s’est fait dans la camionnett­e du contrebass­iste, une Ford bleu. Je savais ce qu’il fallait faire, j’avais étudié le sujet depuis de nombreuses années. C’est un agréable souvenir, très doux. Elle est devenue ma copine pendant un certain temps, mais nous avons perdu contact.

P—Vous aviez 15 ans lorsque vos parents se sont séparés. Betty Sue, le nom de votre mère, est tatoué dans un coeur sur votre bras gauche.

JD — Elle était très malade. Sa vie telle qu’elle l’avait connue depuis vingt ans était terminée. Son partenaire, son mari, son meilleur ami, son amant, venait de la quitter. Je me sentais écrasé qu’il l’ait quittée. Mais mes sentiments étaient secondaire­s, je devais penser à ma mère. Toute mon attention était centrée sur comment faire pour qu’elle surmonte ces moments difficiles. Ce qu’elle a finalement fait, et maintenant tout le monde est assez oK. Je suis même en bons termes avec mon père.

P—A 17 ans, vous abandonnez l’école. Votre famille ne vous en a pas dissuadé ?

JD — Non, ils se sont montrés très compréhens­ifs. D’autres personnes, en revanche, les amis de la famille, se disaient que j’étais un vrai débile. Quand j’ai quitté l’école, j’ai ressenti beaucoup d’insécurité. Je me disais :“Mais qu’est-ce que je vais faire ? Je ne suis personne. Je suis foutu, les gens ont raison. ” J’avais sérieuseme­nt envisagé de rejoindre les Marines parce que je ne voulais pas être un loser. Je pensais que si je rejoignais les Marines et que j’apprenais à accepter l’autorité, je pourrais peut-être devenir un gars normal.

P—Alors pourquoi n’êtes-vous pas devenu “colonel Depp ” ?

JD — Parce que mon groupe de musique, The Kids, a commencé à avoir un certain succès.

P — The Kids jouait à côté de grands musiciens quand ils venaient en Floride. il y a même une histoire légendaire sur Iggy Pop et vous…

JD — Nous avons fait les premières parties des concerts des Ramones, des Pretenders, des Talking Heads. Et nous avons fait celle d’iggy, un soir. Après le spectacle, j’étais assez ivre, alors j’ai commencé à l’insulter en criant comme un ado :“Iggy Merde ! T’es qui ? iggy Slop ?! ” il a pris mon visage dans ses mains et a dit :“Toi, petite merde. ” Ensuite, il est parti. J’étais très content de moi, bien sûr. J’ai regardé le contrebass­iste et je lui ai dit :“Oui, ça, c’est Iggy. C’est un dieu. ”

P—quelques années plus tard, il a joué un second rôle dans Cry-Baby de John waters. Il vous a reconnu?

JD — Non, il a dit qu’il n’avait pas de souvenirs de ces années-là.

P — un peu plus tard, le groupe a explosé alors que vous rêviez de conquérir Los Angeles. que s’est-il passé ?

JD — Nous nous sommes disputés, et je ne pouvais plus compter ni sur le batteur ni sur le contrebass­iste. Je suis resté seul. Je devais travailler. Je faisais du télémarket­ing pour vendre des stylos. La meilleure chose dans ce travail, c’était la possibilit­é d’utiliser le téléphone:appeler la famille en Floride sous prétexte de leur vendre des stylos. Quand le patron passait à côté de moi, je disais : “Combien de stylos voulez vous, trois cents ? Deux lots ? ” une fois le boss parti, je chuchotais :“Maman, tu es là ?”

P — C’est là que vous devenez ami avec Nicolas Cage…

JD — Nous sommes devenus amis grâce à la musique quand je faisais partie du groupe. il avait déjà joué dans Valley Girl, Rusty James et Cotton Club, donc je le connaissai­s en tant qu’acteur. Mais je ne comptais pas le devenir moi-même. on trainait juste ensemble.

P — Cage a organisé pour vous une audition pour les Griffes de la nuit et vous l’avez passée avec succès.

JD — Mais même après ce premier film, je ne pensais pas qu’il allait y en avoir d’autres. Moi, je voulais jouer de la guitare ! Mais comme le groupe avait été dissous et que j’avais besoin d’argent pour payer le loyer et mes cigarettes…

P — Après les Griffes de la nuit, vous jouez dans 21 Jump Street. il paraît que vous détestiez cette série qui vous a rendu célèbre. Avez-vous vraiment pensé que 21 Jump Street était “fasciste ” ?

JD — Bien sûr qu’elle l’était. Des flics à l’école ? Je veux dire, des mauvaises choses peuvent arriver dans des écoles, mais rien de pire que les flics à l’école ! La série était moralisatr­ice, accusatric­e et hypocrite parce que les gens qui la dirigeaien­t étaient les plus drogués des plus drogués. C’était une vraie foutaise. J’ai été malheureux de vivre cette hypocrisie pendant trois ans, mortifié.

Aujourd’hui, votre mère est-elle fière de vous ?

JD — Parfois, elle me regarde et dit :“Mon Dieu, arriver à tout cela en partant d’une vie dans un motel…” Elle est encore un peu sous le choc. Moi aussi, je suis probableme­nt plus choqué que quiconque. Avoir la possibilit­é de gagner de l’argent en faisant des grimaces et en racontant n’importe quoi ! Quand tout a commencé, il y a huit ans, elle travaillai­t encore comme serveuse. Les clients lui disaient :“Eh, mais vous êtes la mère de Johnny Depp ! ”, et elle en était fière. Par la suite, ça pris une autre dimension et, aujourd’hui, c’est beaucoup moins confortabl­e. A qui pouvez-vous faire confiance ? Qui est sincère et qui ne l’est pas ? Je pense qu’elle doit être lassée de tout ça.

“MAIS QU’EST-CE QUE JE VAIS FAIRE ? JE NE SUIS PERSONNE.”

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