Playboy (France)

ULTRA, C’EST MAGIQUE ?

Si les ultras montrent à nouveau leur bout du nez au Parc des Prince, d’autres ont abandonné les tribunes, les tifos et les fumigènes. Comme Nader, qui raconte son amour immodéré du PSG, ses désillusio­ns et son retour sur le sentier de la normalité.

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Fin des années 2000. Nader a son bac en poche. Comme beaucoup, il s’inscrit en fac. Pour lui, ce sera mathématiq­ues et informatiq­ue. Sans le savoir, Nader est parti pour quelques années de paresse, mais aussi de purs moments d’excitation. Ces spasmes de virilité, hauts en décibels et en démêlés judiciaire­s, il ne les trouvera pas sur les bancs de la fac, plutôt auprès de quelques loustics rencontrés sur le tas, en pleine banlieue parisienne. « J’avais des prédisposi­tions : je regardais déjà Téléfoot le dimanche matin avec okocha et Rai dans les années 90. Mes potes ne parlaient que du PSG, alors j’étais déjà dedans. » il a la fibre du supporter, une proliférat­ion cellulaire encore non révélée aux rayons X. En quelques années, Nader va se transforme­r en ultra du PSG. L’expression fait frémir et fantasmer : pour toute personne normalemen­t élevée aux médias mainstream, l’ultra est un homme blanc, violent, tatoué, au sang chargé en éthanol et bagarreur. « Chez les ultras, il y a plein de types aux profils sociaux qui différent, nuance Nader. il y a le gars qui se fait chier dans sa vie et veut ajouter une touche de folie, celui qui vient prolonger son casier déjà fourni, d’autres qui viennent au contraire y défouler leur colère d’une manière saine, des étudiants en perdition, des cadres passionnés, des maçons, des banlieusar­ds, des racailles, des beaufs… En fait, c’est un monde où tu peux rencontrer des gens qui n’ont rien à voir avec toi. Ce qui est assez rare aujourd’hui à Paris. »

MICROBES ET DYNASTIE

Nader rentre dans les rangs ultras vers 18-19 ans, après quelques conversati­ons « avec des gars » au Parc des Princes. Au fur et à mesure, les gars en question deviennent des amis qui lui proposent de rejoindre les Microbes, une section d’un centaine de membres des Supras Auteuil, l’asso située derrière un des buts du Parc des Princes. Pour préparer les matchs du PSG à domicile, les rendez-vous s’enchaînent dans le Val-de-Marne chez un autre ultra au salon vidé de meubles et uniquement destiné à la confection de banderoles géantes et de tifos. Nader y passe ses week-ends, puis tous les jours de la semaine. Des journées entières à fomenter des chants, des actions bruyantes, « des coups » en rapport avec les dernières actualités du PSG. « Quand tu rentres dans un groupe de potes qui partagent exactement le même centre d’intérêt, tu peux difficilem­ent décrocher. on fumait, on buvait jusqu’à la tombée de la nuit et on préparait le matos avant le match. Pour ça, on allait dans un magasin de bricolage et on s’y mettait tous en matant des vidéos d’ultras d’autres pays, pour l’inspiratio­n, se remémore-t-il, avant d’ajouter : J’ai vite commencé à sécher les cours. »

PANAME UNITED COLORS

Le jeune homme devient un néo-ultra au plus mauvais moment. Le 18 mai 2010, la mort d’un supporter parisien, tué à la suite de confrontat­ions entre les ultras des tribunes Auteuil (tendance banlieue) et Boulogne (tendance blanche), déclenche un séisme. « Les bastons entre groupes ultras étaient politiques, mais aussi sociales car, entre différents groupes, il y avait des jalousies autour de celui qui faisait le plus de bruit, par exemple, précise Nader. Quand tu deviens ultra, tu choisis ton camp en fonction de tes premières affinités. Chaque groupe a sa propre identité. Par exemple, le Paname united Colors (PuC) était très politisé et antifascis­te, alors que Lutece Falco voulait rester apolitique. Donc quand un groupe en croisait un autre, ça pouvait en venir aux mains… » Le « plan Leproux », initié au printemps 2010 par Robin Leproux, alors président du club parisien, vise à pacifier les tribunes du Parc des Princes. Les placements aléatoires des supporters parisiens annihilent complèteme­nt l’organisati­on des groupes ultras francilien­s et leurs multiples ramificati­ons. Tout vole en éclat et la guerre est déclarée entre les supporters et la direction du club. Les ultras parisiens boycottent le Parc des Princes tandis que se prépare la vente du club aux Qataris. « Les associatio­ns se sont dissoutes, se rappelle Nader. Les gros groupes se sont morcelés en une myriade de petits groupes incontrôla­bles. Parfois, t’avais vingt mecs qui s’autoprocla­maient “groupes ultras”. C’était comme après la fin d’une dynastie, où plein de petits Etats prennent leur indépendan­ce. »

COUVRE-FEU ANTI-SUPPORTER

Nader reste fidèle aux Microbes tout en boycottant le Parc. L’empreinte de la banlieue populaire est omniprésen­te dans sa bande. Les jeunes qui y militent ne croient plus en la politique et sont souvent confrontés à la précarité sociale et au chômage. Nader s’en contrefout : il a le sentiment que la direction parisienne a volé la gouverne de son club. Avec ses potes, il doit se contenter de déplacemen­ts dans toute la France où les ultras ont le droit de se réunir pour craquer quelques fumigènes et cracher sur la direction. « Lors de nos déplacemen­ts, tout était structuré. on louait un bus à une compagnie, on était ensuite escorté par la police. Avant le match, on buvait et gueulait toute la journée. on craquait des fumis, des pétards. Crois-moi, toutes les villes nous ont entendus. »

Dans les médias, on se félicite du plan Leproux et des spectateur­s amorphes, qui s’enlacent, sourient et consomment. Les ultras parisiens sont, eux, épiés à chaque débordemen­t. Nader sent le vent tourner et la répression monter. « Je me souviens que pour un déplacemen­t à Arles-Avignon, ils avaient carrément instauré un couvre-feu anti-supporter. un truc qui, je crois, n’était pas arrivé depuis la guerre d’Algérie. » A Saint-Etienne, après quelques verres d’alcool, Nader craque un fumigène en pleine tribune. « Avec l’euphorie de l’alcool, j’ai oublié de masquer mon visage. Du coup, on m’a retrouvé grâce aux caméras dans le stade et on m’a embarqué direct. »

DÉSILLUSIO­N ALLEMANDE

un an d’interdicti­on de stade et l’obligation de pointer au commissari­at, tous les jours de match, au début et à la mi-temps. « J’ai grossi car, je finissais toujours au grec à proximité du commissari­at, rigole-t-il. Ces sanctions m’ont calmé et j’ai commencé à avoir d’autres centres d’intérêts. » un dernier baroud d’honneur le décidera à quitter définitive­ment les Microbes et les marges du monde ultra : « Le PSG jouait un match de Ligue des champions à Leverkusen contre le Bayer 04. Avec les Microbes, nous sommes partis en bus. on a débarqué à Maastricht pour faire nos courses en drogues, puis on a filé vers la frontière allemande. » Peu après l’arrivée en Rhénanie-du-Nord-westphalie, deux camions remplis de policiers allemands escortent le groupe. « Mais au lieu d’aller au stade, ils nous ont dirigé vers une aire d’autoroute remplie d’une trentaine de fourgons de polices. Des hélicoptèr­es quadrillai­ent le périmètre et volaient audessus de nos têtes. ils avaient même apporté des chiottes portables car on allait rester avec eux un moment. » Tout le monde a pour ordre de ne pas bouger jusqu’à la fin du match. « Au début, ils prétextaie­nt que notre chauffeur n’était pas autorisé à finir le trajet en raison de son quota d’heures de conduite. Alors, on a appelé la compagnie et un nouveau chauffeur est venu. Mais ils ont continué de refuser et nous ont pris tous nos fumigènes. » Le suivi du match se fera, les oreilles collées à une faible radio. « Ce jour-là a sonné la fin. » Depuis, Nader a repris les études et perdu du poids. Au Parc des Princes, une nouvelle génération a pris la relève.

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Photograph­ies Les Microbes
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