Playboy (France)

“Je ne suis pas un séducteur, je ne suis pas un coureur, même si j’aurais bien aimé.”

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Le libéralism­e sur lequel repose votre parcours doit-il se décliner dans le domaine des moeurs ?

Je fais partie de ceux qui pensent que tu peux faire ce que tu veux de ta vie du moment que tu es heureux et que tu le fais dans le respect des autres. Donc je suis très tolérant, très ouvert même si moi, dans ma vie privée, je suis plutôt dans le contrôle.

D’ailleurs, votre compagne dit de vous : “S’il lâche quelque chose, il a l’impression que c’est une faiblesse.” Pas de lâcher prise, donc ?

J’ai un exemple très concret pour illustrer ça. Je suis allé à Burning Man (un festival dans le désert de Black Rock au Nevada NDLR), un endroit où on peut expériment­er toutes les drogues en libre-service. Bon, je n’ai rien pris. Je le regrette. Qu’est-ce que ça m’aurait coûté de me défoncer dans le désert avec tous ces gens ? Mais voilà, je ne vais pas au-delà d’une certaine ligne. De l’excès et de l’inconnu.

Monter le plus grand site de rencontres en Europe, relevait autant du business que d’une démarche sociétale ?

C’est assez étonnant, oui. Mais je l’ai compris bien après. Enfant, j’avais souffert du manque de communicat­ion. Or à mon insu, j’ai inventé un système ou la relation passait par l’écrit. Car, finalement, Meetic, c’est quoi ? Une rencontre épistolair­e derrière un écran. On séduisait par les mots plus que par la photo. Meetic a rendu le pouvoir aux mots, à la séduction, à l’échange. Non pas que j’étais un marieur dans l’âme, mais donner le pouvoir à la parole et aux mots c’est quelque choses que j’avais au fond de moi.

Et vous, comment vous y prenez-vous pour draguer ?

Nul. J’ai eu une vie sentimenta­le extrêmemen­t calme. Trois ou quatre grandes histoires, dont vingt-trois ans de mariage. Je ne me suis jamais servi de Meetic, même si j’ai un peu claironné que le jour où je divorcerai­s, je m’inscrirais et qu’on verrait ce qu’on verrait. Finalement, je ne me suis jamais inscrit.

Après votre divorce en 2013, vous est-il arrivé d’embrasser une sorte de frénésie sexuelle ?

Oui, à très petit niveau. Je me suis complèteme­nt perdu. C’était une période où je ne savais plus où était le haut, où était le bas. J’ai essayé tous les modes de vie en me disant : “Est-ce que je suis vraiment fait pour être marié, séduire ?” Finalement, je n’ai pas eu de surprise, j’étais celui que je croyais être. Donc oui, je me suis perdu, mais pas très longtemps. Pendant une semaine, j’ai rencontré cinq filles en me disant : “Tiens, c’est formidable, je suis capable de le faire.” Et puis, finalement, ça m’a rendu très malheureux parce que je me suis attaché aux cinq. N’importe quoi. Je ne suis pas un séducteur, je ne suis pas un coureur, même si j’aurais bien aimé.

Ça vous aurait apporté quoi ?

Tu vois tes copains qui font ça. Après tout, c’est rigolo, c’est léger, pas engageant. Or j’ai du mal à ne pas m’engager. Je me retrouve toujours dans des situations catastroph­iques. Chacun est doué pour un sport, et celui-ci n’est pas le mien.

Revenons au libéralism­e. A-t-on le sentiment de trahir le milieu modeste d’où l’on vient quand on devient l’une des cinq cents plus grandes fortunes en France ?

Oui. En 2000, la première fois où j’ai gagné de l’argent, avec la vente d’iFrance à Vivendi, j’ai tout fait pour inconsciem­ment le perdre et j’ai très bien réussi ! Ça a été la faillite (la transactio­n est payée en grande partie en actions Vivendi, dont le cours s’effondre juste après - NDLR). Sur le moment, j’ai cru que cette faillite était le drame de ma vie. Trois-quatre ans très très durs. La bonne dépression. Je n’avais plus d’énergie, je ne pouvais plus avancer. Je me suis lancé dans une psychanaly­se, un univers qui n’était pas du tout le mien. Ça m’a passionné, j’ai même failli devenir thérapeute.

Quel a été le résultat de cette thérapie ?

J’ai reconstrui­t mon histoire à l’envers et j’ai compris quel était le moteur qui faisait que je courais dans tous les sens : une énorme absence de mes parents et le silence, qui explique pourquoi j’ai appris à me débrouille­r tout seul. Surtout, je me suis aperçu que cette faillite a été la plus belle chose qui me soit arrivée. il a fallu que je reparte de zéro et cela m’a donné l’énergie pour faire Meetic. On dit que la plupart du temps, les gens qui ont gagné au loto perdent tout parce qu’ils ne savent pas quoi faire avec ça. Moi, c’était un peu pareil. J’avais une petite start-up, j’étais la plus belle femme du monde pendant un mois, on me l’a achetée une fortune. Forcément, j’ai oublié les vingt années de galère où ça ne marchait pas et où je vendais ma bagnole pour payer les salaires. Et j’ai développé un complexe en me disant je n’avais pas mérité tout cet argent. Quand j’ai gagné une seconde fois beaucoup d’argent, lors de la revente de Meetic en 2011, je me suis dit cette fois que c’était le résultat de beaucoup de boulot et que j’allais mieux l’assumer.

Le complexe dont vous parlez est-il dû à vos origines – grand-père communiste, père fonctionna­ire ?

Oui, ce n’est pas évident quand tu es fils de fonctionna­ire, petit-fils de communiste et que tu n’as pas été élevé dans l’argent, ni dans la misère d’ailleurs, dans des valeurs très simples. J’étais à Marseille, entouré de gens plus que modestes…

Quel quartier de Marseille ?

Le roucas Blanc.

C’est un quartier huppé, il y a pire !

Oui, ce n’est pas la Belle de Mai mais, dans les années 1970, c’était un autre contexte. Nous habitions dans un immeuble de sept étages où il y avait dix nationalit­és. Celui qui avait le plus réussi dans l’immeuble, c’était l’instituteu­r : il avait une DS, il avait une bagnole ! Voilà, j’ai été élevé là-dedans. J’ai un peu perdu de vue tout ça quand j’ai réussi et c’est ce qui m’a certaineme­nt rendu mal à l’aise.

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